Un étonnant discours nationaliste (*) du Président wallon

Chronique de José Fontaine


Ce mercredi le Président wallon Elio Di Rupo a prononcé devant le Parlement wallon à Namur un discours qui a profondément étonné les observateurs.
Reproches à faire à Elio Di Rupo
Les lecteurs de VIGILE savent que je ne ménage pas cet homme notamment parce que, dans notre système politique, il ne convient pas que le président d’un parti politique assume des responsabilités gouvernementales, même au niveau wallon qui, de toute façon, est en passe de devenir (sinon même est déjà) un niveau de pouvoir aussi important que le niveau national belge. En outre, président d’un parti socialiste qui en Wallonie principalement a une forte tradition républicaine, cet homme est parmi les hommes politiques belges celui qui défend le plus la monarchie.
Le premier reproche que je viens de faire lui a d’ailleurs été adressé mercredi passé par un député (vert) de l’opposition, à travers ce dialogue que retient la presse:
Bernard Westphael - Vous allez vous occuper de la Wallonie de moins en moins, votre indisponibilité chronique est un problème...
Elio Di Rupo - Je ne réponds pas aux attaques ad hominem...
Bernard Wesphael - Je ne vous demande pas de quitter le gouvernement wallon mais d’y rentrer!
Contexte de son discours
La Wallonie s’est saisie comme problème (pour parler comme les sociologues), très anciennement (avant même la Grande guerre), par la prise de conscience de son état de minorité face à la Flandre plus peuplée et par conséquent éternellement majoritaire au Parlement belge. Ensuite dans l’entre-deux-guerres parce qu’une politique de neutralité a été suivie qui était demandée par bien des courants en Flandre, surtout les plus nationalistes (et parfois à l’extrême droite ou fascistes), mais rejetée en Wallonie face à l’Allemagne à la fois menaçante et nazie. Quand après 1945, les mines wallonnes de charbon s’épuisèrent puis que la sidérurgie s’essouffla (elle est maintenant sauvée mais elle a perdu des dizaines de milliers d’emplois), le mouvement ouvrier se lança, surtout à partir de la grande grève de 1960-1961, dans un combat pour obtenir l’autonomie politique en vue de sauver l’économie dite “régionale”. C’est certainement la motivation la plus puissante du nationalisme wallon (que l’on appelle ici régionalisme).
Il faut dire que les voeux autonomistes de 1960-1961 ne se réalisèrent pas rapidement dans la mesure où l’on considère que la Wallonie ne dispose réellement d’instruments politiques importants que depuis le milieu des années 1990. Le fédéralisme avait été réclamé pour sauver la Wallonie économiquement, mais c’est dans un cadre pratiquement unitaire que les combats pour le redressement wallon ont été menés. Et des combats éminemment défensifs. Aujourd’hui, la Wallonie n’est plus aussi prospère qu’au moment où elle réclamait le fédéralisme, ce qui peut amener une partie de l’opinion à confondre l’instauration du fédéralisme et le recul wallon, alors que le fédéralisme a été réclamé justement pour réagir contre ce recul.
L’histoire est pleine de ces paradoxes. Il est d’ailleurs difficile de mesurer exactement ce qu’a eu comme effet l’autonomie croissante de la Wallonie. Ceux qui pensent qu’elle aurait eu avantage à demeurer dans l’Etat unitaire ne peuvent évidemment prouver leurs dires et ceux qui pensent le contraire ont du mal à l’établir aussi. Cependant, il y a quelque chose de sûr, c’est que les diverses difficultés qu’a rencontrées la Wallonie à partir du moment où elle est réellement devenue peu à peu autonome (depuis 1980), ont fini par se régler autrement dans la mesure où la Wallonie comme Etat fédéré était seule responsable face à certains problèmes, ce qui soustrayait leur solution à des conflits avec les Flamands.
En tout cas aujourd’hui, la Wallonie ne s’est pas relevée. Il existe des voix du côté flamand (y compris le Président flamand), pour considérer que la Flandre dans le contexte belge aurait intérêt à se libérer du “boulet” wallon, notamment parce que dans le domaine de la sécurité sociale, les Flamands (plus riches et plus prospères), payent des cotisations aux Wallons (les chômeurs notamment), qui sont moins riches et moins prospères. D’une manière générale, les Wallons qui ont été la première industrie du monde en termes relatifs et la deuxième en chiffres absolus se retrouvent aujourd’hui si bas que les discours de désespérance les accablent et qu’ils les intériorisent.
Le discours de Di Rupo
C’est d’ailleurs encore en ce moment le sentiment qui prévaut: l’économie wallonne ne se relève pas, le chômage ne fléchit pas, etc. Face à ces problèmes, Elio Di Rupo a lancé à la fin de l’été un Plan Marshall négocié avec les patrons et les syndicats qui vise notamment à renforcer les pôles de compétences. Car dans certains domaines de pointe, notamment les biotechnologies, les Wallons représentent 80% de l’emploi belge et semblent donc renouer à cet égard avec l’inventivité qui a toujours été la leur. La Wallonie a attiré chez elle plus de 400 entreprises “non-wallonnes” (notamment flamandes). Les faillites sont en nette baisse. L’économie régionale progresse au même rythme que la zone EURO. Les exportations connaissent une croissance si forte qu’on estime que d’ici une dizaine d’années, la Wallonie pourrait même rattraper la Flandre (c’est d’ailleurs l’une des dimensions les plus permanentes de ce que l’on peut penser être un redressement wallon, et cela depuis une quinzaine d’années). Les entreprises créées en Belgique dans le cadre de la recherche universitaire sont plus nombreuses en Wallonie qu’en Flandre. Etc. Et cela, même si le chômage stagne, cela compte.
Interrogé au JT de la RTBF à 19h30 ce mercredi 31 janvier, le Président flamand, Yves Leterme (un Flamand d’origine wallonne, s’exprimant parfaitement en français mais Flamand bon teint), qui a parfois eu des propos blessants à l’égard des Wallons, a reconnu que la Flandre avait avantage à une Wallonie qui se redresse, étant donné que c’est en Wallonie que s’exportent le plus de produits flamands. Cette dernière remarque est caractéristique du problème wallon. Si j’ai retrouvé auprès de mes amis du Québec bien des propos unitaristes qu’on rencontre ici, il y a tout de même une différence dans les relations Flandre/Wallonie, c’est qu’il est finalement assez difficile de voir qui domine qui et on peut penser que chacun a avantage à vouloir l’autonomie, finalement, mais sans mettre l’autre en difficultés.
Le ton de Di Rupo
Ce qui m’a surtout frappé, c’était le ton de Di Rupo. IL a déclaré notamment ceci (qui ne lui ressemble pas): “La Wallonie mérite de l’empathie. Je souhaiterais entendre certains responsables dire du bien de la Wallonie, dire qu’ils aiment la Wallonie. Nous devons avoir de la fierté de ce que nous sommes et de ce que nous voulons. Nous avons l’ambition et la capacité de renouer avec la prospérité et – oserais-je le dire – la grandeur.”
C’est surtout ce dernier mot qui me frappe. Tout peuple est grand, plus grand que les rois et les princes. Le dire, c’est justement opter pour la République au sens philosophique du terme, opter pour la confiance en l’Humanité. J’aurais tendance à avoir à l’égard de Di Rupo la même mansuétude que le Père miséricordieux dans la fameuse parabole de l’enfant prodigue de l’Evangile: il y a plus de joie au ciel pour un pécheur qui se convertit que pour cent justes qui persévèrent.
On mesure aussi à quel point l’existence d’institutions politiques a quelque chose de vital pour un peuple: on a vu comme premier titre au JT de la télévision ce petit homme qu’est Di Rupo s’exprimant dans le Parlement qui longe la Meuse avec derrière lui l’emblème de la Wallonie qui orne ce Parlement à l’anglaise, et sur un ton passionné.
Manifestement la classe médiatique est interloquée: voilà donc un homme sérieux qui prend au sérieux la Wallonie et ses opposants qui considèrent que ce qu’il dit mérite l’honneur de leurs critiques. Bravo! Il n’y a de vraie nation que s’il y a une vraie démocratie et dedans des hommes passionnés. Ce que Di Rupo a dit, il le disait pour la première fois, au point d’aller jusqu’à s’écrier que les Wallons assument leur histoire. Qu’il continue comme cela! Je peux demeurer réservé pour la suite, mais je ne boude pas mon plaisir.
José Fontaine
(*) On dirait régionaliste en Wallonie, mais cela revient au même.

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    4 février 2007

    Merci monsieur Fontaine. Cet article m'a permis de comprendre enfin un peu la situation politique de la Wallonie.