Vous perpétuez l’Apartheid linguistique

Tribune libre - 2007

À l’Honorable Philippe Couillard,
Ministre de la Santé et des Services Sociaux.
Téléphone : (514) 873-3700

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Cc : La Presse et Journal de Montréal

Monsieur Couillard,
Vous avez déclaré ce mois-ci qu’il y avait problème dans le partage des spécialités entre les deux centres hospitaliers universitaires de McGill et de l’université de Montréal. Que le problème découlait de l’impossibilité de réconcilier deux cultures rivales dans la même ville. Le petit monde ordinaire, dont je fais partie, le savait depuis longtemps. Déjà l’an passé, un sondage montrait que 76% des Québécois préfèrent la construction d’un seul CHU bilingue. Il est anormal d’avoir deux facultés de médecine en Amérique du Nord. Celle de McGill étant un droit acquis qui donne à Montréal une vitrine internationale, alors je ne la remettrai pas en question,… pour l’instant.
Mais prolonger cette séparation institutionnelle entre les deux communautés linguistiques en nous lançant dans la débauche de nos ressources financières et industrielles, c’est de la démence égotialiste!
1) Vous perpétuez l’Apartheid linguistique. Ce qui est contraire aux valeurs canadiennes. Quelle serait la gloire des Habitants Canadiens s’il n’y avait pas eu la fusion entre deux équipes de hockey, l’une francophone, l’autre anglophone? Avions-nous construit deux Stades Olympiques, l’un pour les Jeux de Coubertin menés en français, et l’autre construit pour les Jeux du Commonwealth? Nous avons séparé les commission scolaires suivant un clivage linguistique à Montréal. Cela reste à mon avis une erreur compréhensible. De même Radio-Canada et CBC connaissent une séparation pour suivre les auditoires, mais ils partagent beaucoup au niveau des ressources matérielles, du personnel et des sources d’information.
2) La compétition entre les deux chantiers se fera pour obtenir les meilleurs chargés de projets, les ouvriers qualifiés, les outils et matériaux de construction (grues, bétonnières, pelles mécaniques, ciment, briques, câblage d’électricité en cuivre, infrastructure des télécommunications), alors que nous nous lançons dans une nouvelle ère de grands travaux publics (harnachement de la Rupert, pont de la 25, prolongement de la 30, reconstruction des viaducs de Laval et réfection des ponts et chaussées vétustes). C’est déjà une grande menace de surchauffe économique qui relancera le cercle vicieux de l’inflation. Ensuite, les deux CHU compétionneront pour les spécialités, les meilleurs médecins et le meilleur personnel soignant, ainsi que pour la technologie de pointe médicale dont les coûts exorbitants limitent souvent à un par région. Est-ce que les budgets pourront suivre ? Déjà, on rencontre des projets inachevés par manque de fonds, alors la pensée magique ne fonctionne pas. Et la compétition au niveau des spécialités est déjà annoncée par le refus de s’entendre au niveau de leur partage.
3) Séparer les institutions selon les critères linguistiques de deux communautés, c’est nier la composante multiculturelle de ma Cité. Si vous rapportez toutes les cultures non-francophones à la communauté anglophone, vous faites une sursimplication irrespectueuse de ces communautés et niez la primauté du français dans la société québécoise. Déjà que McGill est un gros accommodement raisonnable envers la communauté anglophone, vous le rendez encore plus déraisonnable en lui dédiant un CHU de même taille que pour la communauté francophone. Et les communautés culturelles pourraient revendiquer leurs propres hôpitaux comme certaines ont revendiqué leurs propres écoles et garderies. Déjà Santa Cabrini a une vocation italienne, il existe un hôpital juif et les sinophones ont l’Hôpital Chinois. La fermeture de plusieurs hôpitaux de quartier dans le cadre du virage ambulatoire pourrait inciter les communautés culturelles démunies d’hôpitaux à les revendiquer. Je pense aux communautés hispanophones/lusophones, arabes/musulmanes, tamouls et sikhs qui peuvent y chercher des voies d’accommodements raisonnables. Serait-il raisonnable de leur dédier des structures ou devrait-on prévoir leur cohabitation dans le CHUM et la création d’agents d’interface. Une fonction à prévoir dans un un gros hôpital serait celui d’interprète médical qui guiderait le patient à travers les différents services de l’institution. Il serait le médiateur qui comprend la structure et les deux langues de services et qui pourra guider et traduire dans la langue du patient, lequel n’a peut-être pas toute la capacité de comprendre les processus et textes. Ainsi des erreurs médicales pourraient être évitées. Cette fonction, je la compare aux agents intelligents, ces intergiciels qui fouillent les services Web de l’Internet pour leurs clients.
4) Soyons lucides. La capacité financière des Québécois est limitée et sursollicitée. Déjà votre ministère consomme la plus grande part de nos impôts. La Ville de Montréal qui est déjà dans la dèche avec un déficit de $400 000 000, doit prévoir $25 000 000 pour refaire les infrastructures de voirie.
Nous ne pouvons plus vous suivre. Cela ira de deux à trois stades olympiques. Aurons-nous la population nécessaire pour justifier deux CHU dans 30 ans? Et surtout, aurons-nous assez d’anglophones? Ce n’est plus la perspective de l’indépendance du Québec qui provoquera leur exode, mais la montée à venir des impôts et taxes foncières, la dévaluation immobilière quand le baby-boom sera à l’heure de l’hospice. Le Québec ressemblera à la Roumanie du mégalomane Ceaucescu quand tout ce qui fut exportable le fut pour payer le magnifique palais de Bucarest. Le peuple se nourrissait que de pattes de porc. Les services sociaux étaient à leur minimum. On refusait de soigner les personnes après la cinquantaine parce qu’ils ne serviraient plus vraiment la collectivité. M. Couillard, seriez-vous le Nicolae Ceaucescu du Québec?
Évidemment, avant que nous tombions si bas avec deux gros hôpitaux sous-équipés et avec peu de ressources humaines, j’imagine que votre successeur étendra votre programme des PPP en vendant le CUSM au privé pour établir un hôpital international de médecine privée jouissant de la réputation de McGill. Nous n’aurions plus à envoyer nos patients à Cuba pour des opérations à rabais et en évitant les longues files d’attente. Et les suivis seront facilités par la proximité des médecins traitants. C’est la médecine à deux vitesses qui satisferont à la fois mme Heather Blum-Munroe et les intérêts de la famille Desmarais dans le secteur privé de la santé.
Au nom de la raison et de la lucidité, je vous demande de rebrousser chemin et de vous limiter à un seul CHU bilingue desservant les deux facultés de médecine.
Autrement, la ruine de l’État québécois sera votre héritage.
J’ai dit.

Francis Déry,
Citoyen montréalais ordinaire.



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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    5 février 2007

    Parce qu'il y a eu fermetures d'hôpitaux anglophones pour faire le CUSM comme il y a eu fermetures d'hôpitaux francophones. Théoriquement, un francophone devrait pouvoir se faire servir en français au CUSM et le CHUM ne peut refuser de traiter un anglophone. Fusionner les deux permet les économies d'échelle et le réaménagement des service en fonction des changement de populations. Si on arrive à la Souveraineté, on ne sera pas pris avec deux mégahôpitaux redondants. Et puis, si le service communique avec le client par le biais d'un interprète officiant comme courtier de services ou guide à travers les méandres de l'administration, on pourrait étendre ce concept à travers les différentes communautés culturelles pouvant fournir des représentants avec compétences en vocabulaire médicale pour traduire le jargon du médecin et lire ses prescriptions.
    Bien sûr, les dossiers médicaux seraient informatisés dans une base de données avec les symptômes, diagnostics et prescriptions préinscrites dans les deux langues et référés par le biais de clefs dans le dossier archivé. Donc le médecin ou le patient n'aurait qu'à consulter son dossier dans la langue de son choix.
    Un hôpital francais seulement va causer de sérieuses batailles politiques qui nous ferait perdre du financement corporatif. Et McGill pourrait choisir d'envoyer ses stagières pratiquer hors-Québec, ce qui assurerait leur exil. Tandis que les faire pratiquer dans un milieu bilingue, c'est développer leur compétence de pratiquer au Québec.
    Deux hôpitaux qui ne diffèrent que par la langue, alors les communautés culturelles vont exiger le leur: Hôpital Juif, Hôpital Chinois, Hôpital Italien (ils existent déjà), alors prévoyons Hôpital Islamique, Hôpital Grec, Hôpital Portugais, etc...
    Pourquoi avoir fusionné une équipe francophone avec une anglophone pour former les Habitants Canadiens de Montréal?
    Avons-nous construit un stade olympique pour les francophones et un stade du Commonwealth pour les anglophones?
    Avons-nous deux systèmes de transport collectif : première classe pour les anglophones, "nigger buses" pour les francophones?
    Peut-être que nous avons l'aéroport de Mirabel pour les francophones et l'aéroport Dorval pour les anglophones du West Island. Peut-être que les villes du West Island formeront leur propre agglomération indépendante de Montréal.
    Alors qu'il y aura pénurie de jeunesse, les deux grandes universités de Montréal (UdeM et McGill) veulent s'agrandir. Ne devrions nous pas les fusionner pour couper dans la redondance comme deux départements de médecines dans la même ville?
    L'Apartheid linguistique nous coûte cher parce que l'on s'oblige à la redondance des services.

  • Archives de Vigile Répondre

    24 janvier 2007

    Pourquoi bilingue? Il n'y a pas encore assez d'hôpitaux anglais à Montréal?