Parce que les faibles droits de scolarité sont un symbole de la façon dont le Québec a défini sa social-démocratie, leur hausse a servi de déclencheur à un débat beaucoup plus large sur le modèle québécois. Cela explique en bonne partie l'intensité du conflit étudiant. Cela explique aussi les appuis dont ont bénéficié les associations étudiantes - les centrales syndicales, les artistes ou le monde de l'enseignement.
Ce n'est certainement pas un débat oiseux. Mais la façon dont le conflit étudiant a dérivé n'a pas permis de bien poser ses termes. On l'a présenté, un peu grossièrement, comme un conflit entre deux visions de la société, une vision sociale-démocrate, respectueuse du modèle québécois, et une autre, qualifiée de néolibérale, qui le menace.
On devrait plutôt y voir le conflit entre deux conceptions de la social-démocratie, l'une plus idéaliste, l'autre plus pragmatique. L'une qui veut préserver les acquis. L'autre, qui veut introduire un principe de réalité dans le débat, qui ne veut pas détruire le système, mais plutôt le sauver.
Pour ses opposants, la hausse des droits a clairement été perçue comme la rupture d'un contrat social implicite où le gel, forme imparfaite de gratuité, est associé à l'accès à l'université pour tous et à la justice sociale. Dans cette logique, les fortes hausses du gouvernement Charest remettent en cause l'un des fondements de notre système d'éducation.
Et pourtant, la position gouvernementale repose sur les mêmes valeurs: l'importance de l'éducation comme bien collectif, le rôle central de l'université, le désir d'en assurer l'accès au plus grand nombre. On oublie souvent que la hausse des droits de scolarité s'inscrivait dans un projet plus large pour injecter plus d'argent dans le réseau universitaire: 850 millions par année dans cinq ans dont 430 millions proviendraient du gouvernement, ce qui n'a rien de particulièrement néolibéral.
Le débat porte moins sur les principes que sur les solutions. Il oppose deux réponses aux menaces qui pèsent sur les modèles d'État-providence. Ces modèles, conçus dans les années 60 et 70 dans une période de grande prospérité, ne sont plus viables. Nous sommes de moins en moins capables de les payer. Les services ont tendance à se dégrader. Parce que le potentiel de croissance est plus faible, que la stagnation démographique réduit les moyens, mais augmente les besoins, parce que leur financement par l'endettement nous place maintenant dans une impasse.
Cela menace un système qu'une majorité de Québécois veut préserver. Mais comment? L'approche classique, notamment celle du mouvement syndical, que les associations étudiantes ont reprise telle quelle, consiste à défendre les acquis coûte que coûte, dans une logique de sacralisation.
L'autre approche, c'est de revenir à un principe de réalité, pour mieux sauver les meubles: redéfinir les obligations de l'État pour se concentrer sur l'essentiel, accepter de payer - par des impôts, par des tarifs, par l'approche de l'utilisateur-payeur que l'on retrouve dans ce dossier. De s'attaquer à des vaches sacrées, comme le principe de l'universalité, défini comme l'expression ultime de la justice sociale, mais qui, dans les faits, constitue une très mauvaise façon de redistribuer la richesse des riches vers les pauvres. Mais c'est un débat complexe qui ne peut pas se mener à coups de mégaphones.
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