Personnage catalogué «froid» et «intellectuel», Barack Obama s'était pourtant fait élire sur une extraordinaire vague lyrique, qui promettait le changement et un nouveau départ tous azimuts. Son programme? Rompre les amarres, partir vers de nouveaux horizons.
Entravé à l'interne par une opposition obstructionniste et obscurantiste, il a forcé de peine et de misère deux réformes importantes, sur la santé et sur la finance, sans en toucher les dividendes politiques... Sur le front international, au même moment où il relance l'improbable «processus de paix» israélo-palestinien, il prétend — un peu vite — tourner la page sur la guerre d'Irak.
Dans un rare discours depuis le Bureau ovale, le président s'exprimait la semaine dernière sur la fin officielle des «opérations de combat». Sur un ton étrangement détaché lorsqu'on pense au psychodrame colossal qu'a été l'Irak, il n'a pas fait un vrai bilan, à la hauteur de ce drame et de cette souffrance, subie et infligée.
Car ce départ est un faux départ: la guerre se poursuit, avec la recrudescence des violences, et des Américains — 50 000 — retranchés dans leurs casernes. Sans oublier «l'Irak-bis» qu'est l'Afghanistan...
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Extrait de ce discours du 31 août: «Nous avons dépensé mille milliards de dollars à faire la guerre, souvent en empruntant sur les marchés étrangers. Nous avons augmenté nos déficits et, à cause de ça, réduit les investissements dans notre propre population.» Diagnostic lucide et honnête... la moindre des choses, lorsqu'on sait qu'une nette majorité des Américains — entre 55 et 70 %, selon les sondages —, obsédée d'économie, est aujourd'hui opposée à l'engagement en Irak, et qu'elle considère même que c'était une guerre inutile.
Depuis 2001: mille milliards pour faire la guerre... les trois quarts en Irak seulement! Tout cela, selon les chiffres officiels des services du Congrès américain, le Congressional Budget Office (CBO). Mais une évaluation beaucoup plus élevée a été effectuée en 2008 par le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz. Dans son calcul, il incorporait le coût des prestations aux blessés et certains effets macroéconomiques, comme la hausse du prix du pétrole. Sans doute plus réaliste, cette addition «augmentée» a fourni le titre de son fameux livre: The Three Trillion Dollar War, la guerre à 3000 milliards.
Le plus désespérant, c'est que le retrait annoncé d'Irak ne diminuera pas ces dépenses folles de façon appréciable... Selon le même CBO, les économies associées au retrait seraient de l'ordre de 30 milliards de dollars par an. Chiffre que l'on peut comparer à celui de 13 000 milliards de dollars: la dette cumulée, en 2010, du gouvernement des États-Unis d'Amérique.
Sans oublier qu'une bonne proportion des effectifs retirés d'Irak a été, ou sera, redéployée en Afghanistan...
Et puis il y a les gaspillages au chapitre de l'aide «civile»: un hôpital pour enfants à 165 millions de dollars, inutilisé; une prison de 40 millions de dollars qui pourrit dans le désert. Des histoires innombrables, qui totalisent entre 5 et 10 milliards de dollars, souvent au bénéfice de compagnies privées qui ont allègrement surfacturé. Sommes relativement modestes au regard de ce qui précède, mais qui symbolisent non seulement le mensonge et l'inefficacité associés à l'invasion de l'Irak, mais aussi la gabegie et le copinage.
Sans oublier que ce retrait tout relatif va se doubler d'un retour en force des milices privées. Les fameuses milices privées, coupables d'exactions contre des civils en 2004-2005, qui avaient tant révulsé les Irakiens... Aujourd'hui, le Département d'État dit pudiquement qu'il va embaucher 7000 «employés de sécurité» sur le terrain. Un chiffre sûrement en deçà de la réalité: Blackwater et compagnie, ils étaient plus de 100 000 en 2004.
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La «fin des opérations de combat»? Un départ en trompe-l'oeil. Bien que cantonnés, 50 000 militaires américains resteront en Irak pour encore 16 mois... au moins. Quant à la présence civile, elle reste massive, avec l'énorme ambassade de Bagdad (un milliard de dollars, 3000 employés) et la construction de nouveaux consulats, coûteux, massifs, ultrasécurisés.
Les Américains sont toujours en Irak. Ils continuent d'y dépenser des sommes pharamineuses. À l'heure de la détresse économique, les effets politiques et financiers des choix guerriers de Washington continuent de peser sur le destin des États-Unis. M. Obama n'a pas rompu les amarres. Peut-être ne le pouvait-il pas.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.
Trompe-l'oeil
Les Américains sont toujours en Irak. Ils continuent d'y dépenser des sommes pharamineuses.
Irak - le Grand mensonge
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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