Lors de la crise de la prorogation, à l’automne 2008, le gouvernement Harper avait décidé d’ameuter le peuple pour tenir tête au projet de coalition de l’opposition et ainsi justifier de se soustraire à un vote de confiance au Parlement qu’il risquait de perdre. Pour accentuer la pression sur la gouverneure générale Michaëlle Jean, le ministre John Baird avait dit sans sourciller : «Ce que nous voulons faire fondamentalement est de faire une pause et de passer par-dessus la tête des députés, par-dessus la tête, bien franchement, de la gouverneure générale pour aller directement au peuple».
Les conservateurs soutenaient sur toutes les tribunes que seul le peuple pouvait choisir directement son gouvernement et non, comme le veut la démocratie parlementaire de type britannique, à travers leurs élus. Ce que voulaient les conservateurs, Stephen Harper en tête, c’était nié au Parlement le pouvoir de choisir à qui il accordait sa confiance, ce qui équivalait à remettre en question une règle centrale de la démocratie parlementaire canadienne.
Un sondage Ipsos Reid, réalisé en pleine cries, montrait que 51 % des Canadiens croyaient que le premier ministre était élu au suffrage universel direct et ne pouvait être remplacé sans procéder à une élection. Comme s’il s’agissait d’un président.
Il était et est toujours difficile de les en blâmer avec ces campagnes électorales et une couverture médiatique centrées sur les chefs et, surtout, quand on voit tous les pouvoirs qu’exerce le premier ministre.
Théoriquement et officiellement, le pouvoir exécutif est assumé au Canada par le gouverneur général qui exerce les pouvoirs de la Couronne, mais seulement sur avis du Conseil privé. C’est pour cette raison qu’on retrouve dans toutes nos lois ces références au «gouverneur en conseil». Ce conseil est supposé être le cabinet, mais au fil du temps et dans beaucoup de circonstances, il est devenu synonyme de premier ministre et ses conseils ont pris l’allure de marche à suivre.
De nos jours, les responsabilités du premier ministre sont en grande partie celles que la constitution attribue au gouverneur général. Cela fait de lui un des chefs de gouvernement aux pouvoirs à peu près inégalés dans les démocraties occidentales. De lui dépend le choix du représentant du chef d’État, des membres de l’exécutif, du législatif, du judiciaire, de l’administratif et ainsi de suite.
Ainsi :
- C’est lui qui choisit – oups, recommande à la Reine – le candidat au poste de gouverneur général et nomme les lieutenants-gouverneurs provinciaux et les commissaires territoriaux.
- Il a pleine liberté pour composer son conseil des ministres.
- Il nomme les sénateurs et contrôle une partie de la composition de la Chambre des communes grâce à son pouvoir de chef de parti (ce dernier est le seul à pouvoir signer les bulletins de candidature de ses aspirants députés).
- Il nomme les juges à la Cour suprême et peut donner son avis sur les nominations à la Cour fédérale, à certaines cours provinciales, à des tribunaux administratifs et quasi judiciaires.
- Il comble les postes à la tête des sociétés d’État, nomme les ambassadeurs, le chef d’État major et les plus hauts gradés de la fonction publique.
- Il suggère les candidats aux postes de fonctionnaire du Parlement, comme le directeur général des élections, le commissaire à la vie privée et ainsi de suite. L’opposition est consultée, mais n’a pas de pouvoir de veto et quand le gouvernement est majoritaire, il peut faire à sa tête, comme on l’a vu lors de la nomination du nouveau vérificateur général.
On estime que plus de 3100 postes sont comblés par arrêté en conseil. Une grande partie des personnes choisies le sont par les ministres dont relève l’organisme visé. Il existe aussi des processus établis pour éviter l’arbitraire et assurer une sélection fondée sur le mérite. Des appels de candidature sont publiés, comme c’est le cas actuellement pour le poste de bibliothécaire du Parlement. Mais le choix final relève du gouverneur en conseil et, quand il le veut, le premier ministre peut se garder le dernier mot afin de nommer un candidat défait ou un ancien collègue à un poste confortable.
Stephen Harper n’a fait qu’hériter de ce système, mais il s’en accommode très bien. Les garde-fous supplémentaires qu’il avait promis ont vu le jour (directeur parlementaire du budget, commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, commissaire au lobbying, commissaire à l’intégrité du secteur public), mais plusieurs ont moins de dents que ce que M. Harper exigeait dans l’opposition, ou se sont révélés plus mous que prévu, ou, pire, ont été transformés en coquille vide. C’est le cas du Secrétariat de la Commission des nominations publiques. Le poste de commissaire est prévu dans la Loi sur la responsabilité, la première présentée et adoptée sous un gouvernement Harper, mais le poste est vacant depuis que l’opposition s’est opposé en 2006 au premier candidat proposé par le premier ministre, alors minoritaire. Malgré cela, le secrétariat se voit accorder un budget annuel d’environ un million, dont il n’utilise, année après année, qu’environ 300 000 $.
L’étendue de ces pouvoirs, souvent sans contrepoids adéquats, est un problème et depuis longtemps. La façon de les exercer en est un autre, ce sur quoi je reviendrai dans un prochain billet.
Prochain billet : quelques suggestions de lecture
Démocratie mal en point
Trop de pouvoirs pour un seul homme
Stephen Harper n’a fait qu’hériter de ce système, mais il s’en accommode très bien.
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