Clarifions d'abord une chose. Lorsqu'un chef de l'opposition officielle se rend en visite officielle en France, il ne le fait pas pour prendre des vacances, sabrer le champagne ou quémander des appuis: il le fait pour assumer les plus hautes fonctions officielles. Tous les chefs de l'opposition, y compris Jean Charest, se sont régulièrement rendus en France parce qu'ils ont à y entretenir des contacts essentiels non seulement à leur parti politique mais aussi à l'avenir du Québec. Que celui-ci se situe à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada n'y change rien. [N'en déplaise à certains->3957], le rôle international du Québec, cela ne s'assume pas à partir de Matane et de Coaticook mais dans une grande capitale européenne comme Paris, la seule au monde où nous ayons un accès direct aux représentants politiques.
Il faut avoir un esprit provincial, pour ne pas dire municipal, pour reprocher à André Boisclair d'être allé à Paris cette semaine. Mais l'ignorance est sans fond. Qui sait, par exemple, qu'en rencontrant le socialiste Pierre Moscovici, André Boisclair parle aussi au vice-président du Parlement européen, qui représente près de 492 millions d'habitants et sans lequel on n'aurait jamais fait adopter à l'UNESCO une convention sur la diversité culturelle? À moins de considérer la France et l'Europe comme une arrière-cour sans importance, il faut reconnaître qu'en allant à Paris, le leader de l'opposition n'a fait que faire les gestes nécessaires à la prise en charge éventuelle des plus hautes fonctions de l'État. Exactement comme l'avait fait avant lui Jean Charest, qui sera d'ailleurs à Paris la semaine prochaine.
Pour le reste, le chef de l'opposition n'a pas à rougir de sa visite en France. Jamais ses prédécesseurs n'ont été capables de faire autant parler d'eux, et du Québec, en si peu de temps. En moins de 24 heures, le nom d'André Boisclair s'est retrouvé dans les principaux journaux du monde. La plupart des portraits brossés par la presse française étaient plutôt flatteurs pour le chef du Parti québécois, dans lequel la France a d'ailleurs vu le signe d'un renouvellement politique et d'une jeunesse auxquels elle aspire elle-même.
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Un jeune chef souverainiste, élégant, social-démocrate, cultivé, diplômé de Harvard et qui manie la langue française comme Jean Charest ne saura jamais le faire, que fallait-il de plus pour séduire la candidate socialiste Ségolène Royal?
Voilà qui a probablement contribué à ce que, portée par l'enthousiasme, elle bredouille cette phrase ambiguë sur «nos valeurs communes, c'est-à-dire la souveraineté et la liberté du Québec». Que dans l'immédiat, cette maladresse nuise à Ségolène Royal, c'est une évidence. Surtout qu'elle s'ajoute à un certain nombre d'autres bourdes savamment exploitées par la nouvelle «cellule de guerre» de Nicolas Sarkozy, chargée de tirer à boulets rouges à la moindre incartade. Mais une fois la polémique oubliée -- et elle n'est pas loin de l'être à Paris à l'heure qu'il est --, que faut-il comprendre de ces événements?
Une lecture fine des réactions françaises à la déclaration de Ségolène Royal montre que celles-ci n'ont pas mobilisé les principaux ténors gaullistes comme Alain Juppé, Édouard Balladur, Dominique de Villepin ou Jean-Louis Debré. Plusieurs critiques qui sont montés au front étaient des centristes de l'UDF (comme le député européen Jacques Barrot) ou des anciens de ce parti (comme Jean-Pierre Raffarin). Bref, des personnalités, parfois même très américanophiles (comme l'UMP Pierre Lellouche) et qui n'ont rien à voir avec la tradition gaulliste en politique étrangère.
Si on veut bien examiner le fond des choses, c'est donc Ségolène Royal qui a défendu la politique traditionnellement mise en avant par des gaullistes comme Philippe Séguin ou Jean-Louis Debré. Les deux grandes chaînes de télévision ne s'y sont pas trompées. TF1 et France 2 ont situé la déclaration de Ségolène Royal -- la maladresse en plus -- dans la droite ligne de celles de Charles de Gaulle, de Philippe Séguin ou même de Jacques Chirac.
Le silence éloquent, mercredi, de Nicolas Sarkozy ne s'explique pas autrement. Le candidat de la droite avait tiré tout ce qu'il pouvait de la maladresse verbale de son adversaire. Pour le reste, s'il avait dû se compromettre sur le Québec, Nicolas Sarkozy aurait été perdant sur tous les fronts. Ou bien il s'inscrivait lui aussi dans la tradition gaulliste et donnait l'absolution à son adversaire, ou bien il dénonçait ses sympathies souverainistes et devait affronter les barons gaullistes de son parti.
Or Nicolas Sarkozy est déjà perçu comme un néolibéral qui penche pour les États-Unis. N'a-t-il pas passé une heure et demie, lors de la récente convention de l'UMP, à tenter de convaincre ses militants qu'il s'inscrivait dans la grande tradition républicaine de la droite française, donc du gaullisme?
L'histoire dira si, en voyant la candidate socialiste marcher dans ses traces, le président Jacques Chirac n'a pas eu un sourire d'approbation. L'ancien ministre Philippe Séguin a dû lui aussi avoir de la difficulté à se retenir d'applaudir. Sans oublier le premier ministre Dominique de Villepin. Il faut en effet savoir que, dans cette campagne, personne ne peut exclure que le président Jacques Chirac penche plutôt pour une Ségolène Royale néo-gaulliste que pour un Nicolas Sarkozy qui a construit sa renommée sur le dos de sa présidence. Entre les deux tours de l'élection de 1982, c'est Chirac qui avait fait pencher la balance pour le socialiste Mitterrand contre l'UDF Giscard d'Estaing.
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Loin d'ébranler ou de remettre en question la politique traditionnelle de la France -- qui vise depuis plus de 25 ans à «accompagner le Québec» dans ses choix quels qu'ils soient --, cette visite aura permis de confirmer que ce «mantra» est toujours partagé par la plupart des familles politiques.
Elle aura aussi permis de découvrir que la traditionnelle retenue des socialistes à l'égard de l'indépendance du Québec -- «Le nationalisme, c'est la guerre», disait Mitterrand -- n'a plus cours. Si on oublie «tout ce qui grouille, grenouille, scribouille» -- et cela ne manque pas --, c'est probablement la seule vraie nouvelle de ce voyage d'André Boisclair en France.
Correspondant du Devoir à Paris
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