BAGDAD | L’Iran a tiré mercredi des missiles sur des bases abritant des soldats américains en Irak en représailles à l’assassinat par Washington du général Qassem Soleimani, une riposte attendue qui marque une «nouvelle phase», mais qui n’a pour le moment pas entraîné la déflagration redoutée.
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Dans la nuit, l’Iran a lancé son «opération Martyr Soleimani», à l’heure à laquelle le puissant architecte de la stratégie iranienne au Moyen-Orient a été tué vendredi dernier sur ordre du président américain Donald Trump.
En une demi-heure, 22 missiles sol-sol se sont abattus sur deux bases irakiennes, Ain al-Assad (ouest) et Erbil (nord), où sont stationnés certains des 5200 soldats américains déployés en Irak.
Le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a salué une «gifle à la face» des États-Unis, prévenant toutefois que ce n’était «pas suffisant pour cette affaire». Il est nécessaire que «la présence corrompue des États-Unis dans la région prenne fin», a-t-il martelé, alors que l’axe pro-Iran profite depuis vendredi d’un regain de sentiment anti-Américains en Iran, mais aussi en Irak et au Liban.
«Nous ne cherchons pas l’escalade ou la guerre, mais nous nous défendrons», a dit Mohammad Javad Zarif, le chef de la diplomatie. Il a affirmé que les représailles «proportionnées» de la nuit, qui ont notamment ciblé «une base d’où ont été lancées des attaques lâches contre nos citoyens et officiers de haut rang», étaient «terminées».
«Réponse publique»
Ces raids, qui selon l’armée irakienne n’ont pas fait de victime dans ses rangs, n’ont pas suscité de riposte immédiate, mais font plus que jamais redouter une escalade régionale et un conflit ouvert.
Déjà, les paramilitaires pro-Iran en Irak ont promis une réponse «pas moins importante» que celle de l’Iran et qui durera «jusqu’au départ du dernier soldat» américain. Ils assurent coopérer avec le mouvement chiite libanais Hezbollah et Téhéran.
Pour le spécialiste des groupes chiites armés Phillip Smyth, «des missiles balistiques ouvertement lancés depuis l’Iran sur des cibles américaines marquent une nouvelle phase».
L’Iran «a envoyé une réponse publique et d’ampleur», «un signal». La suite, affirme-t-il à l’AFP, pourrait être confiée «aux agents de l’Iran», à savoir les nombreuses factions armées pro-Téhéran en Irak, au Liban, en Syrie ou ailleurs.
Près de 11 heures après les tirs iraniens, Bagdad a indiqué en avoir été prévenu par «un message verbal» de Téhéran, «au moment» où les Américains appelaient pour indiquer que des missiles s’abattaient sur les bases où ils se trouvent.
La France et la Grande-Bretagne, dont des forces sont présentes en Irak dans le cadre de la coalition internationale antidjihadiste, ont indiqué que ces frappes, qu’elles ont condamnées, n’avaient pas fait de victime dans leurs rangs.
Londres a néanmoins exprimé sa «préoccupation» quant à des «informations faisant état de blessés».
Trump: «Tout va bien!»
Le site internet de la télévision d’État iranienne, citant une «source informée» au sein des Gardiens de la révolution, a évoqué la mort de «80» Américains. Mais ce bilan n’a pas du tout été étayé.
«L’évaluation des dégâts et des victimes est en cours. Jusqu’ici, tout va bien!», a au contraire écrit sur Twitter Donald Trump, ajoutant qu’il ferait une déclaration mercredi.
Selon des informations de presse citant un responsable américain, les forces de la coalition ont été prévenues des frappes, mais la provenance de cet avertissement n’était pas claire.
«Via nos canaux de renseignement, nous avons été avertis qu’une possible attaque était imminente», a déclaré à l’AFP un porte-parole de l’armée norvégienne, qui compte environ 70 soldats sur la base d’Ain al-Assad.
À la suite de ces nouvelles violences, l’agence fédérale de l’aviation américaine (FAA) a interdit aux avions civils américains le survol de l’Irak, de l’Iran et du Golfe, même chose du côté d'Air France, Lufthansa ou encore KLM.
Peu après, un Boeing ukrainien s’est écrasé après son décollage de Téhéran en direction de Kiev, faisant environ 170 morts (majoritairement des Iraniens et des Canadiens) sans que la cause de cet écrasement soit connue.
Les cours du pétrole se sont envolés de plus de 4,5% mercredi matin en Asie, avant de ralentir leurs gains. À Paris, le CAC reculait de 0,39%, tandis qu’à Londres le FTSE 100 baissait de 0,43%, et qu’à Francfort le Dax lâchait 0,58%.
Les Gardiens de la révolution, l’armée idéologique iranienne, ont conseillé à Washington de rappeler ses troupes du Moyen-Orient pour «éviter de nouvelles pertes». Ils ont aussi menacé «des gouvernements alliés» des États-Unis, en premier lieu les États du Golfe, pris entre l'Iran et l'Irak, et Israël.
Dans les rues d’Iran, les funérailles du général Qassem Soleimani, assassiné à Bagdad avec l’Irakien Abou Mehdi al-Mouhandis, leader des paramilitaires pro-Iran désormais intégrés aux forces de sécurité irakiennes, ont été jusqu’à mardi soir ponctuées d’appels à la «vengeance».
L’immense cortège à Kerman (sud-est), ville natale du général, a été endeuillé mardi par une bousculade qui a fait 56 morts, selon un dernier bilan officiel.
«La pire chose»
Avant même les frappes de la nuit, plusieurs États membres de la coalition antidjihadiste emmenée par les États-Unis ont annoncé qu'ils sortaient leurs soldats d’Irak, après des dizaines de tirs de roquettes depuis des semaines sur des bases les abritant.
Si la France et l’Italie disent rester, Canadiens et Allemands ont redéployé une partie de leurs troupes vers la Jordanie et le Koweït. L’OTAN a décidé de retirer temporairement une partie de son personnel.
M. Trump écarte tout départ, alors que le Parlement irakien réclame l’expulsion des troupes étrangères. Ce «serait la pire chose qui puisse arriver à l’Irak», a-t-il jugé.
Après le vrai-faux retrait total des troupes américaines de Syrie, annoncé par Donald Trump à deux reprises depuis un an avant qu’il ne fasse volte-face, il s’agit d’un nouveau coup porté à la lutte contre le groupe État islamique (EI), qui conserve des cellules djihadistes en Irak et en Syrie.
Le raid à Bagdad qui a tué Soleimani a galvanisé le sentiment anti-Américains au Moyen-Orient et créé un rare consensus contre Washington.
Le Parlement iranien a décrété toutes les forces armées américaines comme «terroristes».
Le débat fait déjà rage sur la légalité du tir de drone qui a pulvérisé la voiture dans laquelle se trouvait Soleimani, qui plus est dans un pays tiers, même si son secrétaire d’État Mike Pompeo assure que M. Trump avait «les bases légales appropriées».
M. Zarif devait quant à lui assister jeudi à une réunion du Conseil de sécurité à l’ONU à New York, mais il a affirmé que son visa américain lui avait été refusé.