Le Québec comparé aux pays scandinaves

Social-démocratie 2.0

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Social-démocratie 2.0

Le Québec est à la croisée des chemins. En présence de finances publiques précaires et du vieillissement de la population, plusieurs experts en sont venus à penser que la manière d’offrir les services publics au Québec sera de plus en plus difficilement soutenable à long terme (Godbout et al. 2014). Cette problématique revêt une importance considérable pour l’avenir du Québec. C’est l’intervention, plus importante qu’ailleurs en Amérique du Nord, de l’état dans l’économie et dans le social qui explique pourquoi le Québec est une société moins inégalitaire que le reste du Canada ou encore que les États-Unis. Ce sont les politiques fiscales et sociales qui expliquent pourquoi le Québec est si soucieux des familles (soutien financier, garderie à contribution réduite et Régime québécois d’assurance parentale) (Godbout et St-Cerny, 2008) ou que le taux de pauvreté chez les enfants est beaucoup plus bas que ceux de nos voisins immédiats (voir le chapitre 15 dans cet ouvrage).
En souhaitant préserver ces acquis, et même les bonifier, les moyens à retenir pour atteindre cet objectif nécessiteront une intervention structurée et cohérente de l’état. Que l’on pense à la mise en place de régimes de retraite plus complets, à la création d’une assurance autonomie pour les personnes âgées, aux politiques d’insertion des nouveaux arrivants sur le marché du travail ou encore de lois du travail favorables aux travailleurs, toutes ces réformes conduisent inévitablement à une augmentation du poids de la fiscalité et d’intervention de l’état dans l’économique et le social. Des actions qui semblent aller en sens contraire des politiques de réforme de l’état depuis les années 1980.
Comme nous l’avons constaté dans les chapitres précédents, la Suède, la Finlande et le Danemark, qui connaissaient une crise de leur modèle comparable sur de nombreux points à celle que connaît le Québec aujourd’hui, ont réussi à enregistrer une bonne performance économique tout en maintenant, de manière relative, des inégalités de revenus et des taux de pauvreté plus bas qu’ailleurs. Ils ont réussi à redevenir efficaces économiquement tout en demeurant justes socialement.
Ce chapitre a deux objectifs. Le premier est d’évaluer où se situe le Québec par rapport à la Suède, la Finlande et le Danemark sur divers indicateurs économiques et sociaux. Le second est de chercher à expliquer les différences et à briser certains mythes. Ces pays scandinaves constituent un bon point de comparaison pour le Québec. Ils sont, et de loin, les pays les plus sociaux-démocrates de la planète. S’ils ont réussi à s’ajuster à la mondialisation, le gouvernement du Québec serait bienvenu de s’inspirer de leurs meilleures pratiques.

La croissance
Le Québec a-t-il connu une croissance économique comparable à celle des pays scandinaves de 1989 à 2011 ? En tenant compte de l’évolution de la population, il est possible de tracer un indice où le PIB par habitant de 1989 égale 100. On constate à la figure 8.4 que le PIB par habitant réel du Québec, comme ceux de la Suède et de la Finlande, a diminué avec la récession du début des années 1990. En bout de piste, la croissance réelle du PIB par habitant au Québec a été de 30,9 % de 1989 à 2011. Ce résultat devance légèrement celui observé au Danemark (29,7 %). En revanche, le PIB réel par habitant du Québec est devancé par ceux de la Finlande et de la Suède, respectivement 38,5 % et 41,9 %.
En résumé, les quatre ensembles politiques étudiés ont connu une croissance réelle de leurs PIB par habitant depuis le début des années 1990, mais la Finlande et la Suède ont connu une croissance supérieure à celle du Québec.

Le marché du travail
Le taux d’activité et le taux d’emploi sont historiquement plus hauts dans les pays scandinaves qu’au Québec. Le taux d’emploi représente le pourcentage de personnes de 15 à 64 ans qui ont effectivement un emploi.
Cela dit, fait très intéressant, le Québec tend à se rapprocher des pays scandinaves depuis les années 1990. Le Québec connaît en effet une plus forte augmentation de son taux d’activité que les pays scandinaves. Le Québec dépasse aujourd’hui la Finlande et se rapproche de la Suède et du Danemark (Graphique 3.2).
Une partie de l’explication de ce rattrapage québécois passe par une augmentation marquée du taux d’emploi féminin au Québec. En 1990, le taux d’emploi féminin au Québec était largement inférieur à ceux observés dans les pays scandinaves, mais cet écart s’est rétréci dans les deux décennies qui ont suivi. En 2000, par exemple, la différence entre le taux du Québec et celui de la Suède était de 11 points de pourcentage. Il ne sera que de 1,4 point de pourcentage dix ans plus tard. En 2010, très peu d’écart subsistait donc entre les taux d’emploi féminin des différentes juridictions. Cette situation s’explique d’abord par la croissance impressionnante du taux d’emploi féminin au Québec, mais également par un déclin du taux d’emploi féminin en Suède de 1990 à 1995.

Les inégalités
Au sein des états membres de l’OCDE, les pays scandinaves figurent parmi les plus égalitaires. En recourant au coefficient de Gini, on constate que ces pays s’en sortent relativement bien. Résumé à sa plus simple expression, le coefficient de Gini est un nombre variant de 0 à 1, où zéro signifie une égalité parfaite (tous les citoyens ont exactement les mêmes revenus) et un, une inégalité totale (une personne concentre tous les revenus).
Dans les faits, les pays très inégalitaires, comme le Brésil ou l’Afrique du Sud, ont des coefficients de Gini de 0,5 ou 0,6. En revanche, ceux qui sont les plus égalitaires, à l’instar des pays scandinaves, présentent des coefficients qui tournent autour de 0,25 après impôts et transferts.
Lorsque l’on compare les chiffres du milieu des années 1990 avec ceux de la fin des années 2000 (cette sélection nous permet d’évaluer les répercussions des coupes budgétaires, des baisses d’impôts et des mesures d’assainissement des finances publiques), on constate que les coefficients de Gini avant impôts et transferts ont très peu changé (Tableau 3.1). Ils ont à peine diminué dans le cas des pays scandinaves et légèrement augmenté au Québec et au Canada (Tableau 3.1). Fait étonnant, la situation du Québec avant les transferts et les impôts est meilleure que celle de la Finlande !
C’est après la prise en considération des effets de l’imposition et des transferts gouvernementaux que l’écart se creuse en faveur des pays scandinaves. Les pays scandinaves redistribuent beaucoup plus les revenus que le Québec. Le Québec maintient cependant un niveau d’inégalité plus faible que le Canada. Le coefficient du Québec se situe entre ceux des pays scandinaves et des pays anglo-saxons comme les États-Unis et la Grande-Bretagne. Le Québec se rapproche de la France ou de l’Allemagne et il affiche de meilleurs résultats que la moyenne des pays de l’OCDE (Godbout et St-Cerny, 2013).
Autre fait intéressant, si l’indice de Gini a augmenté partout, dans les pays scandinaves et au Québec, c’est au Québec que la progression est la moins importante. Le Québec réduit lentement l’écart qui le sépare des pays scandinaves.

Comment expliquer les différences ?
Quels sont les principaux facteurs qui peuvent expliquer une partie de l’écart en matière de performance économique et d’inégalités de revenus entre le Québec et les trois pays scandinaves ? L’explication classique veut que ce soit une question de niveau d’éducation. Est-ce que les pays scandinaves détiennent une telle avance sur le Québec qu’on pourrait déduire que cette variable explique l’essentiel de l’écart en matière de croissance économique ?
Difficile à dire de manière concluante. D’autres analyses plus fines sont nécessaires, mais globalement, et contrairement aux idées reçues au Québec, les écarts ne sont pas très grands. Les différences dans les pourcentages de diplomation universitaires de la population de 25 à 64 ans ayant un diplôme universitaire en 2008 ne sont pas très importantes. C’est le Danemark qui détient le meilleur pourcentage avec 25 %, suivi de la Suède avec 23 %, du Québec avec 22 %, alors que la Finlande ferme la marche avec 20 %. Il est difficile de dire si la qualité de l’enseignement universitaire dans les pays scandinaves surpasserait celle du Québec (voir les chapitres 11 et 12 dans cet ouvrage).
Sur le plan du système d’éducation préuniversitaire, on lit souvent que la Suède a favorisé une multiplication des écoles privées et mis sur pied un système de « vouchers » qui aurait augmenté ses performances en matière d’éducation secondaire. Cette affirmation mérite d’être fortement nuancée.
Il est vrai que la Suède a permis la création d’écoles « privées » (en Suède, on parle plutôt d’écoles « indépendantes », car l’expression signifie que le conseil d’administration est indépendant des municipalités) et que l’argent suit l’élève qui peut plus librement choisir l’école de son choix. Ces écoles privées n’ont cependant pas le droit de sélectionner les candidats ni même d’exiger des droits de scolarité, contrairement aux écoles privées québécoises. Les écoles indépendantes possèdent ainsi le même financement que les écoles publiques. Finalement, les performances globales de la Suède sont, selon les dernières données du test PISA, clairement inférieures à celles du Québec.
Lorsque l’on compare les résultats des tests PISA de l’OCDE qui s’adressent à des jeunes de 15 ans, les résultats démontrent même que le Québec s’en sort relativement bien par rapport aux pays scandinaves. En 2012, le Québec devançait tous les pays scandinaves en mathématiques et n’était devancé que par la Finlande en lecture et en sciences (voir le chapitre 13 dans cet ouvrage). Le Québec est loin devant la Suède. Lors de la réception des résultats des derniers tests PISA, le ministre de l’éducation de Suède a même affirmé que le gouvernement suédois devait renationaliser (ou recentraliser) l’éducation nationale, car les municipalités ne possèdent pas la compétence nécessaire pour gérer les écoles (Tömkvist, 2013).
Historiquement, la Finlande s’en sort très bien, même si les tests PISA de 2012 démontrent un recul de ce pays dans le classement. Dans ce pays, le gouvernement n’a pas ouvert massivement son système d’éducation au privé.
Il est vrai cependant qu’en ce qui concerne le financement de la recherche et développement, les trois pays scandinaves surclassent le Québec sur deux aspects très importants. Dans le premier, le pourcentage des investissements totaux en proportion du PIB est plus élevé (3,92 % du PIB pour la Finlande, 3,61 % pour la Suède et 3,06 % pour le Danemark contre 2,58 % pour le Québec en 2009). Dans le second, la part des investissements privés dans l’investissement total est plus importante. Sur une période de dix ans (de 2000 à 2010), le secteur privé représentait 54,4 % des dépenses en R et D au Québec contre 68,7 % en Finlande, 64,4 % en Suède et 60,4 % au Danemark (ISQ, 2012).


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