Depuis quelque temps, le maire Tremblay, Tourisme Montréal, le patronat du Québec et d’autres s’inquiètent des effets négatifs que pourraient avoir les manifestations – d’abord étudiantes et maintenant populaires – sur les évènements qui vont se dérouler à Montréal cet été, en particulier le Grand Prix de Formule 1.
Jouer sur la peur est en vogue. La peur de perdre la session pour faire cesser la grève étudiante. La peur des amendes pour faire cesser les manifestations. Et comme si ça ne suffisait pas, la peur que l’image internationale de Montréal soit ternie. Ne tombons pas dans ce jeu. Profitons plutôt de cette formidable mobilisation populaire pour renforcer l’image de Montréal en y organisant un référendum sur la tenue du Grand Prix. Pour la première fois dans le monde, le peuple serait consulté pour se prononcer sur ce sujet controversé. Quel que soit l’issue du vote, ça serait une grande victoire pour Montréal.
Nous ne répéterons pas les arguments des promoteurs de la F1, tant l’espace public dont ils disposent est grand; faire tourner l’économie à Grand Prix constitue un bon résumé de leur argumentaire.
La F1 est avant tout un étalage de richesse et de pouvoir réservé aux VIP de ce monde, venus pour se montrer et discuter discrètement de leurs petites affaires, bien protégés derrière des barrières, des cordons policiers et, comme on n’est jamais trop prudent, des agents de sécurité privés. Une caricature des « résidences protégées » qui fleurissent des États-Unis d’Amérique à l’Afrique du Sud en passant par le Brésil, où les riches s’enferment dans des îlots de prospérité, hors d’atteinte du reste de la population. Même la SAQ, pourtant très puissante quand il s’agit de réguler la vente d’alcool, a dû plier devant la F1 et laisser ses privilèges au très chic Paddock Club. Bien sûr, la population n’est pas complètement exclue. Ça serait trop grossier. Elle peut payer fort cher un accès aux gradins pour voir et entendre les bolides tourner en rond. Cela permet non seulement de masquer les indécentes inégalités sociales, mais de financer le loisir des super-riches avec l’argent de tout un chacun.
La F1 est aussi une caricature de la destruction inconsidérée de l’environnement, en faisant la promotion de la voiture, de la vitesse et de la surconsommation. C’est un symbole puissant qui promeut un modèle de société fondamentalement basé sur les énergies fossiles. Or, on s’approche de leur épuisement. Si les prix élevés du pétrole ne sont pas suffisamment convaincants, l’exploitation des sables bitumineux montre de manière éclatante que la production n’arrive pas à suivre. Pourquoi sinon extraire au prix fort des ressources connues depuis fort longtemps mais jugées inintéressantes jusqu’à peu? Peut-on vraiment considérer comme un succès de notre civilisation, avec toute sa science et sa technologie, le fait d’être obligés d’aller pomper les dernières gouttes d’hydrocarbure au risque d’un réchauffement climatique majeur dont nous ne voyons encore que les prémices? Cependant, les intérêts en jeu sont tels qu’une attitude de déni, abondamment financée bien que totalement anti-scientifique et irrationnelle, domine maintenant les médias. Ainsi, après 32 mois consécutifs avec une température moyenne au-dessus de la normale au Québec, après la tornade la plus précoce jamais enregistrée à Mirabel il y a peu, le problème du réchauffement climatique n’est pas évoqué, encore moins discuté. Se mettre la tête dans le sable, même bitumineux, ne règlera pas la question!
Ouvertement opposé à la démocratie (elle "n'a pas fait grand bien à beaucoup de pays"), le détenteur des droits commerciaux dérivés de la F1, Bernie Ecclestone, est un grand utilisateur des paradis fiscaux. Le journaliste suisse Sylvain Besson, dans sa recherche intitulée L'argent secret des paradis fiscaux citant notamment The Economist, révèle que les droits d'exploitation de la F1 sont consignés sur un mode emboîté impliquant une entreprise anglaise, différents holding à Jersey et un avocat suisse. Les jeux d'écriture comptable que cet agencement permet mettent les milliards des Grands Prix à l'abri de l'impôt. De quoi donner quelques sujets de méditations aux étudiants québécois sur l'arithmétique de la "juste part".
La F1 pourrait être critiquée sous bien d’autres angles. Culte de l’individualisme. Culte de la compétition à tout prix. Augmentation de la prostitution lors des Grands Prix. Etc.
Au moment où divers mouvements sociaux au Québec et dans le monde revendiquent d’être entendus (on n’a qu’à penser aux centaines de milliers de personnes réunies à Montréal pour le Jour de la Terre), l’heure est aux choix de société. Est-il normal que les citoyens du Québec subventionnent le Grand Prix à coup de dizaines de millions de dollars par l’entremise des fonds publics, au bénéfice de quelques entreprises privées?
Un référendum permettrait aux Montréalais de discuter démocratiquement des avantages et des désavantages de tenir un Grand Prix de F1. Il faudrait faire très attention à l’immense disproportion des moyens, avec d’un côté des milliards de dollars et l’essentiel des médias, et de l’autre, de simples citoyens. On voit bien en ce moment les publicités en faveur de l’exploitation des sables bitumineux qui passent en boucle à la télévision, moyen d’action hors d’atteinte financière pour leurs opposants. Ainsi, donner le même temps de parole aux deux camps et interdire toute forme de publicité, seraient deux conditions minimales pour garantir un scrutin équitable.
On peut imaginer qu’en aidant à organiser un tel référendum rapidement et dans des conditions justes et équitables, en donnant la parole aux Montréalais, le maire Tremblay disposerait d’un argument autrement plus convaincant pour limiter les perturbations que tous les règlements municipaux répressifs. Cela ne réglerait pas le conflit étudiant, mais contribuerait certainement à créer un climat plus favorable pour trouver une issue.
En redynamisant la démocratie participative sur un sujet aussi mondialisé et symbolique que la F1, Montréal aurait une occasion unique de briller dans le firmament des métropoles internationales.
***
Ont signé ce texte:
Yves-Marie Abraham, Philippe Blackburn, Henner Brinkmann, Léo Brochier, Arianne Cardinal, Alain Deneault, Hanno Erythropel, Céline Lafontaine, Marc-Élie Lapointe, Simon Laurin-Lemay, Serge Mongeau, David Murray, Hervé Philippe, Raphael Poujol, Béatrice Roure
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8 commentaires
Archives de Vigile Répondre
12 juin 2012Comment sont mesurer les impacts économiques?
Par les taxes perçu à Montréal pendant ce trimestre. Comme nous avons eu des années sans Grand Prix, ça devient facile de le mesurer.
Archives de Vigile Répondre
7 juin 2012@ Francis :
Et comme il semble y avoir eu des retombées radioactives sur la côte Est également, nous devrions aussi exiger que des tests soient faits sur les terres agricoles du Québec.
Archives de Vigile Répondre
7 juin 2012@ Francis :
Effectivement, Gentilly-2 n'est pas nécessaire. À ce qu'il paraît, elle est à l'arrêt une bonne partie du temps, et le réseau québécois se porte très bien. Et même si on avait besoin de plus d'électricité - ce qui n'est manifestement pas le cas -, avec le potentiel hydroélectrique et le savoir-faire en la matière dont nous disposons au Québec, nous n'avons aucune excuse pour le maintien de Gentilly-2. Nous devrions sans délai procéder à sa fermeture, et nous devrions sans délai également commencer à essayer de trouver des moyens efficaces de contenir les déchets radioactifs qu'elle a produits, et ce, pendant les milliers d'années nécessaires.
À part ça, parmi les possibilités d'action, nous pouvons demander à l'Ontario de fermer elle aussi ses centrales, pas pour décider à la place des Ontariens, mais parce que le Québec est directement sous le vent ontarien (les vents dominants soufflant de l'ouest), et en aval aussi, pour ce qui est de l'eau du Saint-Laurent. Si une catastrophe nucléaire survenait dans l'une des centrales ontariennes, le Québec serait aux premières loges. Cette demande éventuelle à l'Ontario s'inscrit dans une nécessité plus large : amener la question au grand jour, la sortir de l'ombre dans laquelle la tiennent les gouvernements et médias dominants.
Et aussi, ce qu'on peut faire, c'est exiger une restriction immédiate à l'importation de tout produit japonais, ou en tout cas à tout le moins les produits alimentaires. Et comme il y a depuis le début des nouvelles de contamination de produits alimentaires sur la côte ouest, nous devrions soit exiger que les produits de l'Ouest nord-américain soient testés avant d'être vendus au Québec, soit cesser de les acheter.
Voilà mes idées. Il peut y en avoir d'autres.
Archives de Vigile Répondre
7 juin 2012@Dael
Parlant de Fukushima, je partage vos angoisses.
http://www.youtube.com/watch?v=zuxFQewzPjk
À part fermer Gentilly qui n'est pas nécessaire, que faire d'ici ?
Archives de Vigile Répondre
6 juin 2012Comment calcule-t-on ces fameuses retombées économiques ?
Il me semble que c'est plutôt floue.
On passe le mot d'éviter de séjourner à Montréal pendant le GP car les hôtels seraient pleins à craquer.
On évite les restaurants du centre-ville.
Qui y gagne au GP ? Sûr que les restaurateurs du centreville et de la rue Crescent y gagnent. Mais quelle langue y est affichée ?
Je ne doute nullement des retombées dans la Caisse du Parti Libéral. Je me souviens des Jeux Aquatiques de l'île Sainte-Hélène. Un grand nombre des places vendues étaient des billets de courtoisie distribué par le gouvernement à ses fonctionnaires.
Oui il attire les foules d'ailleurs. J'avais déjà lu dans la Presse que les bars d'effeuilleuses faisaient venir un grand nombre de filles d'ailleurs. Il attire prostituées et pimps. Donc l'argent dépensé va tout simplement ailleurs après le GP. Quoique les images de prostituées et pimps vont bien avec l'image du régime.
Le GP, c'est la grande dépossession des Montréalais de leur ville et de leurs îles.
Archives de Vigile Répondre
6 juin 2012Il me semble qu'avant de tenir un référendum sur le Grand Prix, on pourrait en tenir un, à l'échelle provinciale, sur la question des frais de scolarité. Pour franchir l'impasse et régler la crise. En toute démocratie.
Pourquoi ne pas "redynamiser la démocratie participative" en mettant aux voix la question même du conflit étudiant? Pourquoi la population du Québec ne trancherait-elle pas elle-même, directement, cette question? C'est elle, la population, dans son ensemble, que tant le gouvernement que les étudiants au carré rouge entendent engager dans leur vision respective.
Pour ma part, je ferais des référendums sur plusieurs sujets avant d'en faire un sur le Grand Prix. Par exemple, et particulièrement dans le contexte de la crise nucléaire de Fukushima qui se poursuit un an après l'accident, si "notre" société d'État ne le fait pas toute seule, ne conviendrait-il pas de tenir un référendum sur la fermeture de Gentilly-2?
Je n'ai rien contre le référendum que vous proposez si on en fait plein d'autres. À mes yeux, cependant, le Grand Prix ne représente pas du tout une question prioritaire dans les contextes actuels.
Archives de Vigile Répondre
6 juin 201275 millions pour ce Grand Prix.
Combien plus de millions pour l'Amphitheatre de Quebec?
Combien de millions pour la route du plan Nord?
Mais il n'y a pas d'argent pour l'education de nos enfants, nous devons payer nous dit-on a coup de matraque...
Mario Boulet Répondre
6 juin 2012Personnellement, je proposerais d'adopter l'idée suivante.
En sciences, on appelle cette méthodologie de preuve: « Raisonnement par l'absurde ».
Admettons que les retombées du Grand Prix sont immenses. Que c'est rentable pour l'État de prendre des fonds publics dans le but d'investir à coups de dizaines de millions dans le Grand Prix de Formule Un.
Pourquoi ne pas proposer au gouvernement de prendre arbitrairement 10% ou 20% des retombées du Grand Prix pour l'investir dans le financement des cégeps et universités pendant une seule année (genre 2012!)? Naturellement, il faudrait qu'ils mettent tous les livres sur table. Combien ils ont investit? Combien ça l'a rapporté? Combien a-t-on donné au financement des cégeps et des universités? Pourquoi une seule année? Simplement, pour que l'on puisse discuter l'année d'après ce que l'on fait. Soit que l'on continue ou que l'on investit l'argent dans d'autres programmes capitaux comme la santé par exemple.
Alors, si c'est rentable, on aura démontrer qu'il est avantageux d'investir dans le Grand Prix de Formule Un. Les cégeps et universités auront du financement qui se répercutera sur les étudiants. Si ce n'est pas rentable, que l'on abandonne l'idée d'accueillir le Grand Prix à partir des années suivantes.
Les partis oeuvreront dans la bonne foi.
Nous n'aurons pas besoin d'investir des millions dans un référendum.
Le but est de plaire à tous.
Je crois fermement que cette façon de fonctionner pourrait servir dans tous les pans de la société québécoise. Ainsi, on pourra graduellement faire le ménage où ça ne rapporte rien, même pis, où qu'on en perd. Par exemple, avec l'érection de l'amphithéâtre à Québec.
Les deux partis voudront démontrer que le modèle fonctionne.
Pourquoi ne pas créer l'élection d'un comité impartial ayant pour but de faire la même chose que le Vérificateur Général que l'on entend une fois l'an seulement? Ce comité aura pour tâche de vérifier les comptes de l'état à tous les niveaux. Il faut arrêter de se faire berner par la mafia (terme ne voulant pas dire nécessairement la mafia italienne, mais toute organisation « verreuse »).
Si on s'aperçoit que les retombées économiques sont là, mais que les retombées sont divisées entre quelques investisseurs crapuleux sans que la société québécoise en tire son compte, alors, on leur dira que s'ils en désirent un l'année suivante, et bien on ne les empêche nullement, mais qu'ils investissent eux-mêmes.