Les deux derniers versets de la prière Notre Père vont bientôt changer. Une nouvelle traduction française est parue en 2013 et est utilisée dans les églises françaises depuis Noël dernier. L'enjeu ? Éviter que les fidèles pensent que Dieu est la source du mal.
La source du mal
L'avant-dernière ligne du Notre Père va changer. Au lieu de « Ne nous soumets pas à la tentation », les catholiques diront « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». « Ça peut donner l'impression que c'est Dieu qui tente, explique Christian Lépine, l'archevêque de Montréal. On a parfois des gens qui nous demandent "pourquoi Dieu voudrait-il nous exposer au mal". Le pape François a déjà parlé de cette question. » Le changement a déjà été fait en France, mais la Conférence des évêques catholiques du Canada a indiqué en novembre dernier qu'ici ce serait « au plus tôt à l'avent 2018 ». « Il y a quelques éléments de concertation en marche au niveau oecuménique, et il y a le processus pour les changements dans le missel », le livre liturgique utilisé dans les églises du pays, dit Mgr Lépine.
Grec et latin
Jésus parlait probablement araméen, mais les deux évangiles qui font mention de la prière Notre Père, proposée par Jésus à ses disciples qui lui demandent de leur apprendre à prier, n'existent qu'en grec ancien (celui de Matthieu a peut-être été écrit en araméen, celui de Luc certainement en grec). Or, la traduction actuelle du Notre Père se base sur la version latine de l'original grec. « Le verbe latin "inducar" a été traduit par "soumettre" dans les années 60, mais en fait, en grec, c'est plus proche d'"induire", dit Mgr Lépine. Alors "soumettre" est trop fort. En anglais c'est encore plus fort, on dit "lead us not". » Mgr Lépine note que dans un autre passage des évangiles, dans le jardin de Gethsémani, à la veille de la crucifixion, le même verbe grec, « eisenenke », est utilisé et traduit différemment. « Jésus dit à ses apôtres "veuillez prier pour ne pas entrer en tentation", dit Mgr Lépine. Alors on a utilisé cette formulation pour la nouvelle version du Notre Père. »
Liberté
Le débat sur ce passage du Notre Père fait appel à la question plus générale du mal. « L'une des difficultés de la foi, c'est l'existence du mal, dit Mgr Lépine. S'il existe, c'est que Dieu le permet. Pourquoi ? Parce que Dieu veut notre liberté. Si nous ne pouvons pas choisir le mal, si nous pouvons seulement faire le bien, nous ne sommes pas libres. »
Le pape François
L'automne dernier, le pape avait encouragé des changements similaires du Notre Père dans d'autres langues, dans une série documentaire en neuf épisodes sur cette prière, diffusée par la chaîne télévisée de la conférence des évêques catholiques italiens, TV2000. « Le mal n'est pas quelque chose d'impalpable comme le brouillard de Milan. C'est une personne, Satan. Le sens du texte "Ne nous soumets pas à la tentation" est d'être astucieux dans le bon sens du mot, nous devons être attentifs, avoir la capacité de discerner les mensonges de Satan, avec qui, j'en suis convaincu, il n'est pas possible d'avoir un dialogue. »
Tutoiement
La version actuelle du Notre Père date des années 60. Auparavant, le passage se lisait « Ne nous laissez pas succomber à la tentation ». Le changement avait été réclamé par des exégètes protestants qui trouvaient que succomber ne traduisait pas bien « inducas ». Le changement du verset avait-il frappé Mgr Lépine, qui était alors adolescent ? « Non, ce qui nous avait plus frappés, c'était le passage du vouvoiement au tutoiement pour le Notre Père. En y repensant, "succomber" était plus semblable à "entrer en tentation". »
Épreuve
Des théologiens ont critiqué un autre aspect de la traduction française de l'avant-dernier vers du Notre Père, soulignant que le mot grec traduit par « tentation », « peirasmos », est plus proche d'« épreuve ». « Il ne s'agit pas des petites tentations de la vie quotidienne (manger du chocolat en Carême), mais de mise à l'épreuve », explique François Euvé, directeur de la revue jésuite Études, sur son blogue. « Cela s'oppose en effet à la confiance : vouloir vérifier la fiabilité d'une personne. Si je demande des preuves, c'est que je ne fais pas confiance. La défiance les uns à l'égard des autres est une spirale mortifère. » Le théologie dominicain français Patrick Jacquemont s'est aussi prononcé en faveur d'« épreuve » plutôt que « tentation », selon le quotidien catholique français La Croix.