Paris - Nicolas Sarkozy est devenu hier le sixième président de la Ve République française. Avec 53,3 % des voix, le successeur de Jacques Chirac remporte une victoire décisive sur sa concurrente, la socialiste Ségolène Royal, qui essuie une dure défaite avec 46,7 %. Avec un taux de participation record de 84 %, le candidat de la droite décroche une majorité supérieure à celle de Jacques Chirac en 1995 (52,6 %), mais qui ne dépasse pas celle de François Mitterrand en 1988 (54 %).
Hier soir à Paris, plusieurs milliers de militants avaient envahi les rues des quartiers généraux des deux partis. Pendant de longues minutes, les journalistes et les photographes ont suivi dans Paris la voiture de Nicolas Sarkozy. Sur la scène de la salle Gaveau, rive droite, le nouvel élu dressait le pouce en signe de victoire.
Sur un ton solennel, il s'est voulu rassembleur. «Je serai le président de tous les Français, je parlerai pour chacun d'entre eux», a-t-il déclaré. Il s'est ensuite adressé aux partisans de Ségolène Royal: «Je veux lui dire que j'ai du respect pour ses idées dans lesquelles tant de Français se sont reconnus».
Puis le nouveau président a rappelé certains thèmes de sa campagne. «Je veux réhabiliter le travail, a-t-il déclaré, l'autorité, la morale, le respect, le mérite. Je veux remettre à l'honneur la nation et l'identité nationale. Je veux rendre aux Français la fierté d'être Français. Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres.»
Le nouveau président s'est largement adressé à ses partenaires européens et américains. «Ce soir, la France est de retour en Europe», a-t-il déclaré. Les Américains, dit-il «peuvent compter sur notre amitié [...] la France sera toujours à leurs côtés». Mais, ils doivent «accepter que leurs amis puissent penser différemment». À la surprise générale, Nicolas Sarkozy a parlé du réchauffement climatique, sujet très peu développé durant la campagne, dont il fera, dit-il, son «premier combat». Il a aussi lancé un appel à «bâtir ensemble une union méditerranéenne».
De la Maison de l'Amérique latine, sur la rive gauche, Ségolène Royal s'est adressée à des partisans encore très mobilisés. «Quelque chose s'est levé qui ne s'arrêtera pas, a-t-elle déclaré. J'ai donné toutes mes forces et je continue avec vous et près de vous [...] Gardons intactes l'énergie et la joie.» La candidate défaite considère qu'elle sera la mieux à même de poursuivre la rénovation du Parti socialiste. «J'ai engagé un renouvellement profond de la vie politique, de ses méthodes et de la gauche. [...] Ce que nous avons commencé ensemble, nous allons le continuer ensemble. Vous pouvez compter sur moi pour approfondir la rénovation de la gauche et la recherche de nouvelles convergences au-delà de ses frontières actuelles. C'est la condition de nos victoires futures.»
Alors que la foule scandait «Merci, Ségolène», quelques dizaines de voitures commençaient à brûler dans les banlieues de Lille, Paris, Lyon, Dijon et Marseille. Plusieurs dirigeants ont aussitôt appelé au calme, dont le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, et Mohamed Mechmache de l'association AC! Le feu, née après les émeutes de 2005. Des altercations avec la police et plusieurs arrestations se sont aussi produites place de la Bastille où s'étaient donné rendez-vous des opposants à Nicolas Sarkozy. Il était impossible d'approcher de la place tant les gaz lacrymogènes saturaient l'atmosphère. Toute la nuit, les hélicoptères ont tourné au-dessus de la capitale. Plus de 3000 policiers et 20 compagnies de la gendarmerie mobile et des CRS avaient été déployés dans les banlieues parisiennes où le candidat de la droite n'a pu faire campagne de peur d'y provoquer de vives réactions.
Au son de Happy Day, plusieurs milliers de partisans de Nicolas Sarkozy se sont réunis place de la Concorde. Il y avait Enrico Macias, la chanteuse de gospel Miss Dominique et Mireille Mathieu qui a entonné La Marseillaise. Accompagné de son épouse, Nicolas Sarkozy est monté sur scène pour appeler à la tolérance et à «tendre la main».
Celui qui est donné favori pour le poste de premier ministre, l'ancien ministre des Affaires sociales François Fillon, a estimé que «la campagne de Nicolas Sarkozy a rencontré le peuple». Selon lui, la France n'est pas «coupée en deux», et le prochain gouvernement devra compter des ministres centristes (UDF) et même de gauche, dit-il. «L'obligation qui pèse sur le président de la République, c'est d'agir», a renchéri l'ancien premier ministre Alain Juppé.
Rue de Solférino, quartier général de campagne de Ségolène Royal, l'atmosphère était déjà au bilan, pour ne pas dire aux règlements de comptes. «C'est une lourde défaite», mais cette «campagne fervente» est «prometteuse pour le futur» a déclaré l'ancien ministre de la Culture Jack Lang, qui appelle à élire «une majorité de gauche» aux élections législatives de juin prochain.
Dès hier soir, la lutte pour le leadership de la rénovation du Parti était engagée. L'ancien ministre Dominique Strauss-Kahn n'a pas caché son intention de se présenter comme une solution de rechange à Ségolène Royal. «C'est une très grave défaite, d'autant plus que c'est la troisième fois», a-t-il déclaré. La raison de cet échec tient, dit-il à «la rénovation sociale-démocrate» qu'il a «initiée» et qui «n'a pas encore triomphé dans le parti socialiste». Selon l'ancien ministre Bernard Kouchner, «il faut changer même notre logiciel, notre façon de penser, à gauche». Ségolène Royal organisera dans une dizaine de jours une grande assemblée à La Courneuve pour remercier ceux qui l'ont soutenue dans les banlieues.
Avec 53,3 %, Nicolas Sarkozy dépasse les résultats de Jacques Chirac en 1995 (52,6 %), de François Mitterrand en 1981 (51,8 %) et de Valéry Giscard d'Estaing en 1974 (50,8 %). Mais pas ceux de Mitterrand en 1988 (54 %). On doit en conclure que les électeurs du Front national se sont reportés sur lui à environ 63 %. Ceux du centriste François Bayrou (UDF), le troisième homme du premier tour, semblent s'être répartis également entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy.
La passation des pouvoirs aura lieu le 16 mai. Peu après, Nicolas Sarkozy annoncera le nom de son premier ministre. D'ici là, il se retirera cinq ou six jours seul, peut-être même dans un monastère, a-t-il déclaré. Le candidat dit avoir besoin de plusieurs jours d'«ascèse» pour «habiter» le costume de président.
Son conseiller François Fillon part favori pour occuper le poste de premier ministre. Il a coordonné l'élaboration du programme de l'UMP et n'a pas quitté Nicolas Sarkozy de toute la campagne, participant à la plupart des réunions en comité restreint. «Il a le profil», avait admis Nicolas Sarkozy dans une interview du Figaro Magazine. On évoque aussi les noms du ministre de l'Emploi, Jean-Louis Borloo, caution «sociale» du candidat et favori des sondages, ainsi que de la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie. Pour le poste stratégique de secrétaire général de l'Élysée, on cite Claude Guéant, ancien directeur de cabinet de Sarkozy aux ministères de l'Intérieur et de l'Économie.
Le candidat a annoncé qu'il se donnait 100 jours pour réaliser une bonne partie de son programme. On s'attend à ce qu'il réunisse l'Assemblée nationale pour faire adopter un budget. Selon certains scénarios, il pourrait aussi convoquer des conférences réunissant patrons et syndicats afin de tenter de faire accepter un certain nombre de modifications aux normes du travail. Il a annoncé que, faute d'une entente, il ferait adopter dès septembre une loi garantissant un service minimum en cas de grève dans les transports publics. D'ici là, Nicolas Sarkozy devra faire élire une majorité à l'Assemblée nationale. Les élections auront lieu les 10 et 17 juin prochain.
Correspondant du Devoir à Paris
Victoire décisive de Sarkozy
Ségolène Royal appelle à refonder la gauche en France
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