Après s'être emparée de Québec en 1759, la Grande-Bretagne prépare l'année suivante l'assaut final en Nouvelle-France. À la mi-mai 1760, Lévis, qui fait le siège de Québec, se replie à Montréal après l'arrivée de renforts britanniques à Québec. En juillet, Murray fonce sur Montréal avec 3800 hommes et brûle les habitations des miliciens absents. Amherst s'y dirige par l'ouest avec 11 000 hommes et Haviland attaque les forts du Richelieu avec 3400 hommes.
À la mi-août, le surintendant des Affaires indiennes garantit aux Sept Nations du Canada la possession de leurs terres et des services religieux en retour de leur neutralité. Au début de septembre, le fort Chambly passe aux mains des Britanniques. Les alliés autochtones neutralisés et les miliciens en état de choc, Vaudreuil demande à Lévis de rendre les armes et signe la reddition.
Le Traité de Paris (1763) finalise le tout. Les Français — colons ou autres — qui ne retournent pas en France deviennent des sujets britanniques. Après ce changement, trois options politiques s'expriment parmi eux. La première privilégie une liaison avec les détenteurs du pouvoir; la deuxième, l'obtention d'espaces d'autonomie; la troisième, un renversement du pouvoir.
Revendications
Les liaisons avec le pouvoir se manifestent tôt à Québec et s'accentuent après la reddition de 1760. Elles se consolident lors du soulèvement de 1763 avec Pontiac et des charges menées par les Patriots américains en 1775-1776, auxquelles se liguent de nombreux colons. Elles se renouvellent pour contrer le Parti patriote en 1834-1838, lors de la Deuxième Guerre mondiale, puis de la Crise d'octobre 1970 et des référendums de 1980 et de 1995.
Lorsque ses tenants exercent le pouvoir, apparaissent toujours des revendications autonomistes. Selon les contextes, leurs promoteurs reçoivent un écho en vue de les rallier et, ce faisant, contrer le mouvement visant à le renverser. Ce fut le cas avec l'Acte de Québec (1774), la création du Dominion of Canada et la Révolution tranquille. Les accords du lac Meech avaient ces visées.
Avec le renversement du pouvoir, les projets privilégient plutôt des associations avec les opposants au pouvoir. Ce fut le cas avec Pontiac et les Patriots américains. Aussi avec le Parti patriote, car y furent ligués des Canadiens français, des Irlandais, des Acadiens, des Américains, des Écossais, etc. En 1995, il y eut des démarches en ce sens auprès des autochtones et des dirigeants des communautés culturelles.
Deux cent cinquante ans après la reddition de Montréal, ces trois options sont toujours d'actualité. Et le peuple québécois se retrouve aujourd'hui comme après 1760 mais avant 1774, après la défaite d'Odelltown (1838) mais avant 1867, après la Deuxième Guerre mondiale mais avant la Révolution tranquille, après le référendum de 1995 mais dans un état analogue aux contextes précédents.
Réticence
Actuellement, le nouvel ordre canadien s'irradie et, comme précédemment, des revendications autonomistes ont le vent dans les voiles, apparemment parce que le peuple québécois est réticent à la tenue d'un autre référendum. Aussi, plusieurs souverainistes soufflent-ils dans les voiles dans l'espoir de faire tourner le vent en faveur de l'indépendance. Voilà qui étonne lorsqu'on sait que les dirigeants canadiens, comme leurs prédécesseurs britanniques, savent très bien jouer avec le vent. Aussi importe-t-il plutôt de comprendre la réticence du peuple québécois.
L'avis du 22 juillet 2010 de la Cour internationale de justice (CIJ) sur la légalité de la déclaration unilatérale d'indépendance (DUI) du Kosovo y conduit. Dans ce cas-ci, il n'y a pas eu de référendum. Seulement une déclaration unilatérale par les élus kosovars à la suite d'une négociation avec la Serbie qui n'aboutissait pas. Consultée, la CIJ a conclu que le droit d'un État reconnu et le droit international n'empêchent aucunement une telle déclaration.
Cet avis invalide les prétentions de prévalence de la loi de clarification sur une déclaration unilatérale d'indépendance. En fait, il donne raison à Jacques Parizeau selon qui il importait que l'Assemblée nationale confirme la souveraineté du Québec après le référendum de 1995, mais avant d'entreprendre des négociations menant à un partenariat.
État souverain
Cela étant, revenons au référendum. Institué par le Parti québécois (PQ), il fut utilisé en 1980, en 1992 et en 1995. Après un avis émis par sa Cour suprême, le Canada s'est doté en 2000 d'une loi pour délimiter le cadre d'une éventuelle négociation et évaluer a posteriori la question comme le soutien obtenu dans un référendum. Comme cette loi contient des inconnus perturbateurs avant, pendant et après un référendum, il n'est guère surprenant que le peuple québécois soit réticent à y recourir de nouveau.
Point important: ses réticences rejoignent celles d'Alain Pellet. Consulté en 1999 par le gouvernement du Québec à titre d'expert en droit international, il s'est indigné que la Cour canadienne n'ait pas signalé au législateur canadien qu'une négociation des règles du jeu entre les parties est un préalable incontournable lorsqu'il s'agit d'un référendum qui porte sur la création d'un nouvel État souverain.
Pour Alain Pellet, ce préalable s'impose pour éviter des dérapages et respecter la volonté des peuples à décider de leur avenir sans pressions indues. Dans cette perspective, les parties doivent s'entendre sur la question, le territoire visé, le pourcentage requis, le niveau de participation, le soutien financier, la publicité, la présence d'observateurs, le processus de dévolution des pouvoirs, les échéanciers, etc.
Négocier avec le Canada
Du 8 septembre 1760 à aujourd'hui, l'histoire du Québec fut ponctuée par des projets de renversement militaires et politiques. Dans les deux cas, des règles existent. Elles sont de nature différente. Comme la loi de clarification ne confirme pas celles, politiques, reconnues par les démocraties occidentales, ce que fait la loi québécoise, les indépendantistes doivent prioriser une négociation avec le Canada pour clarifier les points litigieux.
S'il y a entente, les inquiétudes du peuple québécois s'atténueront. Dans le cas contraire, il reviendra aux indépendantistes de revoir le moyen qu'est le référendum. Il y en a d'autres, notamment les votes obtenus par les députés de partis résolument engagés à faire l'indépendance si ceux-ci sont au-delà de 50 %.
Ce dossier est de loin plus important que des lois d'affirmation identitaire parce qu'est en cause la façon dont le peuple québécois entend décider de son avenir. Le banaliser équivaut à banaliser la démocratie et le pouvoir du peuple au profit de celui d'élites qui s'estiment habilitées à décider et s'investissent à tirer avantage de contextes particuliers.
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Claude Bariteau - Anthropologue
250 ans après le 8 septembre 1760
Chronique de Claude Bariteau
Claude Bariteau49 articles
Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans L...
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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.
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