À en croire les chefs de gouvernement, il semblerait que ce ne soit qu’une question de temps. Que d’ici 12 à 18 mois, on disposera de millions de doses d’un vaccin efficace contre le coronavirus. Et que la vie en société reprendra des airs de normalité. Or, peut-on être certain que ce vaccin verra le jour, tout simplement ? Les chercheurs savent ce qu’ils cherchent, mais savent-ils s’ils vont le trouver ?
Pour l’instant, impossible d’affirmer à coup sûr que les efforts pour élaborer un vaccin contre le SRAS-CoV-2 seront couronnés de succès, disent des experts en la matière interrogés par Le Devoir. Mais au-delà de cet écran de prudence, la plupart se montrent optimistes et croient qu’au moins un vaccin contre le coronavirus sera à la clé de la centaine de projets en cours.
« Il n’y a jamais rien de garanti, admet le virologue Alain Lamarre, de l’Institut national de la recherche scientifique. Néanmoins, il faut être optimiste. On voit que le système immunitaire est capable d’éliminer le coronavirus, qu’il y a production d’anticorps, et que ces anticorps sont protecteurs. »
Selon le titulaire de la Chaire Jeanne et J.-Louis Lévesque en immunovirologie, il est donc très raisonnable de penser qu’un vaccin pourra induire les mêmes anticorps et protéger de l’infection.
Le spécialiste en immunologie André Darveau, également vice-recteur de l’Université Laval, juge lui aussi qu’on ne peut être absolument certain qu’un vaccin verra le jour. Pour l’instant, les chercheurs avancent « à tâtons », sans connaître la manière par laquelle le système immunitaire dompte le coronavirus. M. Darveau voit toutefois d’un bon œil le très grand nombre de stratégies différentes mises à l’essai pour élaborer ledit vaccin.
« On peut espérer qu’il y en aura une qui fonctionnera, on a le droit d’être optimiste », dit-il.
« Il n’y a pas de consensus scientifique sur cette question, car nousn’avons pas assez de recul », répond quant à lui Andrés Finzi, un virologue de l’Université de Montréal et le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en entrée rétrovirale.
Spécialiste du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), pour lequel aucun vaccin n’existe, le Dr Finzi a réorienté ses recherches vers le SRAS-CoV-2 et demande encore à être convaincu que ce vaccin verra bel et bien le jour.
L’expérience du VIH a effectivement de quoi décourager. Depuis près de quatre décennies, des scientifiques s’échinent à développer un vaccin pour combattre ce virus responsable du sida, qui s’attaque directement au système immunitaire. Les écueils sont nombreux : le VIH mute à une telle vitesse que, sitôt développés parl’organisme, les anticorps ne sont déjà plus aptes à neutraliser le virus. De plus, celui-ci s’infiltre au sein même du génome des cellules, ce qui le rend invisible pour le mécanisme de défense du corps.
Quelques bonnes nouvelles
Heureusement, le SRAS-CoV-2 ne pose pas de telles difficultés. L’immense majorité des malades développent une réponse immunitaire adéquate et s’en remettent sans encombre. Des chercheurs rapportaient mardi dans une étude non révisée par les pairs que la quasi-totalité de 624 personnes déclarées positives à la COVID-19, dans la région de New York, avaient développé des anticorps spécifiques au virus.
Au chapitre des bonnes nouvelles, notons aussi que le SRAS-CoV-2 mute lentement. Comme les autres coronavirus, il est équipé de protéines qui corrigent les erreurs lors de la copie de son matériel génétique. Puisque son génome, long de 30 000 nucléotides (A, C, G, U), change peu au fil du temps, ses techniques pour conquérir l’organisme évoluent aussi à basse vitesse. En conséquence, un système immunitaire muni des bons anticorps pourra défendre l’organisme relativement longtemps avant de devenir caduc en raison de mutations dans le virus.
Il est néanmoins difficile de prévoir exactement combien de temps un éventuel vaccin resterait efficace après l’injection. Les quatre coronavirus bénins qui provoquent des rhumes chez l’humain induisent une protection immunitaire pendant un an ou deux, avant que des mutations ne viennent à nouveau brouiller les cartes du système de défense du corps.
« Avec un peu de chance, le vaccin contre le SRAS-CoV-2 va durer pendant deux ou trois ans, mais c’est très difficile de le prévoir présentement », observe André Darveau.
Expériences passées
Pour l’instant, aucun vaccin n’existe contre l’un ou l’autre des sept coronavirus affligeant l’être humain. Puisque le virus responsable du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV-1) a complètement disparu après l’épidémie de 2003, les efforts pour développer un vaccin se sont essentiellement arrêtés. (Des vaccins protègent toutefois des animaux, dont les chiens, de certains coronavirus.)
Il est malgré tout possible d’apprendre de ces tentatives passées — et d’anticiper les difficultés. Par exemple, des expériences sur le SRAS-CoV-1 ont permis de constater un problème inquiétant chez des modèles animaux. Exposés au virus, les cobayes ont développé des anticorps qui les rendaient plus vulnérables à l’infection, plutôt que de les protéger.
Ce dysfonctionnement du système immunitaire, complètement improductif, n’est pas spécifique à l’immunisation par la vaccination ; il peut aussi survenir chez un sujet qui contracte la maladie naturellement. Par le passé, ce phénomène a provoqué des revers notables dans la quête de certains vaccins, dont celui contre le virus respiratoire syncytial.
« Si un vaccin candidat contre le SRAS-CoV-2 devait produire cet effet, il faudrait le détecter rapidement pour ne pas perdre de temps », explique Gary Kobinger, un chercheur de l’Université Laval reconnu pour ses travaux sur Ebola et détenant la Chairede recherche du Canada en immunothérapie et plateformes vaccinales innovantes.
Cette possibilité inquiète un peu M. Kobinger, mais il se montre, lui aussi, globalement optimiste quant aux chances de développer avec succès le fameux vaccin dans des temps raisonnables. « Rien n’est certain — sauf peut-être de voir de la neige l’hiver prochain entre ici et le pôle Nord — mais les chances [d’élaborer un vaccin] sont avec nous », juge-t-il.