Une stratégie dépassée

PLQ - La Grande Braderie des ressources naturelles


Vue d'une galerie de la mine d'or de Goldex, à Val-d'Or, propriété d'Agnico Eagle.
Photo: Robert Skinner, Archives La Presse



Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Les auteurs sont respectivement président du conseil de l'Institut sur la gouvernance des organisations publiques et privées (IGOPP) et professeure de stratégie à l'UQAM. Leur opinion n'engage qu'eux.

Dans le discours inaugural du 23 février, le premier ministre Charest a fait montre d'éloquence et de clairvoyance à propos de richesses naturelles du Québec. Il a raison: la croissance économique de pays comme la Chine et l'Inde fait et continuera de faire un appel pressant aux ressources naturelles de l'univers. De l'eau à l'or, en passant par toutes les ressources minières, la chasse est ouverte. Dans ce contexte de surenchère mondiale pour les ressources naturelles, nos gouvernements doivent démontrer une grande intelligence politique pour maximiser les bénéfices de ces ressources pour tous leurs citoyens.
Au Québec, depuis que les sociétés d'État SOQUEM et SOQUIP ont été expédiées aux limbes de la SGF, nos gouvernements s'en remettent exclusivement aux entreprises du secteur privé pour l'exploitation de ressources non renouvelables. Le gouvernement québécois offre «une juridiction parmi les meilleures au monde pour l'exploration minière», ainsi que l'annoncent les exploitants de mines au Québec. L'Institut Fraser, organisme de droite dure et pure, donne une rare bonne note au Québec pour ses politiques favorables aux exploitants miniers. Classé premier (sur 51 gouvernements évalués) au cours de trois dernières années, le Québec est tombé au troisième rang cette année parce qu'il a osé proposer une modeste augmentation des droits miniers sans une consultation préalable de l'industrie!
Cette attitude se comprend. Naguère, la stratégie industrielle en ce domaine névralgique des ressources naturelles visait à attirer des sociétés d'exploration et d'exploitation pour créer des emplois au Québec; on croyait nécessaire de proposer aux exploitants de mines des concessions fiscales et autres avantages pour qu'ils choisissent le Québec afin d'y mener leurs activités, comme s'il s'agissait de convaincre une entreprise manufacturière, ayant à décider entre de multiples possibilités d'emplacement, d'établir sa nouvelle usine chez nous.
Malheureusement, hormis quelques modifications à la loi et une modeste augmentation des droits miniers en 2010, nos gouvernements persistent avec cette stratégie industrielle d'une autre époque alors que le monde a changé, que les ressources naturelles non renouvelables font, et feront encore plus demain, l'objet d'une convoitise sans précédent, d'un appétit insatiable.
Un pays ne peut optimiser la valeur de ses ressources naturelles non renouvelables au XXIe siècle en s'appuyant sur ce modèle de développement. En fait, dans des pays aussi différents que la Norvège, la Finlande, le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, les sociétés d'État ou des sociétés contrôlées par l'État détiennent des participations importantes dans les secteurs névralgiques des ressources naturelles. Rarement ces gouvernements laissent-ils leurs sociétés d'importance stratégique vulnérables aux prises de contrôle par des intérêts étrangers.
Il est curieux de constater que tant de pays conservent la mainmise sur leurs ressources alors qu'au Québec, on s'en remet aux entreprises privées cotées en Bourse. Ne devrait-on pas évaluer les avantages de sociétés d'État hybrides selon lesquelles le gouvernement détient un pourcentage substantiel des actions, le reste étant détenu par le public et coté en Bourse?
Le gouvernement conserve ainsi le contrôle de la société (ou du moins une minorité de blocage), mais inscrite en Bourse, la société a accès aux sources de capitaux privés pour financer son développement et bénéficie, dans le meilleur des mondes, de la discipline de gouvernance, de la transparence et des mesures de performance imposées par l'inscription de l'entreprise en Bourse.
Dans la mesure où le gouvernement s'en tient aux approches traditionnelles basées sur des droits miniers payés par l'exploitant des ressources naturelles, pourquoi ne pas établir des droits miniers arrimés aux revenus plutôt qu'aux profits nets, comme cela se fait ailleurs? En effet, le profit comptable résulte de nombreux jugements plus ou moins arbitraires, plus ou moins discutables. Les revenus, eux, sont simples à établir.
Pourquoi le taux de droits miniers ne varie-t-il pas en fonction du prix au marché des ressources? Ainsi, la mine d'or de Malartic au Québec, l'une des plus importantes mines d'or au monde, était jugée éminemment rentable lorsque le prix de l'or était de 775$ l'once; elle devient extrêmement rentable au prix de 1300$ l'once d'or. Pourquoi ne pas établir les droits miniers selon un taux qui varie avec le prix de l'or? Ce seul changement, pour une seule mine, aurait pu facilement ajouter 1 milliard aux revenus de l'État québécois.
Les États riches en ressources naturelles, comme le Québec, ont le devoir et la responsabilité fiduciaire d'en maximiser la valeur pour l'ensemble des citoyens, les propriétaires ultimes de cette ressource. Pour ce faire, les gouvernements doivent larguer les anciens modèles, les incitations fiscales et les autres mesures pour attirer les exploitants miniers à bien vouloir s'occuper de nos ressources.
Les gouvernements se doivent de négocier avec sagacité l'accès aux ressources de leur pays; ils doivent prendre les moyens et les stratégies pour en maximiser les retombées fiscales.
Agir autrement serait une erreur dramatique et irréversible.


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