La précipitation avec laquelle le gouvernement québécois veut «développer» l'industrie du gaz de schiste est suspecte. Les conséquences de son exploitation sur l'environnement et la santé de la population, dans le cœur agricole, historique et démographique du Québec ont manifestement peu de poids pour le gouvernement Charest.
Le mandat étriqué de cinq mois du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) en constitue une preuve flagrante. Et comme Le Devoir l'évoquait récemment, la proximité avec l'industrie du gaz de nombreux libéraux ayant gravité autour du pouvoir a toutes les apparences d'une détestable collusion d'intérêts privés faite dans le dos de l'intérêt public. Une de plus?
Alors pourquoi un moratoire à New York?
Les «libéraux-gazeux» diront, comme l'industrie, que l'exploitation des gaz de schiste ne pose aucun problème. Mais alors pourquoi l'État de New York a-t-il décrété cet été un moratoire jusqu'en mai 2011 afin d'en évaluer les conséquences sur la qualité de l'eau potable? Pourquoi le commissaire à l'environnement de la Ville de New York, Caswell F. Holloway, a-t-il écrit le 31 mars 2010 à l'Environmental Protection Agency (EPA) que les techniques de fracturation hydraulique posaient une «menace inacceptable pour 9 millions de New-Yorkais»?
Pourquoi l'EPA a-t-elle lancé une vaste enquête nationale au printemps dernier afin d'évaluer les effets potentiellement dangereux pour la qualité de l'eau et la santé des techniques «d'hydro-fracturation» utilisées pour récupérer le gaz? L'EPA prend son mandat au sérieux, contrairement à d'autres... L'Agence effectuera donc une enquête complète du cycle de vie de l'exploitation du gaz de schiste. Elle prévoit rendre ses conclusions à la fin 2012. Cherchez l'erreur...
Si l'EPA juge nécessaire de lancer une enquête d'envergure sur l'exploitation du gaz de schiste, c'est évidemment parce que plusieurs questions restent sans réponse. Appel d'urgence au gouvernement Charest: la santé et l'eau des Québécois valent-elles moins que celles des New-Yorkais ou des Étatsuniens?
Plus de mille contaminations
Une enquête de plus d'un an sur les gaz de schiste menée par le site de journalisme d'investigation Propublica, premier site Internet récipiendaire du prix Pulitzer en 2010, a permis de recenser plus de 1000 cas de contamination des sources d'eau potable à travers les États-Unis.
Au terme de cette enquête, le journaliste Abrahm Lustgarten affirmait ceci: «Il n'est pas clair jusqu'à quel point les petites fissures qui se créent dans la roche par la fracturation hydraulique peuvent atteindre, ou peuvent se connecter par des passages souterrains ou des failles aux nappes phréatiques et laisser s'échapper les produits chimiques dans l'eau potable. Il n'est pas certain que les produits chimiques, tel le benzène, connu pour causer le cancer, soient adéquatement contenus par la structure du puits sous terre ou par les gens, les pipelines et les camions qui les manipulent à la surface. Et il n'est pas clair de quelle manière les volumineux déchets que le processus génère peuvent être traités de manière sûre.» (Ma traduction, Propublica, 31 décembre 2009)
Un cocktail hautement toxique
L'industrie demeure très discrète sur la nature des produits chimiques ajoutés à l'eau injectée sous terre. Secret industriel... Et pour cause! Le cocktail est détonant. La biologiste et toxicologue réputée Theo Colborn a livré un témoignage écrit sur le sujet devant le Comité sur la réforme du gouvernement de la Chambre des représentants des États-Unis le 25 octobre 2007.
Elle a effectué une étude sur le contenu des fluides de fracturation après qu'on lui eut remis la formule du fluide qui serait utilisé dans les 17 puits projetés dans la Grand Mesa National Forest, qu'elle considère comme son arrière-cour.
Devant les représentants, elle a soutenu que 92 % des 171 produits et 245 composés chimiques identifiés ont des effets néfastes sur la santé, parfois à très faible dose. La plupart des produits ont des effets multiples. L'exposition peut aussi être aérienne par la voie de produits chimiques volatils et, selon T. Colborn, cette contamination serait sous-estimée. Le méthane remonte à la surface avec des tonnes de composés organiques volatils chaque année comme le benzène, le toluène, l'ethylbenzène et le xylène.
Il a été estimé qu'au Colorado en 2006, les 5500 réservoirs de condensation utilisés pour entreposer la boue remontant des entrailles de la Terre avaient relâché plus de 100 tonnes de composés organiques volatils chacun, contribuant ainsi à l'augmentation des taux d'ozone dans l'Ouest américain.
L'étude des composés chimiques contenus dans les fosses d'épandage des déchets de six sites du Nouveau-Mexique montre que 84 % des composés détectés sont sur la liste des produits toxiques du Superfund étatsunien. Conclusion de Theo Colborn: les données recueillies suggèrent qu'une fois fermé, chacun des puits et chacun des champs d'épandage a le potentiel de devenir un nouveau site de déchets toxiques recensé sur la liste du Superfund...
Le méthane
L'image de relative propreté du gaz en prend un sacré coup. Mais ce n'est pas tout. S'il est vrai que le gaz naturel, composé à 90 % de méthane, est l'énergie fossile la plus propre lorsqu'entièrement brûlée, c'est sans compter les fuites de méthane dans le processus de production, de distribution et de consommation. Ces fuites étaient estimées en 2004, par la Society of Chemical Industry, à de 2 à 4 % du gaz utilisé (cité par James Lovelock, dans La Revanche de Gaïa, Flammarion 2007, p.134).
Or le méthane a un potentiel de réchauffement global (PRG) 25 fois plus important que le dioxyde de carbone (CO2) sur une période de
100 ans. Mais sur une période de 20 ans, soit la durée de vie moyenne d'un puits de gaz de schiste, le PRG du méthane est 72 fois celui du CO2... Cela fait dire à Lovelock qu'avec 2 % de taux de fuite, le gaz naturel provoque sur 20 ans un pic de réchauffement global qui équivaut à celui du charbon. Et que «si les fuites s'élèvent à 4 %, l'effet de serre culmine à un niveau trois fois supérieur à celui du charbon».
Situation absurde
Ces taux de fuite sont ceux de l'exploitation traditionnelle du gaz. Il est probable que l'exploitation de gaz de scpollhiste connaisse un taux plus élevé avec la multiplication des puits et des manipulations.
L'usine à gaz libérale aboutirait donc à cette situation absurde: afin d'exploiter une énergie dont le Québec pourrait facilement se passer, l'industrie utilisera et souillera des volumes gigantesques d'eau, contaminera inévitablement des nappes d'eau souterraines et contribuera à l'accélération d'un effet de serre déjà menaçant, lequel, justement, fera de l'eau le bien le plus précieux...
Gaz de schiste
Une précipitation suspecte
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Alain Brunel9 articles
Sociologue des organisations chez Technologia de Paris et cofondateur de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique
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