Un nouveau père canadien?

Afghanistan - une guerre masquée

Deux articles récents du journaliste Alec Castonguay livrent des informations intéressantes sur la militarisation canadienne en sol québécois tout en laissant sans réponse des questions qui doivent être soulevées. Ces articles sont celui de L'Actualité du 1er septembre, dans lequel le journaliste présente un portrait du général des Forces armées canadiennes, Rick Hillier, et celui du [Devoir des 25 et 26 août 2007->8456], où le journaliste refait la trame de certains événements ayant conduit le Canada à Kandahar.
Ne nous méprenons pas: le journaliste et ses articles ne sont absolument pas mis en cause par mon propos. Selon moi, ils proposent des avancées sur lesquelles il faut maintenant s'interroger. Ces articles sont des prétextes pour soulever quelques questions. Ils sont matière à discussion.
Un même point de vue est donné dans ces deux articles, et je vais l'illustrer à l'aide de quelques citations tirées de L'Actualité. «La politique militaire du Canada, énoncée en 2005, c'est un peu beaucoup Rick Hillier qui l'a écrite.» En effet, «le premier ministre Paul Martin demandait à son ministre de la Défense, Bill Graham, de lui présenter une nouvelle vision des Forces canadiennes, avec à la clé de nouveaux investissements de plusieurs milliards de dollars». «Embarrassé par ce dossier», notamment parce qu'il n'est «pas un expert des questions militaires», le ministre cherche alors à avoir «un plan qui donnerait une place au Canada dans le monde». Il rencontre M. Hillier, embrasse sa vision et lui accorde le plus haut poste de l'armée canadienne. Quelques mois plus tard, le rôle que veut faire jouer le général Hillier aux Forces canadiennes se retrouve intégralement dans la nouvelle politique étrangère du Canada. Ainsi, la politique militaire et la nouvelle politique étrangère du Canada ont été développées par un général de l'armée canadienne.
Dans l'article de L'Actualité, il est question du rôle de l'armée dans le cadre de cette nouvelle politique: «La décision du Canada, en 2005, de contribuer à pacifier la dangereuse province de Kandahar, en Afghanistan, sera l'occasion de mettre en application le rôle "moins superficiel" que préconise pour les Forces canadiennes leur chef d'état-major alors fraîchement nommé.» Et, au-delà de la façon avec laquelle une politique s'élabore et se met en oeuvre, il y a aussi les visées de cette politique.
«Pacifier» les Afghans: d'où peut venir le sens d'une telle visée politique? N'est-ce pas la même visée que mettaient en oeuvre les armées coloniales européennes sur tous les continents du monde au XIXe siècle? Il ressort de cet ensemble que la décision d'opter pour le plan Hillier, qui consiste à coloniser des peuples plutôt qu'à atténuer les frictions, constitue une réorientation fondamentale du Canada sur la scène internationale puisque ce plan diffère de l'approche qui avait prévalu depuis de nombreuses décennies.
Mais cette décision capitale, comment a-t-elle été prise? Comment les parlementaires, dont le rôle est d'élaborer, de proposer et de discuter de nouvelles politiques, ont-ils été impliqués? Et les citoyens, dont les aspirations doivent, à tout le moins en régime démocratique, être reflétées dans l'élaboration et la mise en oeuvre de nouvelles politiques? À quel moment des débats ont-ils été organisés, débats dont le propos aurait consisté à définir une nouvelle politique étrangère? Et le point de vue des Québécois, qui s'opposent majoritairement à la participation à cette guerre, n'a-t-il été réduit qu'à s'exprimer par la voie de sondages? Comment une telle politique peut-elle avoir une quelconque légitimité pour les Québécois?
Il importe de souligner un autre élément des articles d'Alec Castonguay: la présence de la notion de travail dans le discours du général. Elle revient à plusieurs reprises. Voyons-en une première. Il est question dans l'article du «travail que les soldats accomplissent» en Afghanistan. Le «travail» a bonne presse, on le sait. Il est connoté à toutes sortes de notions, notamment l'effort et le produit. Les Québécois sanctionnent le travail comme une valeur, un élément de fierté. Aussi, qualifier de «travail» ce que des soldats font dans une guerre soulève des questions. Quelle est la visée d'une telle utilisation du mot «travail»? Y a-t-il un lien avec le rôle «moins superficiel» du Canada dans le monde?
L'usage du mot «travail» ne s'arrête pas là: il revient à deux autres reprises dans L'Actualité. D'abord en ce qui a trait à la vision que le général a de son propre rôle: «Mon travail en tant que chef d'état-major est de donner l'heure juste.» Ensuite en ce qui concerne la façon dont le général entend aborder le Québec: «Il y a là un travail d'éducation à faire.»
Selon moi, il ne faut pas voir dans l'usage répété du même terme une pénurie de vocabulaire ou de la pauvreté intellectuelle. Il faut plutôt prendre le mot «travail» au pied de la lettre: le général sait, lui, ce qu'il y a à faire. Sa mission consiste à communiquer la vérité qu'il détient au nom de l'État canadien (maintenant que son propos a été sanctionné dans une politique). D'ailleurs, dans la perspective qu'il met en avant, la nation québécoise doit être éduquée. Ceci soulève une dernière question. Puisque le général pose le Québec comme un «problème» d'éducation, alors est-ce que les Québécois sont vus comme des enfants qui devront écouter le nouveau père canadien?


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