Quand Jean Charest est devenu chef du PLQ, au printemps 1998, il a expliqué à ses députés qu'ils devaient apprendre à «haïr» leurs vis-à-vis péquistes.
Pour illustrer sa pensée, il leur avait donné l'exemple de Thomas Mulcair. Le député de Chomedey était la terreur des ministres péquistes, qui tremblaient presque en le voyant se lever à l'Assemblée nationale. Il alliait une vive intelligence à une totale absence de scrupules. À la période de questions, il ne visait que la jugulaire. Dans son esprit, il ne suffisait pas de marquer de points, il fallait saigner l'ennemi.
Comme M. Charest a-t-il pu oublier combien il est dangereux ? Peu importe la difficulté qu'on peut avoir à le contrôler, M. Mulcair est le genre d'homme qu'il est toujours préférable d'avoir dans son camp. En l'expulsant du cabinet, le premier ministre s'en est fait un ennemi infiniment plus dangereux que n'importe quel «ami d'en face».
Il était déjà inimaginable que M. Mulcair puisse accepter le ministère bidon qu'on lui offrait. C'était le connaître encore plus mal de penser que cette humiliation l'amènerait à démissionner sur-le-champs. M. Mulcair est peut-être bouillant, mais plus encore, il est vindicatif.
S'il s'était répandu en médisances au lendemain de son expulsion du cabinet, on aurait pu conclure à un coup de sang, mais le ministre déchu a pris le temps de se calmer. L'offensive médiatique qu'il a lancée hier contre le gouvernement dont il faisait partie n'a rien d'impulsif. L'attaque a été froidement planifiée. Il a même annoncé une suite télévisée en fin de semaine.
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Le bureau du premier ministre a commis une autre erreur en tentant de faire croire que M. Mulcair était d'accord avec le principe de la vente du Mont-Orford, alors qu'il a désobéi délibérément à un ordre du secrétaire général du conseil exécutif, André Dicaire, qui l'avait intimé de préparer les documents requis. Orgueilleux comme il est, il ne pouvait pas laisser passer cela.
La série d'entrevues qu'il a accordées à des journalistes de son choix va cependant bien au-delà d'une simple mise au point sur le rôle qu'il a pu jouer dans le dossier du Mont-Orford ou celui du port méthanier Rabaska.
En expliquant qu'il n'avait pas pu se résoudre à sacrifier le patrimoine public aux intérêts d'un promoteur immobilier, l'ancien ministre de l'Environnement accuse implicitement le gouvernement, plus particulièrement le bureau du premier ministre, de l'avoir fait.
De la même façon, par effet de contraste, son opposition au projet Rabaska souligne en caractères gras la complaisance de son successeur, Claude Béchard. Dans les deux cas, il fait passer M. Béchard pour un exécutant servile, qui manque ouvertement à ses responsabilités.
La présence de ce mouton noir au caucus pourrait devenir de plus en plus embarrassante, mais M. Charest devra vraisemblablement s'en accommoder. Un premier ministre a tout le loisir de mettre un ministre à la porte, peu importe la raison. En revanche, expulser un député du caucus exige des motifs très graves.
En 1982, Claude Forget avait recommandé, sans succès, l'expulsion des sept députés libéraux qui avaient refusé de condamner le rapatriement unilatéral de la Constitution. Finalement, c'est M. Forget qui est parti.
Les entrevues que M. Mulcair a accordées sont peut-être lourdes de sous-entendus, mais il a bien pris soin de ne pas attaquer directement le gouvernement ou son chef. La ministre des Relations internationales, Monique Gagnon-Tremblay lui a reproché d'avoir manqué à son serment d'office, en révélant des faits survenus alors qu'il était en fonction. Il devra s'expliquer devant le caucus mercredi prochain, mais il y a fort à parier que les choses n'iront pas plus loin. Pour le moment, du moins.
Déjà, son expulsion du cabinet avait créé de sérieux remous au sein du caucus. Sévir davantage risquerait de provoquer une véritable révolte. D'autant plus que des députés sont d'accord avec M. Mulcair. Même ceux dont la conscience environnementale n'est pas troublée outre mesure par la vente du Mont-Orford sont parfaitement conscients du mécontentement qu'elle crée.
Encore une fois, un manque de jugement politique du premier ministre, doublé d'une remarquable maladresse, a transformé un dossier régional en psychodrame national, qui vient compromettre une conjoncture qui s'annonçait plus favorable aux libéraux.
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Au sein du PLQ, M. Mulcair est également en terrain solide. En septembre 2003, le conseil général avait adopté à l'unanimité une résolution présentée par l'association d'Orford, qui visait précisément à préserver l'intégrité du parc national. La question reviendra inévitablement sur le tapis lors du conseil général qui doit avoir lieu au début de mai à Trois-Rivières.
Manifestement, il y a de la nervosité dans l'air. Le responsable du dossier de l'environnement au comité du suivi des engagements électoraux du PLQ, Jean-Guy Dépôt, qui milite activement contre la vente du Mont-Orford, a été invité à s'intéresser plutôt aux questions d'éducation.
Dans l'état actuel des choses, M. Charest n'est tout simplement pas en position d'affronter une fronde. Après l'embellie passagère provoquée par l'arrivée du gouvernement Harper, le dernier sondage Crop révèle que le taux d'insatisfaction à l'endroit du gouvernement est retombé au niveau antérieur aux élections fédérales du 23 janvier.
Plus le temps passe sans que leurs chances de réélection semblent s'améliorer, plus les libéraux vont s'interroger sur l'à-propos de garder un chef qu'à peine un Québécois sur quatre juge le plus apte à diriger le Québec. M. Charest n'a pas intérêt à leur donner d'autres motifs de vouloir le remplacer.
mdavid@ledevoir.com
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