On parle beaucoup de la santé mentale de la jeune génération ces temps-ci. On en parle surtout en évoquant son rapport névrotique aux écrans. On parle aussi, plus largement, de l’anxiété chez les enfants, qui devraient plutôt bénéficier du privilège de l’insouciance. Que faire pour affronter cette crise inédite, que plusieurs placent sous le signe de la santé publique ?
On écoutera attentivement les conseils des psychiatres, qui se posent aujourd’hui comme lanceurs d’alerte.
Pour bien comprendre cette crise, toutefois, il faut en élargir les paramètres. Cette crise profonde nous dit que la fabrique sociale est déstructurée comme jamais, dans une modernité devenue folle, révélant comme jamais sa part d’ombre.
La modernité avancée fait une promesse empoisonnée à ceux qui y vivent : vous pourrez devenir exactement qui vous voudrez. Les traditions ne vous étoufferont plus. Vous bricolerez vous-mêmes votre identité. Vous serez des petits dieux.
Individualisme
Ainsi, vous déciderez si vous vous sentez homme ou femme, ou aucun des deux, ou les deux à la fois.
Vous pourrez vous arracher à l’histoire de votre pays pour vous faire citoyen du monde ou vous réfugier inversement dans la tribu de votre choix. Vous pourrez presque fabriquer votre propre dialecte, comme on le voit avec le franglais montréalais. Vous pourrez même vivre dans un univers virtuel où vous deviendrez une tout autre personne que vous-mêmes, comme le promet la révolution technologique.
Sans père ni mère, sans sexe ni patrie, sans demeure ni mémoire, vous serez absolument libre, comme si vous étiez le maître absolu de votre propre vie.
Sur papier, tout cela peut sembler excitant. Dans les faits, on vire au cauchemar. L’homme a besoin de repères et d’être accueilli dans un monde structuré, qui lui offre d’authentiques assises existentielles. De ce point de vue, l’individualisme radical qui s’impose de plus en plus comme un absolu moral est une machine à détruire la société et à blesser les âmes.
La jeune génération ressent dans sa chair cette décomposition sociale.
On ajoutera au portrait un sentiment d’impuissance absolu devant les malheurs du monde. Par exemple, la crise climatique crée des éco-anxieux.
Autrefois, la politique donnait l’impression de pouvoir, au moins partiellement, maîtriser son destin. Aujourd’hui, on la sent incapable de se livrer à autre chose qu’à la comédie du pouvoir. Elle gère le quotidien, mais elle ne donne plus l’impression à un peuple de gouverner son destin. L’économie s’empare de tout, et la consommation devient notre unique raison de vivre.
Détresse
On en revient à une vérité que notre époque refoule et étouffe : l’être humain, pour s’épanouir, a besoin d’un cadre, d’une communauté, d’une structure sociale relativement stable. Il a besoin de relations durables.
Notre époque a cru lui faire un cadeau en le privant de tout cela. On voulait le rendre libre en l’enfermant dans la valorisation de son petit Moi. On l’a condamné à la nudité existentielle, à la détresse, au désespoir.