Devant la crise financière et économique, ils sont tous, soudain, devenus sociaux-démocrates! Tous, ils jettent des fonds publics et creusent des déficits astronomiques pour sauver, qui les banques, qui les constructeurs automobiles, et même - c'est la phase suivante, qui commence maintenant en Europe et aux États-Unis - pour aider les petites gens, les chômeurs et les collectivités locales. Les mots d'ordre: grands travaux d'infrastructure, maintien et renouvellement de l'appareil de production, soutien à la consommation...
Tous, de Washington à Paris, ils revisitent, façon XXIe siècle, le grand Keynes, John Maynard Keynes, mort en 1946, théoricien de la relance économique par la demande, la dépense publique et les déficits, qui inspira à Roosevelt son célèbre «New Deal» des années 1930.
Exemple: le président de la France, un politicien clairement étiqueté de droite, utilise depuis deux mois une rhétorique que ne récuserait pas un gauchiste. Avec des accents prophétiques, théâtraux et plus ou moins sincères - mais terriblement efficaces -, Nicolas Sarkozy vilipende le capitalisme et ses excès: «Une certaine idée de la mondialisation, clamait-il en septembre, s'achève avec la fin d'un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l'économie et avait contribué à la pervertir.» Et d'appeler, dans la foulée, à «repenser le rôle de l'État».
Sarkozy coupe ainsi l'herbe sous le pied d'un Parti socialiste français en proie à l'autodestruction, absorbé par sa guerre intestine, et qui a totalement perdu ses repères devant une situation nouvelle qui devrait pourtant le favoriser. Paradoxe particulièrement accusé en France, mais qui affecte les socialistes d'opposition dans toute l'Europe et au-delà: la droite, au pouvoir dans de nombreux pays, fait en ce moment - peu ou prou - ce que la gauche ferait elle-même... si elle s'y trouvait!
Sarkozy n'est pas seul. En Grande-Bretagne, le chef du gouvernement, Gordon Brown, héritier d'un «New Labour» légué par Tony Blair, devenu chéri des financiers et quasiment néolibéral pendant dix ans, redécouvre le social et, surtout, revient sur le dogme de l'équilibre budgétaire. «L'État, a dit le premier ministre il y a deux semaines, aidera les Britanniques à passer les moments difficiles en soutenant l'économie et en changeant les priorités budgétaires pour mieux aider l'énergie, le logement social et les petites entreprises.»
À l'échelle européenne, les plans de relance commencent à s'aligner, dans une rare prodigalité étatique qui se décline en centaines, voire en milliers de milliards. Et ce, malgré les réticences d'une Allemagne fiscalement conservatrice, qui s'était remarquablement rétablie au cours des dernières années sous Angela Merkel. Une Allemagne qui a toujours un peu peur, en Europe, d'être «celle qui va payer pour les autres»... La semaine dernière, ce sont 300 milliards de dollars que la Commission européenne est venue ajouter à une pléthore de plan nationaux.
Aux États-Unis depuis trois mois, on a - sacrilège? - nationalisé des banques, renfloué à coups de centaines de milliards des institutions financières à bout de souffle. Les Bourses tanguent et plongent... puis repartent en hausse - feu de paille? - comme elles l'ont fait depuis une semaine. Mais l'urgence se déplace maintenant sur le terrain de l'économie dite réelle. Barack Obama, qui s'active déjà même si son investiture doit encore attendre sept semaines, semble favoriser une intervention massive de ce côté également... même s'il a prudemment récusé, du bout des lèvres, les rapprochements explicites avec Franklin Roosevelt et le «New Deal».
Dans ce pays, les États et les municipalités - à travers lesquels passent la majeure partie des grands travaux publics - pourraient être les prochains bénéficiaires de la manne fédérale. D'un bout à l'autre des États-Unis, les municipalités réduisent les effectifs, coupent dans les services publics, licencient des employés par dizaines de milliers. L'hécatombe à Wall Street fera perdre des milliards à la ville de New York, qui a déjà commencé à couper dans les écoles, les bibliothèques, la sécurité publique.
Avec ou sans le nom, tout cela appelle bel et bien à un «New Deal» façon XXIe siècle, avec des modalités nouvelles... mais avec, derrière, de bons vieux principes étatiques. Et ce qui est remarquable, ce que tous embarquent, quelle que soit leur couleur politique...
Tous? Non! Car un village peuplé d'irréductibles ennemis du déficit résiste encore et toujours à la doctrine fiscale dominante du moment.
C'est le village d'Ottawa, dans une contrée nommée Canada, une bourgade sur la colline, peuplée de courageux gouvernants qui vont à contre-courant des idées reçues... mais qui, aux dernières nouvelles, le pistolet sur la tempe, semblaient prêts à mettre de l'eau dans leur vin conservateur.
Mais si ce dernier rempart du conservatisme tombe maintenant, que restera-t-il? N'ayez crainte, on pourra toujours attendre le prochain retour du balancier. Le monde n'est pas en train de passer - en bloc et définitivement - au «socialisme».
Mais en attendant, «au diable la dépense»... puisqu'il le faut!
François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.
Tous sociaux-démocrates (ou presque)
Crise mondiale — crise financière
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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