1.) Quelle architecture pour un bâti en patchwork?
Depuis quelques mois, et même depuis quelques années, ce n'est pas tant l'immigration qui fait l'objet de discussions pénibles et malaisées mais bien l'intégration des immigrants qui s'avère souvent complexe et par moments compliquée en raison d’épiphénomènes incontrôlés.
J’ai lu le projet du ministère de l’Immigration de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI) intitulé «Vers une Nouvelle Politique Québécoise en matière d'Immigration, de Diversité et d'Inclusion (NPIDI)». Le sentiment d’insatisfaction que j’ai ressenti m’a incité au questionnement suivant : est-ce une illusion donc, une utopie qui ne se vérifiera pas ou la panacée, c'est à dire une situation idéale qui est recherchée?
La rédaction d’un mémoire avec l’objectif d’une audition par la Commission des relations avec les citoyens (CRC) de l'Assemblée nationale venait de devenir un projet d’écriture. Mais les intervenants qui allaient être entendus, en raison apparemment de leurs sympathies, avait été présélectionnés par le MIDI depuis juillet 2014. J’ai donc décidé de faire publier le résumé de mon mémoire.
Dans l’absolu personne n’ignore que si une institution, notamment gouvernementale, projette de modifier, compléter ou remplacer une politique, qui a déjà fait l'objet de deux révisions à dix ans d'intervalle, c'est que des insuffisances et des difficultés ont été relevées çà et là.
Le travail d'ajustements et de mise à niveau que dévoile la NPIDI est fort louable. Cependant, selon ma compréhension, ce sont des modifications de fonds qui sont préconisées, sans le développement organisationnel et fonctionnel nécessaire et suffisant. Imaginons un instant que par cette NPIDI c’est le remodelage de l'ensemble de la société qui est recherché. Les raisons suivantes le laisseraient entendre : premièrement, elle n’épouse pas forcément les exigences de ce début de siècle, ensuite elle est judicieusement présentée sous le couvert de la préservation des libertés, non pas et seulement individuelles mais aussi collectives. C'est pour cela qu’elle peut être considérée comme une architecture nouvelle de la société québécoise.
Par conséquent, tout le cadre de références sera modifié et tendra d’une part, à la redéfinition des concepts de l’inter culturalité qui deviendrait spécifique au Québec, de la diversité ethnoculturelle, de l’inclusion et pour couronner le tout, des particularismes - Autochtones et Anglophones (singularisés) qui sont cités par référence à l’Histoire et aux lois qui les définissent, tout en restant muet sur la définition du Québécois auquel tout et tous devraient se référer. Et, les autres, NOUS qui venons d’ailleurs, nous le sommes par le terme générique de COMMUNAUTÉ .
Pourtant, les immigrants arrivés depuis les 20 dernières années - ne l’ont pas été en tant que chrétiens, juifs, musulmans, bouddhiste ou encore d’Asiatiques, de Maghrébins, de Latino, Slaves, etc. - Ils ne sont pas venus pour faire partie d’une communauté d’origine… mais pour faire partie intégrante de la société d’accueil. Ils sont venus en tant qu’immigrants pour devenir des citoyens à part entière. Ils sont venus et ils disposent de potentiels extraordinaires par leurs qualifications, par leurs compétences et par leurs expériences. Cependant, leur employabilité limitée et le chômage génèrent des conséquences pénibles, d'abord sur leur santé mentale et, au plus loin, sur l'avenir de leurs enfants et de leur stabilité sociale.
2.) Des espaces séparés ou un espace commun à tous les citoyens
Si la politique actuelle révisée et ajustée, il y a de cela quelques années, n’a pas été suffisamment bien pensée, bien réfléchie et bien mise en œuvre compte tenu du bilan global qui en est fait (voir statistiques et autres indicateurs d’appréciation), n’aurait-il pas été plus approprié d'abord de ne pas refaire la même erreur de lecture et de révision et ensuite d’établir un inventaire des budgets alloués et de leur utilisation, des bienfaits majeurs et des effets altérés et observés.
L'analyse de l'organisation sociétale projetée par la NPIDI, fait que plusieurs autres questionnements interpellent par leur fond. D’abord, ne recherche-t-on pas le renforcement d’un statu quo qui se fragilise de plus en plus avec le vieillissement de la population?
Ensuite, le fait de singulariser les communautés, les ethnies, les groupes communautaires, les ensembles culturels n’est-ce pas l’expression d’une volonté de morcellement de la grande nation québécoise en devenir? Ou encore la recherche du maintien d’une société distincte du reste de l’Amérique du Nord qui par certains gouvernants veut maintenir cette distinction y compris à l’endroit des immigrants de dates récentes?
Enfin, l’érection de frontières entre des groupes de personnes, de communautés, d’ethnies, de tribus - hommes et femmes - admises et acceptées parce qu’elles existeraient déjà comme de simples limites folkloriques, culturelles, religieuses ou encore sexistes, ne serait-ce pas, en premier lieu, pour les empêcher de se rapprocher et ainsi de prévenir toute mobilité à l'extérieur d'un espace défini qui est leur quartier et deuxièmement ne servirait-elle pas de prémices au renforcement d’une suprématie qui ne dit pas son nom?
Nous passerons ainsi des traditionnels quartiers des Italiens, des Asiatiques, des juifs, des autochtones, des Anglophones, à ceux des Libanais et des Syriens, des riches, des moins riches et des pauvres, etc. et depuis quelques années est venu s’ajouté celui des Maghrébins… il y aussi celui des Québécois...? Tiens ou sont-ils les Québécois dans tout ça? Il faudra aussi penser à ceux des chrétiens – arabes, à ceux des Latinos, des Caribéens et ainsi de suite. Ils existent peut-être et nous ne le savons pas.
3.) Un patchwork n’aide pas à réfléchir et à rechercher des facteurs de convergences
Alors, je me suis demandé si le Québec fera partie de ces espaces où s’érigent de nouvelles barrières; barrières certes virtuelles mais des barrières malgré tout, comme s'il fallait se protéger d'un danger imminent et éminemment à haut risque?
Là aussi émettons l’hypothèse que ce qui est recherché c’est la mise en place de frontières entre des groupes de personnes, des communautés, des ethnies, des tribus - hommes et femmes - pour renforcer un pouvoir qui ne dit pas son nom en les empêchant de se rapprocher et ainsi de prévenir toute mobilité à l'extérieur d'un espace défini qui est leur quartier (Il faudra alors des autorisations de transferts et de mobilité).
Sinon, comment pourrait-on les considérer comme de simples limites : folkloriques, culturelles, religieuses ou encore sexistes, etc.? Selon notre compréhension de la démarche, il s'agit ni plus ni moins que d'une parcellisation de la mosaïque, de la grande nation québécoise en devenir.
Au moment où il faut réfléchir et rechercher des facteurs de convergence et des principes fédérateurs de toutes les communautés jusqu’à obtenir une belle entité, à la fois harmonieuse et diversifiée par ses citoyens, ce sont des caractérisations qui les isolent alors que c’est leur INCLUSION qui est recherchée.
Les immigrants qui sont venus au Canada et au Québec l’ont fait sachant qu’ils acquièrent le droit du sol qui régit toute démocratie véritable. À partir de ce moment-là, ils accèdent à un territoire, une province, un pays possédant des institutions bien établies qui peuvent faire l'objet de changements, quelques fois majeurs et parfois mineurs, mais dont le caractère humain et intégrateur doit être accepté par tous pour que chacun puisse mettre en œuvre sa volonté de participer à part entière à la vie de la collectivité. Et ça c'est la démocratie. Il ne faut surtout pas oublier que le premier pas de celle-ci est symbolisé au niveau local et non pas au niveau d'un groupe ethnique, communautaire ou tribal.
Si le pouvoir est détenu par une poignée d’hommes, par quelques représentants d’une communauté ethnique ou religieuse particulière, ou par n'importe lequel des lobbies qui sévissent de nos jours, c’est qu’il n’appartient pas à tous et que les valeurs sont fragiles. C’est encore pire lorsque ce sont les femmes qui en sont exclues.
Ferid Chikhi est conseiller en insertion socioprofessionnelle et en intégration socioculturelle.
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