L'arrestation, la semaine dernière, de plusieurs membres d'un groupe néonazi aux États-Unis, dont un ex-réserviste canadien, montre comment l'accélérationnisme mise de plus en plus sur des attentats terroristes en vue de provoquer une guerre civile.
Un tribunal américain a refusé cette semaine d'accorder au Canadien Patrik Mathews, ainsi qu'à deux de ses comparses, Brian Mark Lemley et William Garfield Bilbrough, une libération sous caution. Dans un document déposé par la poursuite (Nouvelle fenêtre), on apprend que les autorités avaient placé une caméra et un microphone dans une résidence du Delaware où habitaient MM. Mathews et Lemley.
Leurs conversations, qu'ils croyaient privées, en disent long sur les méthodes privilégiées par The Base, le groupe néonazi auquel ils appartiennent.
Le 23 décembre 2019, les deux discutent de la manifestation proarmes en Virginie qui se tiendra quelques mois plus tard, le 20 janvier. Tous deux avancent l'idée d'attaquer des civils ou des policiers à l'aide d'une carabine munie d'une lunette à vision nocturne.
Essentiellement, on pourrait littéralement chasser des humains. Tu pourrais surveiller de loin pendant que je m'approche et que je fais ce qui doit être fait
, lance M. Mathews à M. Lemley. Ce dernier dit ensuite vouloir tuer un manifestant particulièrement bien armé pour lui voler son arme et son équipement.
M. Mathews continue : Tu sais, nous avons une situation en Virginie où ce sera une occasion en or. [...] Tout ce que tu dois faire, c'est t'assurer que ça vire mal en Virginie pour que tout ça explose et que ça dégénère en guerre civile.
Quelques jours plus tôt, le 21 décembre, M. Mathews évoquait d'autres possibilités d'attaques. Tu veux créer de l'instabilité. Pendant la situation en Virginie, il faut faire autre chose. Faire dérailler un train, barrer les autoroutes... On pourrait provoquer l'effondrement économique des États-Unis en une semaine
, a-t-il dit.
Au moment d'être arrêtés, Patrik Mathews et Brian Mark Lemley étaient en possession d'une arme automatique qu'ils avaient réussi à fabriquer, ainsi que de 1500 cartouches. Quelques jours auparavant, ils avaient évoqué l'idée d'équiper [leur camion] pour la guerre
avant d'aller à la manifestation en Virginie.
S'il peut sembler surprenant qu'un groupe néonazi cherche à déclencher une guerre civile aux États-Unis en s'attaquant à une manifestation proarmes, le tout s'inscrit dans la mouvance de l'accélérationnisme, une idéologie à laquelle adhèrent plusieurs groupes radicaux.
Qu'est-ce que l'accélérationnisme?
L'idée de base, c'est que la civilisation occidentale est vouée à l'effondrement. L'accélérationnisme vise à provoquer l'inévitable en exacerbant les tensions politiques, raciales et sociales.
Le parrain de ce mouvement, le néonazi américain James Mason, prône des attaques d'apparence aléatoire : destruction d'infrastructures (des ponts, des centrales électriques ou des chemins de fer), meurtres de policiers ou de soldats, attaques terroristes contre des civils.
Le but est de causer une panique générale dans la population et, ensuite, une réponse démesurée du gouvernement. Selon cette idéologie, le résultat sera une guerre civile où les fascistes réussiront à prendre le contrôle.
Dans ses écrits, M. Mason reconnaît que les mouvements néonazis ne réussiront jamais à accéder au pouvoir en convainquant la population ou en remportant des élections. Le seul moyen, selon lui, d'instaurer sa vision d'une utopie fasciste est de repartir à zéro et d'établir une dictature de la race blanche.
Cette mouvance rêve d'éliminer ses ennemis, qui incluent toute personne non blanche, mais aussi les politiciens, les journalistes, les policiers et les soldats.
Le concept d'accélérationnisme n'est pas propre aux mouvements néonazis. Certains penseurs de la gauche radicale prônaient une forme d'accélérationnisme ayant pour objectif l'effondrement du capitalisme en aggravant les crises économiques. Toutefois, ceux-ci n'encourageaient pas leurs membres, comme le faisait M. Mason, à commettre des attentats terroristes.
Autrefois un membre influent du Parti nazi américain de George Lincoln Rockwell, James Mason était pratiquement tombé dans l'oubli vers la fin des années 2000. Il avait été accusé, dans les années 1990, de possession de pornographie juvénile et d'exploitation sexuelle d'une personne mineure.
Les théories radicales de M. Mason sont revenues au premier plan dans certains cercles néonazis après qu'ils eurent été redécouverts par des membres du blogue Iron March. Ce forum a donné naissance à plusieurs groupes radicaux, dont The Base, avant d'être fermé en 2017.
Une nouvelle forme de néonazisme calquée sur le djihadisme
Le nom The Base est une traduction littérale d'Al-Qaïda (La base). Ses membres ne s'inspirent pas seulement du nom; ils calquent aussi les tactiques et la propagande des groupes djihadistes.
En regardant les vidéos de propagande que The Base fait circuler sur les réseaux sociaux clandestins, il est évident que le groupe s'inspire de ceux du groupe armé État islamique (EI). Les membres masqués s'entraînent avec des armes, puis se donnent des airs menaçants devant la caméra.
Les membres de The Base filment aussi des manifestations pour expliquer leurs actions ou pour encourager des attaques, tout comme les djihadistes. Par exemple, Patrik Mathews avait enregistré une vidéo de ce type, un masque à gaz au visage.
Tout comme l'EI, cette mouvance néonazie cherche à encourager des attaques, plutôt qu'à les planifier directement. Il est beaucoup plus difficile pour les forces de l'ordre d'arrêter une attaque terroriste si son auteur n'est pas en contact avec le groupe qui l'inspire et s'il se radicalise lui-même à l'aide de matériel qu'il a trouvé sur le web.
Cette approche décentralisée a permis à l'EI de mener des attaques en Occident sans avoir à les planifier. C'est ce que tentent aussi de faire des groupuscules comme The Base.
Bien que le groupe ait une structure décentralisée, une figure utilisant les alias « Norman Spear » et « Roman Wolf » en ligne agit à titre de leader depuis fin 2018. Le quotidien britannique The Guardian l'a identifié jeudi soir (Nouvelle fenêtre). Il s'agit de Rinaldo Nazzaro, un Américain de 46 ans vivant probablement en Russie.
En 2019 seulement, pas moins de quatre attaques ont été menées par des hommes qui se sont radicalisés sur le web. En mars, l'attentat dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, a fait 51 morts. La fusillade dans une synagogue de Poway, à San Diego, en avril, a fait un mort. Puis, en août, une fusillade dans un Walmart à El Paso, au Texas, a fait 22 victimes.
Dans tous les cas, les auteurs présumés ont publié des manifestes racistes sur le forum 8chan avant de passer à l'acte. Rien n'indique que ces prétendus attaquants faisaient partie d'un groupe comme The Base. Toutefois, c'est exactement le genre d'attaque que tente d'encourager le groupe.
En lisant les manifestes des auteurs présumés, on constate qu'ils s'inspirent de l'idéologie accélérationniste. L'attaquant de Christchurch faisait d'ailleurs directement référence à cette idéologie pour expliquer son acte. Cette nébuleuse arrive donc à radicaliser des adeptes un peu partout dans le monde.
Rappelons que Patrik Mathews a été reconnu membre de The Base après un reportage du Winnipeg Free Press. Le journaliste Ryan Thorpe s'était fait passer pour une recrue potentielle (Nouvelle fenêtre), puis avait identifié certains membres du groupe.
C'est la preuve que cette mouvance néonazie tente activement de recruter au Canada. Cependant, ces groupes vivent aussi sur le web qui, lui, n'a pas de frontières.