La décision du premier ministre Trudeau de fermer les passages frontaliers irréguliers tels que celui du chemin Roxham est honteuse.
C’est une décision qui n’est pas enracinée dans la science ou la santé publique, mais plutôt dans la panique entretenue en grande partie par l’extrême droite qui se positionne contre l’immigration et qui célèbre avec joie une victoire pour l’une de leurs causes favorites.
Avant l’annonce du premier ministre et dans le contexte de la pandémie de la COVID-19, les personnes migrantes qui traversaient de façon irrégulière par le chemin Roxham étaient mises obligatoirement en quarantaine pendant 14 jours dans des logements fournis par le gouvernement fédéral. En dépit de cette tentative de fermer les frontières, les personnes migrantes continueront de traverser de manière irrégulière, mais ce sera dorénavant dans des lieux isolés et parfois dangereux. Elles devront compter sur d’autres individus et notamment sur des personnes qui n’agissent pas toujours de bonne foi. De plus, elles ne seront plus assujetties à une quarantaine obligatoire et, par conséquent, il n’y aura aucun suivi de leur état de santé.
La décision prise par le gouvernement n’est pas dans l’intérêt de la santé publique. De nombreux spécialistes dans ce domaine contestent l’idée qu’il est nécessaire de fermer les frontières en contexte de pandémie. Ils affirment que la fermeture des frontières crée plutôt un effet de panique et suscite davantage de passages irréguliers non surveillés.
C’est donc une décision purement politique d’une grande dangerosité pour la santé publique et pour le bien-être des personnes migrantes et réfugiées.
Plus particulièrement, dire que le Canada ferme sa frontière ne signifie pas qu’il pourra le faire. La frontière entre les États-Unis et le Canada est longue de plusieurs milliers de kilomètres. Il est donc impossible, d’un point de vue logistique, de la surveiller entièrement. Il existe de nombreux points d’entrée irréguliers et les personnes qui souhaitent la franchir le feront quoi qu’il arrive – à moins que des milliers de policiers, de gardes frontaliers ou de soldats ne soient déployés.
Ainsi, s’il n’est pas possible de traverser directement au chemin Roxham, il est encore possible de le faire à quelques centaines de mètres ou à des kilomètres de là, sans parler de plusieurs autres endroits tout au long de cette immense frontière. La fermeture des postes frontaliers officiels et du principal poste frontalier non officiel du chemin Roxham ne signifie pas qu’il n’est plus possible de traverser la frontière.
DAVANTAGE DE RISQUES
Au contraire, avec la fermeture de la frontière, les personnes migrantes et réfugiées prendront plus de risques afin d’entrer au Canada. Elles passeront par des points de passage plus isolés et plus difficiles. Elles dépendront davantage des passeurs dont plusieurs sont plus motivés par le profit que par des préoccupations humanistes. Elles seront plus isolées et plus vulnérables.
Avant l’annonce de vendredi dernier, les personnes migrantes qui souhaitaient faire une demande d’asile étaient incitées à traverser au chemin Roxham. Le processus était relativement sûr, avec la présence de ce côté-ci de policiers qui traitaient les demandes et qui les remettaient entre les mains des fonctionnaires à la frontière. Le processus de demande d’asile pouvait alors s’enclencher.
Malgré les plaintes en provenance d’individus racistes associés à l’extrême droite – ainsi que de gens qui les soutiennent –, le passage du chemin Roxham était relativement calme et ordonné.
Il y a bien eu une première panique exagérée à l’été 2017, lorsque le Stade olympique a été utilisé pour héberger temporairement des personnes réfugiées et lors de la mise en place d’un camp temporaire, sous-utilisé, près de Lacolle, à quelques minutes du chemin Roxham. En dépit de cet affolement, les personnes migrantes et réfugiées ont pu s’installer à destination de manière relativement simple, que ce soit à Montréal, à Toronto ou d’autres zones urbaines.
Cette annonce de fermeture, qui constitue une attaque contre les droits des personnes migrantes et des personnes réfugiées, pourrait très bien être définitive. Comme nous le savons tous, les « mesures spéciales » adoptées en temps de crise ont tendance à devenir permanentes une fois la crise terminée. Nous serons nombreux, dans la gauche progressiste, à nous mobiliser pour créer une nouvelle définition de ce qui est « normal », c’est-à-dire des dépenses sociales massives pour la santé, l’éducation et d’autres services sociaux, l’annulation de la dette, la redistribution des richesses, la gratuité des transports publics, la fin des expulsions, davantage de solidarité sociale et d’entraide.
Mais il faut être vigilant, car la nouvelle normalité peut tout autant faire appel aux rêves de la droite qui a l’ambition d’un gouvernement autoritaire utilisant la peur et la panique pour gouverner par décret. Il faut se méfier de cette droite qui a la volonté permanente de fermer les frontières en attaquant le droit des personnes migrantes et réfugiées à se déplacer librement.
Le chemin Roxham, à seulement 45 minutes au sud de Montréal, est un microcosme des valeurs de notre société dans son ensemble. Il est le test à savoir si les personnes migrantes qui demandent asile seront traitées équitablement et humainement dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Seront-elles admises et mises en quarantaine pour des raisons de santé publique ou seront-elles rejetées et utilisées comme boucs émissaires en période de panique et de peur ?