Ainsi, Robert Lepage a plié les genoux devant les apôtres de la rectitude politique.
La prochaine fois qu’il montera une pièce qui se déroulera en Afrique ou au Japon, il devra embaucher des comédiens africains ou japonais.
Sinon, les guerriers de la justice sociale vont faire la danse du bacon et le traiter de raciste.
Tintin et le lotus bleu
Qualifier d’interprétation « naturaliste » l’œuvre de Lepage, c’est comme dire que Picasso était un mauvais peintre parce qu’il dessinait des personnages avec des yeux dans le front.
C’est stupide.
Prenons La Trilogie des dragons, l’une de ses pièces les plus connues et les plus célébrées.
Quand Lepage évoque la Chine dans cette fresque qui se déroule dans les quartiers chinois de trois villes canadiennes (Québec, Toronto, Vancouver), il ne parle pas de la vraie Chine, mais d’une Chine inventée, imaginée, fantasmée par des enfants de 12 ans qui ne sont jamais sortis de la basse-ville de Québec.
C’est une Chine mythique.
La Chine de Tintin et de Fu Manchu.
Une Chine de pacotille. Une Chine créée de toutes pièces avec des boîtes de chaussures, de la corde et du scotch tape.
C’est pour ça que les personnages de Chinois étaient joués par des comédiens québécois « pure laine » qui faisaient partie de la troupe de Lepage.
Parce que ce n’était pas de vrais Chinois, mais des Chinois imaginés par des enfants !
Même mon fils de 10 ans comprendrait ça...
Invitation au voyage
Reprocher à Lepage ou à Ariane Mnouchkine de ne pas refléter fidèlement la réalité, c’est comme reprocher à Fellini d’être un mauvais portraitiste de l’Italie des années 60.
Duh !
C’est justement ça, le propos des pièces de Lepage !
L’invention. Le rêve. Les voyages imaginaires. L’exotisme fantasmé. Les paradis artificiels. La théâtralité.
Le déguisement.
Car toute création est d’abord et avant tout une distorsion de la réalité. Un mensonge.
Robert Lepage n’est pas Arthur Miller ! Ce n’est pas un dramaturge naturaliste ! C’est un artiste baroque. Comme Shakespeare ou Orson Welles.
Quand il parle du Japon dans Nô, il ne parle pas du vrai Japon, mais du Japon qu’il a imaginé quand il était jeune !
Le Japon des restaurants japonais, d’IXE-13 et de l’Expo 67 !
Savez-vous quel est le vrai crime de Robert Lepage ?
C’est de vouloir explorer l’imaginaire à une époque qui est absolument incapable de rêver.
C’est de parler de fantasme à des gens qui n’ont que le mot « authenticité » à la bouche, et qui sont incapables de se projeter ailleurs, hors d’eux-mêmes, incapables de prendre leur distance avec leur petite réalité terne et grise.
Un artiste baroque
Les curés de la rectitude politique veulent que les artistes reflètent la réalité « telle qu’elle est ». Il y a X % de personnes de tel type dans le monde ? Alors il devrait y avoir X % de personnes de tel type au cinéma et à la télé.
Mais les artistes comme Lepage se foutent de la réalité ! Leur univers est trop foisonnant pour qu’on le réduise à une simple liste de statistiques !
Coudonc, savez-vous ce qu’est l’art, les petits lapins ?