RÉPLIQUE: Les silences de Rachad Antonius

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Lise Ravary... Quelle étrange personne !

Ma réponse au texte du professeur Rachad Antonius publié sur le blogue Opinions le 17 mars 2014.
Monsieur,
Puisque je n’arrive pas à trouver dans mes textes les insultes personnelles que je vous aurais adressées et pour lesquelles vous réclamez des excuses, je plonge dans celles que vous me réservez, sous le titre poli «Les contradictions de Lise Ravary».
Première contradiction: Je l’ai écrit des dizaines de fois et je le répète aujourd’hui: je suis contre les politiques de colonisation israélienne en territoires palestiniens. Vous reconnaissez que telle est ma position mais vous m’accusez du même souffle de ne pas critiquer les conséquences de la colonisation.
Comment pourrais-je être contre la colonisation mais applaudir les rapports de domination qui en découlent ? C’est absurde de parler de contradictions dans ce contexte.
Mais affirmer son opposition à la colonisation ne veut pas dire préconiser des solutions suicidaires pour Israël. Si refuser la pensée magique est mon seul péché, je m’en confesse.
Deuxième contradiction: Ce que je reproche au ministre Chris Alexander, c’est de ne pas avoir corrigé Guy A. Lepage sur la supposée déclaration de Stephen Harper à la Knesset, à l’effet que critiquer Israël serait un geste antisémite. Alors que le premier ministre a dit exactement le contraire. Pour ce qui est la position de Stephen Harper, je trouve son enthousiasme embarrassant mais la vérité, c’est qu’au-delà des perceptions créées par le changement de ton sous les Conservateurs, la politique officielle du Canada envers Israël n’a pas changé depuis 1948.
Troisième contradiction: Mon soutien à la solution des deux états, celle du Canada, ne semble pas vous convaincre de ma bonne foi envers les Palestiniens. Je ne suis pas certaine de bien comprendre vos arguments mais permettez-moi de réitérer encore une fois ma position, qui, incidemment est aussi celle d’Avi Shlaïm dont vous me suggérez la lecture. Dans ses mots: « Oui au sionisme comme mouvement de libération nationale des Juifs, oui à la légitimité d’Israël à l’intérieur des frontières de 1967, non au projet colonial par delà de ces frontières. » Et j’ajouterais ceci: «Oui surtout à tout ce qui sera un jour négocié de bonne foi.»
La meilleure garantie de sécurité pour tous, c’est une frontière négociée par les deux partis en cause. Pas celles imaginées par des intellectuels, décrites par des journalistes ou imposées par des politiciens américains, saoudiens ou européens.
Une tragédie historique: Certains faits avancés méritent commentaire: Il est erroné d’écrire, comme vous le faites, que les Palestiniens ont été dépossédés de leur pays par Israël. Vous savez très bien qu’il n’y a jamais eu d’état souverain appelé Palestine. Un espace géographique, oui, pas un pays. Je suis maniaque des faits, je m’en confesse. Déformation professionnelle oblige.
Oui, des populations autochtones ont perdu terres et demeures en 1947 et 1948. Je ne peux imaginer l’immensité de la douleur que ces gens, qui n’avaient rien demandé, ont endurée. Pertes qui auraient été bien moins dramatiques si le leadership arabe avait accepté le plan de partage de la Palestine de l’ONU en 1947, mais bon, l’histoire n’a pas de bouton «rewind». Erreur tactique, mauvaise lecture de l’histoire et des rapports de force sur le terrain, injustice cosmique ? Un peu de tout cela, mais quoi qu’il en soit, ce qui est arrivé est arrivé. On a beau condamner, décrier, accuser, s’invectiver, cela ne sert à rien.
Nous sommes condamnés à avancer. Même s’il faut parfois reculer pour mieux sauter. Même si nous traversons parfois des sables mouvants. Meme quand nous nous heurtons à des murs. Nous sommes condamnés à les escalader.
Avoir raison ne suffit pas: Le conflit perdure parce que chaque côté est bloqué dans une logique de légitimité. Comme l’a écrit Amos Oz dans son merveilleux petit ouvrage Comment guérir un fanatique: «C’est essentiellement un conflit entre le bien et le bien, entre deux prétentions aussi légitimes l’une que l’autre au petit même pays… un conflit immobilier entre deux propriétaires de la maison.»
Comme lui, je suis d’avis qu’il existe une solution. Une solution qui situe bien au-delà d’avoir raison. Avoir raison ne suffit pas.
«Là où nous avons raison, il ne repoussera jamais de fleurs», pour citer le poète israélien Yehuda Amichai, cité par Amos Oz dans son merveilleux petit livre.
Diaboliser les protagonistes ne fait pas partie d’aucune piste de solutions viables, mais il importe de savoir qui est fanatique, qui est raisonnable, qui souhaite plus que tout négocier, qui souhaite plus que tout détruire. Décoder le double langage des deux côtés. Pour s’assurer de réunir les bonnes personnes, avec les bonnes intentions. Ce qui exclut le Hamas, il va sans dire. Qui donc, alors, parlera pour Gaza ?
On peut dire, redire, reredire, raconter dans le détail, les exactions commises tant du côté israélien que palestinien. Vous me parlez des check- points, des routes séparées, de femmes enceintes à qui on a refusé l’entrée en Israël pour aller à l’hôpital et qui meurent en couches. Moi aussi, j’ai vu le film Inch Allah.
Moi aussi on m’a raconté de terribles histoires, autour d’un thé, à Ramallah, à Hébron, à Beit Jala et à Bet Hanoun au nord de Gaza, avant le retrait israélien. À Amman, dans le New Camp. Vous vous trompez si vous croyez que je ne suis qu’une courroie de transmission pour des «lobbys sionistes». Mais des femmes m’ont aussi raconté qu’elles souhaitaient plus que tout que leurs fils deviennent des martyrs.
Vous ne me parlez pas de ces enfants transformés en kamikazes par des monstres d’inhumanité, des terroristes qu’on a trouvé cachés sous des ambulances du Croissant Rouge, des bombes humaines qui se sont fait exploser au milieu de pizzerias fréquentées par des familles. La barrière de séparation n’a pas été construite pour faire plus joli. C’est la chose la plus laide en Terre sainte. Moralement, spirituellement et physiquement. Mais sans le terrorisme, elle n’existerait pas.
Vous me direz que sans l’occupation, le terrorisme n’existerait pas. Et moi je vous parlerais du massacre des Juifs d’Hébron en 1929, et vous… et moi… et vous… et moi… jusqu’à Abraham.
Censure et propagande: Chacun côté a ses récits d’horreurs. Vrais. Inventés. Sa mythologie. Sa lecture de l’histoire. Chaque côté a ses fanatiques et ses propagandistes.
À Bazzo TV en février 2011 v0us avez dit: «l’Occident voit tout ce qui touche le monde arabe par les yeux d’Israël». En êtes-vous bien certain ? La vérité ne serait-elle pas que le monde arabe voit tout ce qui touche l’Occident par les yeux d’Israël ? Il est si facile de tomber dans la propagande, dans la désinformation quand les faits sont si complexes et leur perceptions déformées par la haine.
Je ne suis pas propagandiste. Je ne suis pas historienne, ni politologue. Je suis journaliste. Et oui, je suis juive d’adoption et j’aime profondément Israël. C’est Israël qui m’a conduite au judaïsme, pas l’inverse.
Le passé, réel ou imaginé, ne m’intéresse que dans la mesure où il me permet de comprendre ce que je vois aujourd’hui. Mon travail est de raconter, de commenter. Pas de trouver une solution.
Vous me parlez de Radio-Canada et de censure.
Laissez-moi vous raconter deux anecdotes signifiantes qui montrent un autre côté de la médaille. En 1998, pour marquer le 50e anniversaire de naissance d’Israël, la radio de Radio-Canada a diffusé un reportage dans lequel il était dit, et je cite : «En 1948, quand les Juifs ont envahi la Palestine…» J’ai tout de suite rejoint la salle des nouvelles pour souligner l’erreur factuelle. La réponse ? «On le sait bien, vous, vous avez votre version des faits.» Et le topo a été diffusé tel quel toute la journée. Vous appelez cela des «points de détail ?» Quand je lis les décisions de l’ombudsman de Radio-Canada, je vois que bien de peu de choses ont changé depuis 1998. À moins qu’il ne soit lui aussi à la solde des «lobbys sionistes».
Quand j’étais chroniqueuse à la radio de Radio-Canada, deux réalisateurs, sur deux émissions différentes, m’ont demandé d’éviter de parler d’Israël dans mes chroniques, en raison de ma conversion. «Tu ne peux pas être neutre». Dites-moi que ce n’est pas de la censure. Quand on vous invite à Radio-Canada, est-ce qu’on vous demande de ne pas parler du monde arabe parce que vous êtes arabe ?
Qui veut un Gaza 2 ? Vous m’enjoignez, pour prouver ma bonne foi, à faire pression sur le gouvernement Harper pour qu’il demande à Israël de se retirer de tous les territoires occupés en 1967 et qu’il reconnaisse un État palestinien souverain. Jamais le mot négociations n’est mentionné.
Or, la dernière fois qu’Israël s’est retiré sans préconditions, sans négociations, d’un territoire conquis au terme d’une guerre préventive, cela a donné le gâchis qu’est Gaza, aujourd’hui sous contrôle du Hamas. Alors que les accords de paix négociés avec la Jordanie et l’Égypte durent et perdurent, malgré les tensions extrêmes dans la région.
Vous me parlez d’Oslo. Oslo est mort et c’est Yasser Arafat qui en a récité l’oraison funèbre en 2000 quand il a refusé les propositions d’Ehud Barak et de Bill Clinton. Il a non seulement rejeté d’un revers de main les offres les plus complètes jamais faites aux Palestiniens, mais il a surtout refusé de se servir de ce déblocage historique comme point de départ pour négocier une entente finale. Pourquoi n’a-t-il pas présenté de contre-offre alors que l’État palestinien était à portée de main ?
Comme l’a dit l’historien israélien Benny Morris, qui n’apparait pas dans votre liste des «nouveaux historiens», mouvement dont il est en quelque sorte le père, et qu’on peut difficilement accuser d’être un propagandiste israélien : «en 2000, j’ai compris qu’ils (les Palestiniens) étaient peu disposés à accepter la solution des deux États. Ils veulent tout : Lod, Acre et Jaffa.» En d’autres mots, ils veulent un pays appelé Palestine ET retrouver leurs maisons et leurs terres de l’autre côté de la frontière, en Israël.
C’est pourquoi tous les dirigeants palestiniens tiennent tant au droit de retour, dont vous ne dites mot pas dans votre réponse mais qui était au cœur de mon argumentaire. Et que des gens essaient de nous faire croire que la seule solution légitime est un état binational. Sauf que froidement étudiée, l’équation droit de retour + état binational = fin d’Israël en tant que patrie pour le peuple juif.
En d’autres mots, réglons une catastrophe par une autre catastrophe.


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