par Mercure, Philippe
Les multinationales ne considèrent plus le Québec comme un endroit compétitif pour faire des affaires. À tel point que le tiers de celles établies chez nous jugent leurs activités québécoises menacées.
C'est ce que révèle un sondage réalisé par le Groupe CAI Global auprès de 92 hommes et femmes qui dirigent des filiales de multinationales établies au Québec. Les résultats sont frappants: si 86 % des dirigeants jugent leur expérience québécoise positive jusqu'à présent, ils voient l'avenir avec inquiétude.
Seulement 33 % des chefs d'entreprise considèrent que le Québec gagne en compétitivité, une proportion qui atteignait pourtant 70 % en 1994. Le tiers des filiales interrogées affirment que leurs activités en sol québécois sont menacées, et 45 % des dirigeants estiment qu'ils seraient incapables de convaincre leur maison mère établie à l'étranger d'investir au Québec.
" J'ai vendu le Québec à l'international et j'aide les filiales québécoises des multinationales depuis 20 ans. Et jamais nous n'avons eu autant de difficulté à justifier les investissements au Québec qu'aujourd'hui ", affirme Howard R. Silverman, président et chef de la direction du Groupe CAI Global, la firme à l'origine du sondage qui travaille à faire le pont entre les entreprises et le gouvernement.
La Chine et les syndicats
Le banc des accusés déborde pour expliquer cette perte d'attrait du Québec. La hausse du dollar a mis la main-d'oeuvre jadis bon marché de la province sur un pied d'égalité avec celle des États-Unis. Pour Normand Poitras, directeur général de Komatsu International Canada, c'est une épine dans le pied quand vient le temps de rafler un mandat de la maison mère au profit des autres filiales. " Les Américains comprennent mal pourquoi nous sommes la seule usine dont les coûts augmentent soudainement de 30 %. Et il faut justifier ce côté-là " explique-t-il.
Pour une multinationale européenne, par exemple, le Québec était auparavant vu comme une porte d'entrée sur le plus gros marché du monde. Les choses ont changé: aujourd'hui, le plus gros marché est en Asie, et la hausse des prix du pétrole fait en sorte que pour conquérir celui des États-Unis, il vaut maintenant mieux être du bon côté de la frontière.
Il n'y a toutefois pas que les pays émergents qui sont blâmés. Les syndicats et le gouvernement provincial en ont aussi pris pour leur grade, hier, lors de l'exposé donné par M. Silverman et la poignée d'hommes d'affaires qui l'accompagnaient.
" Le Québec a gagné une réputation d'avoir des syndicats actifs et des règles de relations de travail complexes, qui deviennent des facteurs importants quand les filiales locales veulent se vendre à leur maison mère ", estime M. Silverman. Il n'est pas seul à penser ainsi: pas moins de 80 % des dirigeants de filiales québécoises jugent que la syndicalisation et les règles de relations de travail entravent leur capacité de faire des affaires au Québec. Et ils sont encore plus nombreux- 83 %- à trouver que la politique économique du gouvernement québécois n'est pas " claire ".
" Oui, on fait des études. Mais est-ce qu'on a des plans d'action? Non ", dénonce M. Silverman, qui prône un retour de l'interventionnisme du gouvernement provincial. " Le gouvernement a un rôle: un rôle de vision, de leadership, de créer un environnement propice aux investissements ", dit-il.
" Regardez l'Irlande: la politique économique est mieux définie, mieux structurée, et probablement mieux publicisée pour qu'on en entende parler jusqu'ici ", dit pour sa part M. Poitras, de Komatsu.
Selon les dirigeants de filiales, le désir d'attirer les multinationales chez soi fait souvent oublier l'importance de convaincre celles qui y sont déjà de rester et d'investir ici. " On nous tient un peu pour acquis ", déplore Germain Morin, vice-président, exploitation, de Wyeth pharmaceutiques. Un oubli qui fait d'autant plus mal que, selon le Groupe CAI Global, 75 % des investissements étrangers au Québec se font par l'entremise des filiales de multinationales déjà établies dans la province.
Sur une note plus positive, la qualité de la main-d'oeuvre québécoise continue d'être vantée par les entrepreneurs, qui l'élèvent au tout premier rang des atouts de la province.
Encadré(s) :
CE QU'ILS EN DISENT...
" Il semble qu'au Québec, nous aimons argumenter jusqu'à ce qu'aucune décision ne soit prise. Nous avons la réponse aux problèmes dans le monde, mais on ne peut trouver la solution à nos propres problèmes. " - Victor LaPenna, directeur général, Jomac Canada " Traditionnellement, le Québec utilisait avantageusement le taux de change et était concurrentiel au niveau de la compétence technologique. Aujourd'hui (...), tout le monde a rattrapé le Canada, et la compétence technologique n'est plus un facteur favorable pour le Québec. " - Isaku Motohashi, directeur général, usine de Joliette, Bridgestone/Firestone Canada " Je ne sens pas l'urgence du gouvernement du Québec à aider les entreprises dans les situations où il y a une menace. " - Stéphane Poirier, directeur finance, Wyeth Pharmaceutiques " Les banques protègent le dollar canadien pour un maximum de trois à cinq ans, alors que dans notre industrie, les contrats sont pour des périodes de 10 à 15 ans. " - Pierre Gauthier, chef de la direction, Alstom Canada " La mondialisation se déroule actuellement, mais le Québec est derrière dans ce mouvement. " - Daniel Dubé, contrôleur, planification financière, Weir Canada
Citations tirés de l'étude Pourquoi réinvestir au Québec du Groupe CAI Global.
Les 10 atouts du Québec, selon les dirigeants:
1 Qualité de la main-d'oeuvre spécialisée
2 Sécurité
3 Qualité de vie
4 Disponibilité de l'énergie
5 Disponibilité des infrastructures de télécommunications
6 Qualité des infrastructures de télécommunications
7 Qualité du réseau énergétique
8 Choix des activités de loisir
9 Disponibilité des infrastructures de transport
10 Réglementation environnementale
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