Pierre Vadeboncoeur, sur l'essentiel, ne discute plus. Dans La Clef de voûte, un essai d'une rare intensité dans lequel il explore et cherche à dire son espace intérieur, il n'hésite pas à affirmer qu'il n'a pas à présenter ses raisons. «Cela, écrit-il, ne relève pas de la critique. C'est que je ne dépends pas d'une tradition où règne l'esprit de discussion. Je pense à autre chose, je veux autre chose.»
Et cette autre chose, difficile à évoquer «en termes clairs et facilement accessibles», relève de la mystique qui, insiste Vadeboncoeur, «est un fait et, comme tel, elle précède tout raisonnement, et non seulement elle le précède mais elle en est indépendante». Contre les philosophes qui heurtent les «absolus» en lui, l'essayiste dit rejeter les débats universitaires pour mieux embrasser l'expérience poétique et mystique. «Sauf dans les matières pratiques, précise-t-il, je suis orienté vers ce que l'on contemple et non vers ce que l'on discute. Je laisse ceci à d'autres, maintenant indifférent à leurs conflits.» Contre le cynisme et le doute, contre la révolte même, entendue au sens métaphysique, Vadeboncoeur veut témoigner de son «accord avec l'Existence plutôt qu'avec les raisons de douter d'elle».
Il y a, on l'aura peut-être entrevu dans les lignes qui précèdent, du Pascal et du Péguy dans ce livre d'un vieil homme libre, souverain, qui dit sa vérité sans s'embêter de la réception critique qu'on pourrait lui faire. C'est, au fond, de sa foi que traite Vadeboncoeur, mais d'une foi au-delà des dogmes, des formules et des normes usuelles, d'une foi qui, pour être difficile à partager, n'en repose pas moins comme un fait d'évidence au fond -- il le dit avec ce terme -- de son coeur, comme «une expectative, une sensibilité, une aspiration, une anticipation, une connaissance avant la lettre, une orientation, un pré-savoir, toutes choses vagues qui déplaisent fort au rationalisme».
Jamais, écrit-il, depuis la jeunesse, ce lien «avec un être personnel que je ne nomme pourtant pas mais qui habite je ne sais comment ma conscience d'une manière aussi constante que l'est celle-ci même» ne l'a quitté. «J'ai le sentiment, lance-t-il, de n'être pas seul», même si cette idée reste extrêmement difficile à rendre.
Il dira encore, pour essayer de faire apparaître plus clairement cet espace intérieur aux yeux du lecteur, que «ce fameux Lieu où il n'y a rien est un lieu où non seulement il y a quelque chose mais où ce quelque chose est transcendant. Un peintre, un musicien savent cela. Cette transcendance ne peut être décrite. [...] L'ultime est ce qu'il y a de plus indéniable mais de moins évident.»
Évoquer cette expérience de la transcendance, pour Vadeboncoeur, ce n'est pas se perdre en conjectures sur le divin, mais plutôt tenter de rejoindre l'humain en sa vérité comme, écrit-il, le fait le cinéaste Bernard Émond ou encore l'Évangile en étant «attentif à toutes les misères comme aux faiblesses morales» et en allant «chercher les hommes là où ils sont, là où individuellement ils en sont rendus». Or cela, dans la société contemporaine, se serait perdu. «L'extérieur, se désole l'essayiste d'humeur parfois trop chagrine, est devenu l'espace préféré de la conscience et de l'attention, ou plutôt de l'inconscience et de la distraction.» Et, croyant ainsi discréditer une transcendance imposée de l'extérieur, cette société aurait rendu l'humain étranger à lui-même.
L'effacement de la notion de faute a affranchi l'humain, mais ce fut de sa propre responsabilité personnelle, et ce mouvement général d'indifférence à l'intériorité l'a livré au relativisme et au fatras qui caractérisent le «climat de pauvreté métaphysique et morale» de la société contemporaine, assène le moraliste avec des accents de Benoît XVI.
Dans un renversement de perspective fidèle à l'esprit de Péguy et, dans ce cas, pas très papal, Vadeboncoeur relie cette débâcle de la mystique à un effondrement du sens politique. «On se croit dans une gauche, explique-t-il, alors qu'on s'engouffre à plein dans une droite. Qu'existe-t-il de plus à droite que la licence? La gauche, dans les divers ordres, est plutôt interrogation, inquiétude critique, morale; la droite est plutôt refus de s'interroger, volonté libérée de l'éthique. La gauche est plutôt le droit; la droite plutôt l'intérêt et l'arbitraire.»
«J'invente généralement tout à mesure. Je me confie en ce qui en moi en sait plus que moi-même. Je n'écris pas comme on raisonne», écrit Vadeboncoeur pour résumer sa méthode plus artiste qu'argumentative. Pour dire une expérience de la transcendance qui évite à l'humain de se perdre en croyant se gagner, cette prose brûlante, même si elle déconcerte souvent et s'emporte un peu trop, s'imposait probablement.
Contre les imbéciles
Pour mener la charge contre les imbéciles qui nous gouvernent, c'est-à-dire ces politiciens qui «sont aveugles aux conséquences des actes économiques, politiques, sociaux et militaires de l'impérialisme», ce style impressionniste est toutefois moins approprié. Dans Les Grands Imbéciles, un recueil d'interventions politiques d'abord publiées dans L'Action nationale, Le Couac et Le Devoir, Vadeboncoeur le tempère un peu en faisant une plus large place à l'argumentation classique, mais l'efficacité du propos souffre néanmoins d'un certain flou artistique.
On appréciera néanmoins ces réquisitoires, pleins de gravité, contre les Bush, Harper et Dumont qui corrompent le climat politique. Les textes les plus forts de ce recueil sont toutefois ceux, très justes, que Vadeboncoeur consacre à la nécessité du Bloc québécois et à l'urgence du réalisme dans le combat souverainiste.
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La clef de voûte
Pierre Vadeboncoeur
Bellarmin
Montréal, 2008, 168 pages
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Les grands imbéciles
Pierre Vadeboncoeur
Lux
Montréal, 2008, 198 pages
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