Quand je lui ai dit, avec enthousiasme, que je m'apprêtais à lire le Qui a raison? du duo Facal et Pratte, un collègue facétieux m'a lancé que poser la question au sujet d'un de ces deux-là, c'était déjà avoir tort. Il faisait référence, bien sûr, à la prétendue «lucidité» de nos deux ferrailleurs. De ce point de vue, je me voyais obligé de lui donner raison contre eux. Le discours alarmiste et les solutions libérales des «lucides», entonnés en choeur par Facal et Pratte, ne sont, en effet, pas ma tasse de thé. Sur ce plan, nos deux larrons en foire ne me convainquent pas du tout.
Or Qui a raison?, s'il aborde au passage cette facette de leur travail, ne traite pas d'abord de ces enjeux. Il s'agit plutôt, essentiellement, d'un dialogue argumenté sur la question nationale, et le fait qu'il soit mené par deux intellectuels qui s'entendent, par ailleurs, sur une foule d'enjeux socioéconomiques me semble révélateur d'une vérité que d'aucuns peinent à reconnaître. Cette vérité, c'est celle selon laquelle la question nationale ne relève pas du clivage gauche/droite.
On peut, en d'autres termes, être un souverainiste de droite ou de gauche et un fédéraliste de droite ou de gauche (même si ce dernier cas, au Québec, est plutôt rare). Aussi, les souverainistes qui rendent leur adhésion à cette option conditionnelle à un projet de société de gauche sèment-ils la confusion dans ce débat. L'enjeu de la souveraineté, c'est la liberté nationale. Une fois acquise, celle-ci, c'est sa nature, permet tous les choix. En mettant aux prises deux débatteurs de centre-droite qui se divisent sur la question nationale, cet ouvrage a le mérite de rappeler que cette dernière n'est pas soluble dans la question sociale, qui reste ouverte.
Je ne partage pas, donc, la lucidité telle que défendue par Facal et Pratte, mais je reconnais que, pour débattre des enjeux respectifs de la souveraineté et du fédéralisme, ces deux-là sont des argumentateurs de première classe. Dans le coin bleu se trouve Joseph Facal, ancien ministre péquiste, professeur à HEC Montréal et chroniqueur politique chevronné. Depuis une dizaine d'années, il s'impose comme un des défenseurs les plus efficaces de la cause souverainiste. Dans le coin rouge se tient André Pratte, éditorialiste en chef à La Presse. Ex-souverainiste velléitaire, il est devenu, depuis sa nomination à son prestigieux poste, le plus brillant fédéraliste du Québec. La passe d'armes, avec de tels bretteurs, s'annonce stimulante.
Pour mener à bien cet échange corsé, les débatteurs ont accepté des règles du jeu qui devraient servir d'exemples à tous ceux qui participent à cette discussion. Les réflexes, premièrement, doivent céder le pas à la réflexion. Il importe, aussi, de reconnaître la légitimité des deux thèses en présence et de refuser l'insulte au profit des arguments. L'émotion, bien sûr, est permise, mais pas les procès d'intention. «Par exemple, écrivent conjointement Facal et Pratte, est-il nécessaire de tenir pour acquis, comme on le fait trop souvent, que les fédéralistes ne sont pas aussi patriotes que les souverainistes ou que les souverainistes ne sont pas aussi ouverts sur le monde que les fédéralistes? Nous sommes tous québécois. Nous voulons tous que notre nation continue de prospérer dans la paix, la démocratie, la diversité. Et bien sûr, en français.» Cela admis, le débat peut commencer.
Le choix canadien
Le fédéraliste Pratte affirme prendre acte du choix canadien, récemment réitéré deux fois par les Québécois. Ces derniers, rappelle-t-il sur la foi d'un sondage, sont fiers d'être aussi canadiens. Pays prospère et envié à travers le monde, le Canada «nous a laissé toute la place nécessaire pour faire ce que nous souhaitions faire». Nous contrôlons, par exemple, une partie importante de notre immigration, la formation de la main-d'oeuvre, la santé, l'éducation, et le Québec, «reconnu comme une nation», bénéficie de la péréquation canadienne. Cette réalité, somme toute enviable, vaut mieux que le «mirage» souverainiste.
«Défaire la machine fédérale», d'ailleurs, serait long, complexe et ne mettrait pas fin aux chicanes avec le fédéral puisque le Québec souverain devrait continuer à faire affaire avec le Canada. Il est vrai que notre malaise constitutionnel fragilise le pays et il faut souhaiter qu'il se règle un jour, mais ce n'est pas une urgence. Les Québécois ont aussi leur part de blâme dans cette impasse puisque les plus nationalistes d'entre eux ont combattu toutes les tentatives d'entente constitutionnelle.
Le Québec dispose de la marge de manoeuvre nécessaire pour assumer son destin comme il l'entend et les francophones, au Canada, contrairement à ce que prétendent les adversaires du multiculturalisme, conservent un statut privilégié par rapport aux autres minorités. Même indépendants, conclut Pratte, les Québécois resteraient minoritaires en Amérique du Nord. À nous de tirer notre épingle du jeu, dans le contexte actuel, en veillant notamment à la croissance de notre population.
Une responsabilisation collective
Le souverainiste Facal prend le contre-pied de cette argumentation. Le Québec, réplique-t-il, n'est pas libre dans un Canada qui lui impose une Constitution irréformable. Forcé de négocier à 1 contre 10, il n'a aucune chance d'imposer son point de vue. Souverain, il continuerait de traiter avec le Canada, mais dans une position plus favorable. Facal souligne à Pratte qu'il trouve révélateur le fait de le voir insister sur la difficulté de la transition vers la souveraineté depuis qu'il est devenu impossible de contester la viabilité du projet. Il lui rappelle aussi que le sort des francophones hors Québec illustre avec force le peu de cas que fait le Canada des descendants du peuple fondateur.
Le coeur de son argumentation, qui répond point par point à celle de Pratte, repose toutefois sur la réponse à la question suivante: «Quel est le statut politique qui permet le mieux d'aménager et de faire s'épanouir cette identité culturelle [la québécoise, qui englobe la langue, les valeurs, les traditions et les institutions] dans le monde d'aujourd'hui et tel qu'il semble se dessiner pour l'avenir?» Les partisans de la réforme du fédéralisme dans le sens des demandes du Québec n'ont plus d'interlocuteurs dans le reste du Canada. Aussi, selon Facal, la seule option valable est la souveraineté. Elle permettrait une responsabilisation collective qui «nous grandirait psychologiquement, en plus bien sûr de mieux nous outiller». Reprenant [la thèse de la fatigue culturelle naguère avancée par Hubert Aquin->aut936], il explique que, faute de souveraineté, la préservation de l'identité culturelle devient une responsabilité individuelle, avec les effets pervers qui s'ensuivent. «Chacun porte alors sur lui, écrit-il, le fardeau du destin collectif. Il y a donc enfermement dans l'ethnicité, la récrimination, le repli sur soi, dans des attitudes défensives de "survivance" du groupe, comme on disait jadis.» La souveraineté, en mettant un terme à la concurrence du modèle canadien, nous permettrait d'élaborer nos propres politiques d'intégration, de voter nos lois et de «diminuer l'insécurité des francophones du Québec qui ne seraient plus une minorité, mais une majorité dans leur propre pays».
Qui a raison? Chacun, bien sûr, répondra en son âme et conscience, mais, pour ce faire, il disposera, après avoir lu ce livre rafraîchissant, honnête et plein d'intelligence rédigé par deux argumentateurs redoutables, du meilleur, solutions «lucides» mises à part, des deux camps.
louisco@sympatico.ca
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Qui a raison ?
Joseph Facal et André Pratte
Boréal
Montréal, 2008, 224 pages
Essais québécois - "Qui a raison?"
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