Stephen Harper serait-il sur le point de réaliser le rêve que tous ses prédécesseurs conservateurs ont poursuivi en vain depuis les beaux jours de sir John A. MacDonald, soit remplacer le PLC comme parti naturel de gouvernement au Canada?
Dans un texte publié récemment dans le Globe and Mail, l'historien émérite -- et conservateur -- de l'Université de Toronto Michael Bliss estime que le pays est arrivé à un tournant de son histoire et prédit que M. Harper deviendra le prochain Mackenzie King, qui a occupé le poste de premier ministre pendant plus de 21 ans, un record dans l'histoire du Commonwealth.
Il constate que M. Harper a réussi à occuper le centre du spectre politique en adoptant des positions, notamment en matière économique, qui auraient très bien pu être prises par Jean Chrétien ou Paul Martin, ce qui a eu pour effet de déstabiliser les libéraux de Michael Ignatieff, qui ne savent plus trop s'ils doivent l'attaquer par la gauche ou par la droite.
Certes, il faut se méfier des conclusions trop hâtives. Il n'y aura vraisemblablement pas d'élections avant le printemps et six mois constituent une éternité en politique. Deux sondages dont les résultats ont été publiés coup sur coup cette semaine tendent néanmoins à renforcer cette hypothèse. Strategic Counsel accorde une avance de 13 points aux conservateurs dans l'ensemble du pays et de 16 points en Ontario, où se joueront les élections. Ekos les place 14 points devant le PLC en général et 11 points devant en Ontario.
Les résultats concordent moins au Québec, où le PC recueille seulement 15 % des intentions de vote selon Strategic Counsel, et 22 % selon Ekos. Si le résultat dans l'urne se situait à mi-chemin de ces deux chiffres, les conservateurs pourraient ne conserver qu'une poignée de sièges au Québec, mais leurs gains substantiels en Ontario leur assureraient quand même une majorité de sièges à la Chambre des communes.
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Certains seraient sans doute heureux de se débarrasser du boulet québécois; ce n'est pas du tout le scénario qu'envisageait après les élections de 2006 le principal stratège conservateur et maître à penser de M. Harper, Tom Flanagan, dans son livre intitulé Harper's Team. Behind the Scenes in the Conservative Rise to Power.
M. Flanagan visait lui aussi à faire du PC le «parti majoritaire au Canada pour la prochaine génération». Dans son esprit, cela supposait bien qu'il fasse des gains dans les banlieues de Toronto et de Vancouver, mais élargir sa tête de pont au Québec, où il avait remporté 10 sièges en janvier 2006, faisait aussi partie de la formule.
Aujourd'hui, le Québec n'est tout simplement plus une pièce essentielle sur l'échiquier électoral canadien. M. Harper est en voie de faire la preuve qu'il est possible de former un gouvernement majoritaire sans lui.
Au surplus, la recomposition projetée de la Chambre des communes, qui augmentera de façon substantielle le nombre de députés en provenance de l'Ontario et des provinces de l'Ouest, alors que la représentation du Québec demeurera inchangée, rendra son appoint de moins en moins nécessaire.
Cela risque aussi de modifier sensiblement la perception que les Québécois ont du Canada, et vice-versa. Le Québec aura de plus en plus le sentiment d'être laissé pour compte et le reste du pays sera de plus en plus agacé par ses récriminations.
Dans l'esprit de plusieurs, voter pour le Bloc est déjà une forme de séparation virtuelle. L'élection d'un gouvernement majoritaire au sein duquel ils n'auraient plus de point de repère en amènerait sans doute d'autres à s'interroger sur la pertinence de poursuivre l'expérience canadienne. On a beau aimer les Rocheuses, il y a des limites à être gouverné de l'extérieur.
Il est vrai que l'Ontario assurait aussi les majorités de Jean Chrétien, mais lui-même était élu au Québec et des poids lourds comme Paul Martin ou Martin Cauchon pouvaient donner l'impression de faire contrepoids. S'il fallait que M. Harper soit forcé de rappeler Maxime Bernier ou même d'offrir une promotion à Jacques Demers...
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La fortune du mouvement souverainiste a toujours été étroitement liée à la conjoncture. Depuis le congrès de juin 2005, qui a entraîné le départ de Bernard Landry, elle l'a très mal servi. L'élection d'André Boisclair, dont les lacunes sont très vite apparues, a coïncidé avec l'arrivée à Ottawa d'un premier ministre qui promettait un «fédéralisme d'ouverture».
Même si la réalité d'un gouvernement conservateur en a fait déchanter plusieurs, la flamme demeure vacillante. Selon le dernier sondage Crop, l'appui à la souveraineté se situe à 37 %. Avec la question de 1995 sur la souveraineté-partenariat, le oui grimpe à 42 %.
La récession n'a pas contribué à améliorer les choses. Manifestement, la population n'a pas été convaincue par l'argument de Pauline Marois, qui soutenait qu'un Québec souverain s'en serait mieux tiré. Depuis le début de l'année, tout semble glisser sur le gouvernement Charest comme sur le dos d'un canard.
Le propre de la conjoncture est cependant de changer. Si Michael Bliss voit juste, les prochaines élections fédérales pourraient être un tournant pour le Québec aussi.
Un tournant ?
Si Michael Bliss voit juste, les prochaines élections fédérales pourraient être un tournant pour le Québec aussi.
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