Près de deux ans après la déferlante #balancetonporc sur les réseaux sociaux, Sandra Muller, l’initiatrice de ce hashtag emblématique, a été condamnée par le tribunal de Paris, mercredi 25 septembre, pour diffamation. Elle devra verser à Eric Brion, qu’elle accusait de harcèlement, 15 000 euros de dommages et intérêts.
La journaliste de la Lettre de l’audiovisuel, l’une des « briseuses de silence » désignées par le magazine Time comme l’une des « personnalités de l’année » 2017, a également été condamnée à verser au plaignant 5 000 euros au titre des frais de justice, à retirer le tweet litigieux et à publier des communiqués judiciaires sur son compte Twitter et dans deux organes de presse, dans une limite de 4 000 euros, selon le jugement consulté par Le Monde. Son avocat, Francis Szpiner, a indiqué qu’il entendait faire appel, dénonçant lors d’un point presse une décision « hors du temps » et « une régression ».
Le 13 octobre 2017, Sandra Muller écrit sur la plate-forme Twitter le message suivant :
« #balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlent [sic] sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends. »
Message suivi quatre heures plus tard par un second Tweet : « “Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit” Eric Brion ex-patron de Equidia #balancetonporc ». La parole de milliers de femmes dénonçant harcèlement ou agressions sexuelles s’était libérée sous ce mot-dièse #balancetonporc, rapidement devenu viral, et sous son équivalent en anglais #metoo (« moi aussi ») relancé par l’actrice Alyssa Milano.
Le tribunal a souligné que la question des « violences sous toutes leurs formes infligées aux femmes par des hommes constitue à l’évidence un sujet d’intérêt général ». Pour autant, les juges ont estimé qu’en imputant à Eric Brion de l’avoir harcelée sexuellement, Sandra Muller avait tenu des propos diffamatoires – le délit de harcèlement étant constitué par « une répétition ou une pression grave » – et qu’elle ne pouvait bénéficier de l’excuse de « bonne foi », n’ayant apporté ni « base factuelle suffisante » ni preuve de la vérité de ses accusations.
Sandra Muller « a manqué de prudence dans son tweet, notamment en employant des termes virulents tels que “porc pour qualifier le demandeur, l’assimilant dans ce contexte à Harvey Weinstein, et “balance”, (…) l’exposant ainsi à la réprobation sociale ; elle a dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression, ses propos dégénérant en attaque personnelle », a estimé le tribunal. Les juges ont souligné, dans leur décision, « le retentissement exceptionnel mondial qu’ont eu ces deux tweets » et leurs conséquences pour Eric Brion : « Isolement social » et lourde dépression.
« Ce n’est pas un signal positif que la justice envoie. On leur dit, Mesdames, retournez sept fois votre langue dans votre bouche avant de tweeter, sinon vous serez asphyxiées financièrement », a critiqué l’avocat de Sandra Muller.
De son côté, le plaignant « accueille la décision avec une certaine forme de soulagement », a réagi son avocat, Nicolas Bénoit.
Je suis extrêmement soulagé de la décision sévère que vient de rendre la 17ème Chambre du TGI de Paris après 2 anné… https://t.co/O4gDaUTCSz
Lors de l’audience devant la 17e chambre civile du tribunal de Paris, le 29 mai dernier, Mme Muller avait défendu la libération de la parole initiée par #balancetonporc, tandis qu’Eric Brion et ses avocats avaient dénoncé une forme de « délation ».
Ces propos, retweetés plus de 2 500 fois, remontent à une soirée cannoise de 2012, en marge du Marché international des programmes de télévision où ils se trouvaient tous deux pour le travail. Eric Brion, qui a convenu avoir eu des mots déplacés et s’était excusé par texto le lendemain, s’était défendu d’« être un harceleur sexuel ».
Ses avocats avaient attaqué le « mensonge » sur lequel serait fondé #balancetonporc, puisqu’Eric Brion « n’est pas un harceleur ». « Oui, #balancetonporc est un phénomène superbe, mais à côté de ça, il y a eu de la calomnie, de la rumeur », ont-ils estimé. En face, les avocats de Sandra Muller avaient jugé que condamner leur cliente reviendrait à « bâillonner » la parole libérée.