Réponses à des étudiants

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MBC n'a rien compris : les membres de La Meute sont d'anciens péquistes qui ne se reconnaissent plus dans ce parti de plus en plus politiquement correct

Il y a quelques semaines, à la fin janvier, j’ai fait une conférence dans une école secondaire à propos des grands enjeux du Québec contemporain. Au terme de la rencontre, on m’a demandé si je voulais répondre par écrit à quelques questions des étudiants, un exercice auquel je me suis plié avec plaisir. Je me permets de reproduire le tout ici, puisque ces questions, venant de jeunes hommes et femmes en secondaire cinq, me semblaient particulièrement pertinentes.


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Pourquoi de nombreux Québécois paraissent plus attirés par la culture américaine que par leur propre culture?  Est-il réellement possible de contrer ce puissant attrait?


Nous sommes voisins de l’empire le plus puissant de tous les temps, il est normal, ou du moins, inévitable qu’il exerce sur nous une véritable attraction, surtout dans une époque de mondialisation, qui laisse croire à chacun que son destin se joue à l’échelle de la planète, et plus encore à un moment de notre histoire où le peuple québécois a perdu confiance en lui à cause de trop nombreuses défaites politiques. On nous explique aujourd’hui que les patries sont trop petites et que le monde peut nous appartenir pour peu qu’on parte à sa conquête. On nous promet la gloire et la fortune. On oublie qu’en s’arrachant à son pays, l’homme se condamne à la sécheresse existentielle, il renonce en fait au monde qui l’ancre dans l’existence. Les Québécois, s’ils le veulent, peuvent être une des petites nations les plus intéressantes de la planète : s’ils perdent leur singularité sur ce continent, ils ne seront jamais que des Américains de seconde zone.


Pouvons-nous le contrer? Oui. Nous l’avons déjà fait, d’ailleurs. En redécouvrant une chose simple, que je viens tout juste d’évoquer : lorsque l’homme s’arrache à sa culture, il se mutile, ce n’est qu’en l’embrassant, en l’assumant, qu’il peut ensuite créer véritablement, transcender ses appartenances premières et parler au monde. Et soyons honnêtes : la culture globale d’inspiration américaine n’est pas si intéressante. Elle est préfabriquée, idéologiquement codifiée. Je ne dis pas qu’on n’y trouve pas des œuvres éclatantes : je dis que si on ne «consomme» que cela culturellement, on se condamne à un bien mauvais régime. J’ajoute une chose : nous sommes un peuple de langue française : peut-être aurions-nous intérêt à renouer intimement avec la France, qui est pour nous une nation sœur. J’en ajoute une dernière : nous résisterons mieux à l’américanisation et l’anglicisation quand nous serons un pays à part entière.


On entend parfois que l’utilisation exclusive de l’anglais au Québec aurait plusieurs avantages pratiques, notamment une capacité à communiquer plus facilement à l’international, en plus de permettre d’économiser temps et effort dans l’apprentissage d’une deuxième langue.  Que répondez-vous à cet argument?


Je ne sais pas trop où on peut entendre un tel propos, sinon dans les franges les plus radicales de la communauté anglophone, ou encore, chez quelques Québécois francophones qui portent leur culture comme un fardeau et rêvent de s’en débarrasser, comme s’ils pouvaient ainsi se délivrer d’eux-mêmes et renaître à la manière de petits citoyens du monde aseptisés. Que nous dit cet argument : que si nous n’existions pas comme peuple, ce serait beaucoup plus simple, que nous pourrions vaquer à nos occupations à la manière de nord-américains comme les autres. Faut-il souhaiter une semblable disparition à tous les autres peuples du monde, et une conversion globale à l’anglosphère mondialisée, comme si enfin, à travers elle, l’humanité pouvait s’unifier? En fait, elle s’appauvrirait terriblement, elle renoncerait à sa passionnante diversité.


Pourquoi la question de l’indépendance paraît si peu intéresser la majorité des Québécois?


Parce que nous avons échoué, tout simplement. Un peuple n’échoue pas son indépendance sans en payer le prix. Les Québécois semblent s’être repliés dans l’intimité, loin de la chose publique, comme s’ils ne voulaient plus penser à la politique. Nous avons sous-estimé les conséquences de la défaite, surtout celle de 1995. La jeune génération, quant à elle, a été élevé dans un Québec vaincu, qui n’inspirait plus les passions fortes, et plus encore, a été conditionné par un discours social qui discrédite l’appartenance nationale et l’assimile souvent au racisme, à la xénophobie, à la crispation identitaire. Mais je ne désespère pas: je crois que l’indépendance répond dans notre peuple à ce qu’on pourrait appeler sa pulsion de vie. Pour l’instant, les Québécois se font croire qu’ils peuvent vivre en apesanteur politique : l’histoire va les rattraper. Dans la fédération canadienne, ils sont condamnés à une marginalisation linguistique et démographique inéluctable. Veulent-ils vraiment avoir comme destin celui d’une minorité ethnique de plus en plus considérée comme une population résiduelle et folklorique appartenant au monde d’hier, et vouée à s’effacer devant le monde qui vient? On ne doit jamais oublier qu’un peuple vaincu et qui se laisse mourir disparait rarement en paix : il a droit au mépris qu’on réserve souvent aux vaincus. On le voit déjà à Montréal où les Québécois francophones sont de plus en plus traités comme une tribu des anciens temps qu’il faut accommoder encore pour un temps tout en lui faisant comprendre qu’elle est exaspérante avec ce qu’on présente comme ses caprices culturels et linguistiques. On me dira que je parle durement, que j’ai une vision tragique de l’histoire. Ce n’est pas faux. Mais elle me semble réaliste, tout simplement.


Est-ce que le peuple québécois est condamné à une assimilation à moyen terme?


J’espère bien que non, même si aucune nation n’est immortelle, encore moins éternelle! Un jour, le monde aura un tout autre visage, mais ce jour n’est pas arrivé! J’espère, à tout le moins, que nous serons encore là pour quelques siècles, fiers continuateurs de la grande aventure de l’Amérique française, qui se poursuit aujourd’hui à travers le parcours du peuple québécois. Mais pour cela, il faut le vouloir. Il faut se rappeler que nous sommes une nation en situation de précarité existentielle, il nous faut redécouvrir l’enracinement dans notre propre histoire, renouer avec notre propre langue et notre propre culture, prendre des décisions réfléchies en matière d’immigration et d’intégration des nouveaux arrivants, et surtout, devenir un pays indépendant. Pour l’instant, il y a une urgence absolue : il faut s’assurer que les Québécois francophones demeurent très clairement majoritaires au Québec. C’est ce qu’on appelle conserver un rapport de force et cela implique de ramener à la baisse nos seuils d’immigration, de s’affranchir du multiculturalisme fédéral, de mettre de l’avant une vraie politique d’intégration et de renforcer la loi 101. Mais pour cela, il faut penser la politique sérieusement, en se délivrant de la bienpensance médiatique qui hurle au scandale dès qu’on parle sans fard de la réalité.


Qu’est-ce que vous pensez de la montée au Québec de groupes nationalistes tels que La Meute?


Premièrement, qu’il ne s’agit pas de groupes nationalistes mais fédéralistes, on oublie trop souvent de le mentionner. Ils brandissent plus aisément l’unifolié que le fleurdelisé. Je note, dans un même esprit, que plusieurs de ces mouvements se donnent des noms anglais, ce qui serait étonnant de la part de nationalistes québécois d’abord attachés au fait français et à l’avenir du peuple québécois. Ensuite, que ces groupes sont en fait des groupuscules, qui ne représentent à peu près rien, mais qui disposent d’une visibilité médiatique exagérée et disproportionnée, parce qu’ils servent le récit à mon avis mensonger, mais auquel tient une certaine gauche médiatique, d’une poussée de l’intolérance et de l’extrême-droite au Québec. C’est une manière pour elle de relativiser la menace de l’islamisme en disant que nous sommes aussi menacés sur le front intérieur par une intolérance «bien de chez nous». Cela dit, sur le fond des choses, je n’ai aucune sympathie pour ces groupuscules paramilitaires, qui versent dans la démagogie la plus aberrante, et qui déstructurent le débat public. Ils ne méritent pas d’être pris au sérieux, ils ne méritent pas non plus d’être intégrés au débat public à la manière d’interlocuteurs légitimes.