La fièvre financière et l'élection américaine représentent un danger et une chance pour le monde.
Le danger, c'est que cette crise ne dégénère et n'entraîne l'économie réelle dans une chute aussi vertigineuse que dans les années 1930. Et que les États-Unis, parallèlement, n'en viennent à présenter au reste du monde leur visage le moins avenant, en réagissant de la pire manière à leur cruelle perte d'influence dans le monde et à la nécessité pourtant pressante de réviser leur modèle politique et économique.
On peut imaginer un John McCain président qui ne ferait que perpétuer «l'approche Bush», continuerait de réduire les taxes au risque d'asphyxier l'État, de répéter sur un ton guerrier «Qui n'est pas avec nous est contre nous» et de réitérer - contre la réalité des faits - que les États-Unis restent les leaders incontestés du monde, dont il convient de s'inspirer et de suivre l'exemple.
Dans le pire des scénarios, la fin de l'hégémonie américaine pourrait dégénérer en chaos. Au déni grinçant et boudeur de Washington répondraient alors: le retour agressif de la Russie, l'ascension menaçante de la Chine (elle-même rendue nerveuse par ses propres problèmes économiques et écologiques), la paralysie de l'Europe politique et diplomatique, le développement de graves foyers de tension en Iran, au Pakistan, en Afghanistan et dans le Caucase.
Mais toute périlleuse qu'elle soit, la conjoncture historique de l'automne 2008 peut aussi représenter une chance pour le monde. Chance que la crise, bien que durement ressentie, ne soit pas un trou sans fin. Qu'elle finisse par forcer les États-Unis, et l'Europe avec elle, à réviser sérieusement leurs règles de fonctionnement. Qu'une économie mondiale, moins injuste et moins spéculative, se mette en place, avec des Américains résignés à jouer un rôle plus modeste et à accepter une véritable réglementation contraignante des flux financiers. Que le monde occidental - États-Unis inclus - redécouvre et réinvente le rôle de l'État dans l'économie, comme on vient de le voir (un peu) dans l'épisode rocambolesque des 700 milliards pour Wall Street. Qu'un monde multipolaire se mette en place, et arrive à définir des équilibres régionaux, avec comme partenaires principaux: les États-Unis, l'Europe, la Chine et la Russie, mais aussi l'Inde et le Brésil.
On dira: vous rêvez! Et on soulignera par exemple qu'un tel scénario moins pessimiste aurait aussi plus de chances si, sur les grandes questions qui agitent le monde, l'Europe arrivait à parler d'une seule voix et à s'élever comme véritable contrepoids démocratique aux États-Unis. Mais cet avènement d'une Europe «joueur diplomatique global», à même de se coordonner et d'influencer le cours du monde, reste bien aléatoire.
Ce week-end, par exemple, les dirigeants des quatre plus grands pays du Vieux Continent ont refusé d'adopter une stratégie commune et systématique face à la crise financière et bancaire, préférant plutôt une approche «au cas par cas», déterminée par des «actions nationales» (dixit l'Allemande Angela Merkel). Cela peut-il suffire, en 2008, face à des bourrasques financières qui bousculent la planète entière ?
Ce qui paraît de plus en plus plausible, c'est que la crise financière de 2008, avec tous les réalignements qui l'accompagnent - économiques, politiques, diplomatiques, stratégiques et idéologiques - deviendra vite une date-charnière dans l'histoire des États-Unis et du monde, après les grands basculements que furent 1945 et 1989.
Il y a dans l'air quelque chose de nouveau et d'indéfinissable, d'énorme même, à la fois menaçant et gros de changements potentiellement positifs. L'irruption de la crise financière en pleine fin de campagne présidentielle, en plus de ramener les Américains à certaines réalités cruelles, confère à ce «dernier droit» des allures de tragédie grecque. Ce n'est pas seulement McCain contre Obama. Ce sont des conceptions du monde et l'avenir de la planète qui sont sur la table.
François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.
Un monde nouveau
Le danger, c'est que cette crise ne dégénère et n'entraîne l'économie réelle dans une chute aussi vertigineuse que dans les années 1930.
Crise mondiale — crise financière
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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