On n'arrive pas à sortir de l'impasse. Les élections fédérales belges de juin 2011 ont créé cette difficulté que le PS a largement gagné les élections fédérales en Wallonie et la NVA, parti nationaliste flamand, très à droite sur le plan économique, les a remportées en Flandre. Tant la nécessité politique et parlementaire qu'une sorte de loi non-écrite de la vie politique belge confie au parti vainqueur le soin de former un gouvernement. Comme il y a de plus en plus deux pays en Belgique dans le même pays, il s'agit ici de deux partis et de deux des chefs de ces partis, Elio Di Rupo côté wallon, Bart De Wever côté flamand.
Un an de négociations infructueuses
Le problème c'est que ces deux personnalités fortes politiquement sont responsables vis-à-vis de leur électorat, de deux programmes antithétiques. Ils le sont sur le plan communautaire. Alors que le Flamand veut confier un nombre considérable de nouvelles compétences aux entités fédérées, le Wallon n'y était pas disposé avant les élections de juin. Sur ce plan, des concessions ont été faites côté wallon. Mais il y a infiniment plus de réticences en ce qui concerne la régionalisation de la fiscalité qui fait peur à la Wallonie du moins à ses dirigeants, conseillés par des spécialistes éminents dans le domaine de la fiscalité et des comptes de l'Etat: le groupe 3 U 4 P. Bien qu'il puisse y avoir chez certains spécialistes, le sentiment que les partis traditionnels wallons engagés dans la négociation (les démocrates-chrétiens, les verts, les libéraux et les socialistes), ont tort de penser que cette réforme serait impraticable financièrement, économiquement en Wallonie.
Qu'en est-il exactement? C'est bien difficile d'y répondre. Certes, il y a des transferts financiers (automatiques, en fonction par exemple d'une sécurité sociale fondée bien avant que la Belgique ne devienne un Etat fédéral et qui est donc nationale ou via les impôts). Ils sont les moins élevés d'Europe. De plus l'épargne des ménages wallons est l'une des plus importantes d'Europe par rapport au PIB. En outre, la Wallonie est, dans le monde la meilleure cliente de la Flandre. Et, de toute façon, les responsables flamands, même les plus radicaux (comme les patrons du VOKA), ne comptent pas faire cesser immédiatement cette solidarité (à mon sens, ils n'y auraient tout simplement pas avantage: personne n'a avantage à ruiner son plus important client).
Alors, pourquoi ce blocage? Il me semble assez clair que les dirigeants wallons actuels, contrairement à la génération précédente sont moins chauds pour l'autonomie wallonne et plus craintifs devant les conséquences que celle-ci pourrait comporter en matière de standard de vie en Wallonie. Alors que du côté flamand, on a affaire à des gens qui sont plus radicalement autonomistes.
D'autres divergences
Mais il existe d'autres divergences. Avec la montée en puissance de la NVA, le paysage politique flamand s'est déporté considérablement vers la droite. La NVA est l'héritière d'un parti nationaliste flamand, la Volksunie, à situer plus au centre-gauche, dont les derniers dirigeants pouvaient même être considérés comme de gauche. Or les partis wallons qui ont vocation à former le gouvernement fédéral jusqu'ici introuvable, sont considérés comme "à gauche" par la NVA: les verts, les démocrates-chrétiens, les socialistes. Cela peut d'ailleurs étonner, ce vocabulaire, car ce sont plutôt des partis centristes, mais qui reculent devant les propositions les plus ultralibérales de la NVA sur le plan social ou dans des domaines comme l'accueil des réfugiés, la répression de la délinquance juvénile, la politique d'immigration. Autrefois, sur ces thèmes, il pouvait y avoir des affinités entre les démocrates-chrétiens, longtemps le plus important parti en Flandre et ces partis wallons dits "de gauche" . Car leur parti, le CD&V, a une aile proche des syndicats chrétiens, très forts en Flandre et d'ailleurs le mouvement syndical belge le plus important.
Des menaces plus politiques qu'économiques
On n'arrive donc pas à sortir de l'impasse. A mon sens, le blocage vient des deux côtés. Si la Belgique n'en souffre pas trop, c'est en raison du fait que les gouvernements des entités fédérées assument déjà des responsabilités très étendues et cela à un niveau étatique et qui se prolongent sur la scène internationale. En outre, dans notre système politique, quand le dernier gouvernement en place est tombé devant le parlement ou que l'un des partenaires a décidé qu'il s'en retirait, ce gouvernement est considéré comme démissionnaire, mais il est alors chargé d'expédier les affaires courantes. Formule qui, autrefois, était très restrictive dans la mesure où le temps de ces affaires courantes était assez bref (encore qu'il y ait eu déjà de longues crise comme par exemple en 1987-1988 qui a duré presque une petite dizaine de mois). Comme le gouvernement belge démissionnaire actuel est dans cette situation depuis avril 2010, il a peu à peu élargi ses compétences avec le consentement du Parlement élu le 13 juin 2011. Il a par exemple fait voter le budget, imposé ses vues dans le dialogue social et (ce qui est frappant tout de même), décidé de s'engager dans la guerre aérienne faite au dictateur de Libye. La confiance des marchés en ce qui concerne la dette publique belge est une épée de Damoclès qui pend au-dessus des négociateurs. Mais il n'est nullement sûr que la Belgique serait menacée d'une situation comme la Grèce notamment en raison de sa politique budgétaire qui va même au-delà des critères exigés par l'UE en ce qui concerne le déficit public, en raison de la croissance de son économie et sans doute aussi en raison du fait que rien que l'épargne des ménages belges est l'une des plus élevées d'Europe.
Une volonté d'écarter la NVA. Une opinion publique négligée et congelée
On ne peut pas exclure non plus l'hypothèse que les dirigeants wallons espèrent encore, tant pour former un gouvernement que pour procéder à la réforme de l'Etat, se débarrasser de la NVA et de traiter avec tous les autres partis flamands démocratiques, moins à droite sur le plan économique et social et moins radicaux dans le domaine de la réforme de l'Etat. Une réforme de l'Etat qui, cependant, sera très profonde.
C'est ici la plus grave critique que l'on doive faire aux dirigeants wallons: rien n'indique en effet que le monde politique se préoccupe de pédagogie à l'égard de la population wallonne. Même s'il existe une forte minorité de la population wallonne qui accepte que les pouvoirs de la Wallonie s'étendent, il existe une minorité un peu plus forte dans cette même population pour désirer que rien ne change voire même le retour à l'Etat belge unitaire. Face à la mobilisation évidente de l'opinion flamande, au moins au plan politique et des partis politiques, la même opinion politique wallonne désireuse de voir la Wallonie s'émanciper, ne trouve pas vraiment de relais au plan politique et c'est l'autre minorité politique wallonne, clairement sur la défensive, qui est déterminante. Le fait qu'il y ait un accord entre les trois universités wallonnes et les quatre partis politiques wallons (3 U 4 P), pour dégager la doctrine, les arguments et l'information utiles face à la Flandre a pour effet d'écarter encore plus complètement l'opinion publique du débat. En effet, tout le monde est d'accord pour dire que les partis politiques sont réellement tenus en laisse par des présidents pratiquement tout-puissants. Si à cette toute-puissance s'ajoute le poids de professeurs d'universités à leur service dans des domaines très techniques (je ne dis pas qu'ils faussent les analyses, mais ils les font dans une certaine direction), vous étouffez tout.
Une vie politique wallonne bloquée par le groupe "3 U 4 P"
Ce qui est très grave, c'est que depuis les années 60 et 70, il y a toujours eu une partie importante de l'opinion wallonne qui voit d'un mauvais oeil et prend peur devant toute responsabilité nouvelle que devrait assumer la Wallonie, même dans des domaines limités. Le fait que ces responsabilités ont été au total bien assumées depuis des dizaines d'années n'y change rien.
Or, à cette peur rampante de la société wallonne s'ajoute maintenant, flattant cette peur au nom de la prudence et du savoir (!), cette alliance étroite quasi-contractuelle entre les universités, les partis politiques et leur organisation non-démocratique, concentrant les pouvoirs entre les mains d'un seul homme ou d'une seule femme: la présidentocratie. On appelle cette combinaison, alliée de la résidentocratie, les 3 U 4 P ), car elle unit les 3 universités (U) wallonnes et les 4 partis politiques (P). Le groupe 3 U 4 P est d'un dogmatisme politique et économique qui ferait pâlir celui de la Sainte Inquisition à la grande époque. Personne n'a le droit de dire quoi que ce soit hors de ces 3 U 4 P. Ni même le droit de penser. La Belgique est peut-être bloquée, mais la Wallonie, elle, s'en trouve congelée à une température où l'air devient liquide, voire solide. Certes, il existe aussi un Plan Marshall associant tous les acteurs sociaux importants, mais c'est un programme à long terme et sur lequel on est tout juste un peu informé grâce des revues de réflexion fatalement confidentielles. Le seule contre-pouvoir intellectuel c'est, d'une certaine façon, un organisme qui a d'ailleurs acquis une dimension européenne, l'Institut Destrée. On y lira notamment que les présidents de parti, sans être eux-mêmes au gouvernement, dirigent les «différents niveaux de pouvoir dont ils ont largement contribué à désigner le personnel politique». Si, maintenant, ils désignent aussi pour encadrer leur politique générale, des professeurs d'universités plus technocrates qu'universitaires, que leurs collègues auront du mal à désavouer (en raison des avantages que vaut cette situation pour la corporation), que reste-t-il comme élément extérieur susceptible de dynamiser la population?
Rien.
C'est d'autant plus tragique que ces 3 U 4 P ne démentent pas les informations les plus délétères répandues par les Flamands sur la Wallonie puisque la peur du pays wallon est la meilleure alliée de la politique purement défensive que mène sa classe politique.
Une combinaison universités/particratie bloque la Wallonie
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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