L'utilisation de systèmes antiaériens russes par l'armée syrienne en réponse à la frappe américaine aurait pu provoquer un conflit nucléaire, qu'on n'a réussi à éviter que grâce au sang-froid du commandant en chef russe, estime Sergueï Soudakov, membre de l'Académie des sciences militaires de Russie.
Qui plus est, les systèmes antiaériens russes sont contrôlés uniquement par la Russie et assurent la défense de ses propres sites militaires, souligne l'expert militaire Vladislav Chouryguine.
Une guerre "chaude"
"Tout le monde s'interroge tout d'abord pourquoi les systèmes antiaériens russes n'ont pas abattu tous ces missiles. Les gens pensent qu'il aurait fallu le faire afin de prévenir cette agression. Mais si nous avions détruit ces engins, nous aurions pu ne pas nous réveiller ce matin à cause du conflit nucléaire. Nous aurions pu faire face à un affrontement de deux Etats nucléaires sur le territoire d'un pays tiers", souligne Sergueï Soudakov.
Les systèmes antiaériens russes sont contrôlés uniquement par la Russie et assurent la défense de ses propres sites militaires. Tout ce qui peut être dit d'autre n'est qu'une campagne médiatique sans aucun lien avec la réalité, explique Chouryguine.
"La Syrie est de temps en temps bombardée par Israël et la Turquie, mais nous ne faisons que défendre notre aérodrome et nos sites. A mon avis, il s'agit d'une décision politique de ne pas abattre ces missiles, car cela aurait pu provoquer un conflit russo-américain au niveau des forces antiaériennes", poursuit-il.
Selon lui, Donald Trump s'est dangereusement rapproché d'une "guerre chaude":
"Sans le sang-froid du commandant en chef russe, on aurait ordonné la destruction de ces Tomahawks. Ce qui aurait signifié le début d'une guerre".
Les États-Unis ont annoncé leur intention de frapper via des canaux diplomatiques. La Russie a également prévenu les Syriens qui ont évacué les soldats et le matériel de la base, poursuit-il.
"Cela ne témoigne pas de la force de nos positions et même tous ces accomplissement laissent un arrière-goût amer", estime-t-il.
Attaques et parallèles
Il y a une semaine, une base syrienne accueillant des forces aériennes russes a subi une frappe de l'armée de l'air israélienne. Il existe des parallèles entre ces deux attaques. On n'y fait pas vraiment attention mais elles sont assez considérables, affirme Viktor Olegovitch, directeur de recherche du Centre de la politique actuelle.
"Israël est l'allié-clé des USA au Moyen-Orient et sa position sur le problème syrien est proche de celle des Américains. Ses frappes rappellent en partie ce que nous avons constaté aujourd'hui. On peut les considérer comme un certain entraînement voire un test de réaction, mais la Russie a décidé de laisser sa réaction pour l'avenir. Et sa riposte sera sans doute appropriée", explique l'expert.
Si les frappes américaines contre les forces syriennes dans la province de Deir-ez-Zor en septembre 2016 ont tiré un trait sur les accords en faveur du règlement de la crise syrienne obtenus en Suisse, l'attaque d'aujourd'hui détruit l'espoir que Moscou avait d'une normalisation de ses relations avec Washington, indique-t-il.
Selon lui, certains changements de personnel avant l'agression actuelle contre la Syrie — par exemple la destitution de Michael Flynn qui avait une position modérée sur la Syrie — "montrent l'incapacité de Trump de résister à l'establishment américain": le président a remplacé les membres principaux de son administration qui étaient indésirables aux yeux des leaders des partis démocrate et républicain, et lance actuellement des initiatives satisfaisantes pour l'establishment et les services secrets.
Un faux pas
"Trump a besoin d'entreprendre des initiatives dans le domaine de la politique étrangère pour faire respecter sa politique intérieure. Mais ce pas a été tout à fait erroné. Il ne s'agit pas de sa décision, mais de la décision de ces conseillers, d'une erreur grave. On ne compte plus les cas où les Etats-Unis ont lancé des ingérences et détruit la souveraineté d'autres pays. Mais ce que nous constatons aujourd'hui est une agression d'un autre genre qui vise un allié de deux adversaires assez sérieux: la Russie et l'Iran", conclut-il.
Cet acte d'agression américaine repousse la possibilité de négociations à part entière même dans le cadre du sommet du G20, dans la cadre duquel Vladimir Poutine devrait s'entretenir avec Donald Trump: au lieu de normaliser les relations avec la Russie Trump les a rayées d'un trait et les deux pays ne peuvent même pas devenir "meilleurs ennemis".
"Il s'agit d'un coup dur contre les relations russo-américaines, les derrières évolutions et les espérances liées au nouveau président, à une amélioration de rapports avec lui par rapport à son prédécesseur. Il s'agit également d'un coup contre le processus de paix en Syrie qui avance déjà avec des difficultés très importantes. Il est désormais également menacé", affirme Nikita Smaguine, politologue et rédacteur en chef de la revue Iran segodnia.
Il faut, selon lui, analyser la réaction future des Etats-Unis. S'il s'agit d'une initiative isolée, cela sera un problème important, mais les négociations pourraient reprendre leur cours. Si les USA veulent lancer de nouvelles frappes, ce sera un scénario tout à fait différent ayant des conséquences encore plus sérieuses.
Détourner l'attention
Cette attaque fait partie d'un autre scénario de Trump, estime Sergueï Soudakov:
"La situation à Mossoul est actuellement désastreuse: des pertes sévères, beaucoup de victimes civiles… On a donc conseillé à Trump de détourner l'attention de Mossoul à l'aide de ce bombardement".
Nikita Smaguine est d'accord avec cette théorie de diversion:
"A mon avis ce facteur a sans doute influé sur la décision. Mais il n'est pas le seul. Il y a plusieurs facteurs. La nécessité de détourner l'attention constitue pourtant une motivation supplémentaire: il faut organiser une démonstration spectaculaire".
Dans tous les cas cet événement fait régresser toutes les relations à leur niveau du début du XXe siècle du point de vue des standards internationaux du droit, poursuit Soudakov.
"Nous constatons le retour du gendarme qui impose sa volonté par la force", conclut-il.
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