Au sens littéral, la décision que j’annonce aujourd’hui se définit comme une démission. Au sens libre que je lui donne, il s’agit du terme d’une étape et de l’amorce d’autres parcours de solidarité avec l’Université du Québec à Montréal. Je quitte son conseil d’administration et, par suite, sa présidence.
Il y a cinq ans, le Conseil des ministres du gouvernement du Québec m’a confié un premier mandat de trois ans, durée habituelle. Il aura ensuite tergiversé sans explication pendant une année avant de décider d’un renouvellement pour lequel je m’étais pourtant portée volontaire. Arbitraire, une telle interprétation de ces mandats m’autorise à en disposer selon ma lecture. Je considère comme advenu le terme de mon engagement formel.
Si je tiens à m’éloigner du conseil, c’est surtout que je veux retrouver ma liberté de parole. Non pas qu’elle ait été contrainte. Ni le recteur, ni les membres de la direction de l’UQAM, ni mes collègues du conseil, ni aucun de mes interlocuteurs à l’UQAM ne m’ont jamais fait grief de m’exprimer sur toute question intéressant l’université, et je ne m’en suis pas privée. J’ai plutôt pratiqué un brin d’autocensure induite par le caractère officiel de ma tâche et les obligations diplomatiques qu’elle exige.
Les circonstances soutiennent ma décision. L’UQAM a ouvert ses portes au coeur de Montréal en septembre 1969 et on voudra marquer l’atteinte du demi-siècle. J’aurais abordé les célébrations avec des sentiments mêlés, barbouillés. D’une part, je pèse mes mots, je suis éblouie par l’UQAM d’aujourd’hui, dont je n’ai pas à faire état des statistiques vitales en enseignement, en recherche, en création, en contribution solidaire aux besoins et réflexions de son environnement. Seules les indifférences les ignorent, seuls les aveuglements volontaires font mine de les ignorer. Mais ce qui m’enchante le plus, c’est la force intellectuelle de notre université, son aptitude sans cesse renouvelée à vouloir refaire le monde en s’imposant d’abord de le repenser. Je suis liée à l’un de ses authentiques fondateurs, je l’ai connue à l’époque de sa gestation, dont je garde un souvenir attendri et percutant. Elle a gagné en maturité sans perdre ses ressorts.
Lors d’un entretien récent accordé au Devoir, je suis allée cependant jusqu’à évoquer le « mépris » des pouvoirs publics à l’égard de l’UQAM. Je persiste.
L’UQAM devait être valorisée
L’Université du Québec est une institution publique créée par une loi adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 1968. À ce titre et sur cette assise qui fut centrale aux progrès du Québec dans tous ses territoires jusqu’alors privés d’enseignement supérieur, elle devrait être valorisée entre toutes par les législateurs. Tous partis confondus, tel n’est pas le cas. Je ne me fais pas aujourd’hui porte-parole de l’UQ, je n’en ai ni le droit ni la légitimité (je n’en pense pas moins). Ma lecture est issue de mon expérience à l’UQAM.
Implicite ou explicite, l’insidieuse idée d’une distinction de classe à maintenir entre les universités créées par l’État — facteur dévalorisant dans une société qui se prétend entrepreneuriale — et les universités dites « à charte » qui ont eu la vertu de naître avant l’UQ par actes privés, s’ancre comme jamais au lieu de s’étioler.
Notre État révèle clairement sa vision d’avenir dans un document crucial, son Plan québécois d’infrastructures, le fameux PQI. Le plus récent, comme les précédents, confirme ma lecture. En page 39, un diagramme limpide présente la répartition des investissements pour la décennie 2017-2027. Les universités que le gouvernement affirme « privées » recevront plus de 3 milliards de dollars pour leurs projets d’infrastructures. Les 10 établissements reliés à l’UQ recevront ensemble 850 millions. Or il n’existe aucune université « privée » au Québec : aucun établissement ne survivrait deux jours sans l’apport majoritaire de l’État à son financement. L’emploi du terme « privé » choque autant que le déséquilibre du PQI. Il témoigne du sens des valeurs et des faveurs.
Autre avanie : le nouveau gouvernement du Canada a lancé en 2016 un généreux programme de subventions au développement d’infrastructures, notamment en enseignement supérieur. Le tri des projets relevait du gouvernement du Québec, dont la contribution était également requise. Le Fonds d’investissement stratégique canadien (FIS) a ainsi généré 730 millions de dollars pour les établissements postsecondaires québécois. À Montréal, en excluant les collèges, la somme disponible a atteint plus de 380 millions pour les universités. L’UQAM a obtenu 10,5 millions, et six de ses dix projets ont été refusés sans explication. L’Université de Montréal a obtenu 250 millions, McGill, 75 millions et Concordia, 37 millions.
Ces données n’ont suscité aucune protestation chez les partis d’opposition à l’Assemblée nationale. La cordiale complicité entre gouvernements successifs est constante. Elle a ainsi permis, depuis 2012, la discrète et parfois secrète planification d’un pavillon de HEC Montréal au centre-ville, à proximité concurrentielle de notre École des sciences de la gestion (ESG). Qui plus est, ce projet a été financé par le Québec à raison de 94 millions de dollars de ses fonds propres, au moment où tout le secteur public était mis au régime sec.
Esprit de classe
L’État maintient activement des carcans absurdes imposés aux seules universités de l’UQ. Ainsi, les universités « à charte » rémunèrent leurs directions à la hauteur qu’elles jugent appropriée, mais les établissements de l’UQ sont soumis aux échelles nettement moins avantageuses de la fonction publique. La juste vérification financière qu’on nous impose est épargnée à nos collègues chartistes, qui peuvent d’ailleurs, comme le fait actuellement l’Université de Montréal, modifier leur mode de gouvernance en l’amendant par voie de « loi privée », moyen interdit à l’UQ. Encore une fois, aucun député de l’Assemblée nationale ne s’émeut devant une telle disparité de traitement. Cette belle unanimité silencieuse a d’ailleurs enterré l’idée, effleurée en 2013, d’adopter une loi-cadre pour l’ensemble des établissements universitaires du Québec.
L’esprit de classe souffle aussi dans les arrangements informels au plus haut niveau, l’exclusion de l’UQAM de certaines rencontres, le refus par tous les ministères de nos demandes d’accès à l’information touchant l’approbation gouvernementale du projet de HEC Montréal, considérée comme une tierce partie avec privilège de confidentialité.
Je n’entrevois pas aujourd’hui de terme heureux à nos combats, mais ils doivent se poursuivre. Ce qui menace l’UQAM et les établissements analogues, ce n’est pas la fatalité, elle n’existe jamais. C’est le fatalisme dont la tentation rôde en nos propres espaces.
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