Annoncer en même temps un surplus budgétaire de 13 milliards de dollars et un vaste programme de compressions, comme vient de le faire le ministre des Finances du gouvernement Harper, n'est pas une aberration en soi. On peut être riche et vouloir quand même faire des économies! Tout gouvernement est aussi en droit d'éliminer des dépenses qu'il croit inutiles. Si certaines compressions sont difficiles à accepter, c'est parce qu'elles reflètent un parti pris idéologique ou une vision du monde qu'aucun discours officiel d'efficacité ne parvient à masquer.
Contrairement à d'autres compressions, celles qui affectent le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international n'ont pas fait l'objet de beaucoup de dénonciations publiques. Elles seront pourtant lourdes de conséquences. Le ministère se fait amputer d'une partie essentielle de son budget de diplomatie publique, son projet de redéploiement d'effectifs à l'étranger se trouve compromis et son programme de consultation, de recherche et d'information du public en matière de politique étrangère est éliminé.
On estime sans doute que le consensus au pays sur des questions comme l'Afghanistan ou les relations avec les États-Unis est déjà assez large et qu'il n'y a pas lieu de consulter ou d'informer les citoyens à propos de ces enjeux. On doit aussi considérer qu'il est normal qu'un ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ait la plus grande partie de ses effectifs à Ottawa plutôt qu'à l'étranger.
On doit enfin juger que la «diplomatie publique» n'a pas de raison d'être. Serions-nous ainsi les derniers à comprendre que les relations internationales débordent largement le cadre des relations de gouvernement à gouvernement?
Le budget de diplomatie publique, c'est celui qui permet aux ambassades à l'étranger d'aider des artistes et des auteurs à se faire connaître sur de nouveaux marchés. Il permet aussi d'organiser des tournées de conférences pour des universitaires, des analystes économiques ou des scientifiques d'ici, qui peuvent raconter les défis qui sont les nôtres et la façon dont nous les relevons.
Ce même budget permet aussi d'amener au Canada des journalistes étrangers qui sauront parler de nous, des professeurs d'université qui s'intéresseront à nous et des directeurs de festivals qui offriront de nouvelles scènes à nos artistes.
Des pays comme le Royaume-Uni, la France ou l'Allemagne dépense près d'un milliard de dollars par an en diplomatie publique alors que les États-Unis, eux, viennent de tripler leur budget. Et nous? Nous sabrons allégrement cette année dans un budget de huit millions de dollars et il n'y aura tout simplement plus de budget de diplomatie publique à compter de la prochaine année fiscale.
Mesurons-nous seulement l'importance d'exister aujourd'hui sur la scène internationale? Beaucoup de nouveaux joueurs sont apparus et la concurrence est vive. Les pays rivalisent entre eux pour attirer les meilleurs immigrants, les meilleurs étudiants étrangers, les plus gros investisseurs et les créateurs de technologies nouvelles. Est-ce bien le moment de réduire notre visibilité?
L'époque où un premier ministre haut en couleur pouvait à lui seul donner au Canada un profil international est bien révolue. Pour espérer exercer une véritable influence dans le monde et pour réussir à tirer profit de la mondialisation, il faut déjà exister sur l'écran radar de nos partenaires potentiels.
Mesurons-nous seulement le rôle que les artistes et les intellectuels jouent dans la projection de l'image d'un pays? Qui fait mieux que Robert Lepage pour donner l'image d'un pays jeune, audacieux et créateur? Les Québécois comprennent mieux que la plupart des Canadiens le rôle que joue la culture dans l'expression d'une réalité nationale, mais on trouve hélas partout des gens qui associent la culture à un luxe ou à forme d'élitisme, sans compter ceux qui voient dans ce partage d'émotions qu'est la culture quelque chose de vaguement peccamineux.
La place du Canada dans le monde est quelque chose qui se mérite et qui se paye. Avoir à l'étranger des diplomates dont c'est le métier de promouvoir nos intérêts et leur donner les moyens d'exercer une action efficace, grâce notamment aux ressources de la diplomatie publique, c'est affirmer haut et fort que le monde nous intéresse. Le gouvernement Harper aurait tort de vouloir rétrécir nos horizons. Cesser de s'intéresser à ce qui se passe ailleurs, c'est cesser rapidement d'être soi-même intéressant.
Marie Bernard-Meunier : Ex-ambassadrice du Canada à l'UNESCO, aux Pays-Bas et en Allemagne
Une image écorchée
Budget Harper - 2007
Marie Bernard-Meunier18 articles
Diplomate de carrière, l'auteure a été ambassadrice du Canada à l'UNESCO, aux Pays-Bas et en Allemagne. Elle vit maintenant à Montréal et siège au conseil d'administration du CERIUM.
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