Repenser l'avenir au Moyen-Orient

Géopolitique — Proche-Orient


Lorsque les armes se tairont au Liban et en Israël, il faudra à nouveau penser l'avenir du Moyen-Orient, approfondir notre compréhension de la grande région, et arrêter une politique à son endroit. Ce qui se produit en Irak, au Liban, en Israël et en Palestine ne doit pas cadastrer les relations à venir de l'Occident et du Moyen-Orient.
Bordé d'un côté par une couronne de puissances, l'Inde, la Chine et la fédération de Russie et de l'autre par l'Europe et l'Afrique méditerranéennes, le Moyen-Orient est aspiré par des antipodes intenses et redoutables : l'Islam et l'Occident; la démocratie et l'autocratie; l'opulence outrancière et la plus effroyable pauvreté; la guerre, la terreur - et la paix toujours inaccessible.
Comment penser l'avenir de cette zone de tous les transits?
Le Moyen-Orient aujourd'hui
D'abord saisir la réalité actuelle de la grande région et de ce que nous savons de son évolution prochaine.
- Des guerres ou des affrontements armés affectent une bonne moitié des 15 pays qui la composent et près de 100 millions de personnes.
Ces guerres et ces affrontements sont, pour la plupart, des conflits récurrents, amoncelant victimes et destructions, et, dans les mémoires, de terribles sédimentations de fanatisme, de répulsion et de haine.
- Des régimes autoritaires dominent la grande région, et un faisceau d'alliances inavouées et inquiétantes. Une large majorité des 275 millions d'habitants que compte le Moyen-Orient, est en conséquence privée des protections assurées par l'État de droit, l'alternance politique, un système judiciaire indépendant, le respect et la protection des droits humains, la reconnaissance de la société civile.
- Des situations socio-économiques dégradées marquées notamment par :
• un taux de croissance moyen bien en deça de 7%, seul susceptible de réduire la pauvreté endémique;
• un niveau d'investissement moyen parmi les plus bas du monde, situation ahurissante, les pays producteurs de pétrole de la région investissant 290 milliards$ (2005-2006) dans d'autres régions de la planète;
• un marché du travail incapable d'aborder les nouveaux entrants qui doubleront d'ici 2010 dans une région qui connaît les taux de chômage les plus élevés du monde; ces derniers fluctuent entre 15 et 60% de la main d'œuvre malgré une très faible participation des femmes à la population active.

• l'extrême pauvreté du grand nombre dans une des régions les plus productrices de richesse de la planète. Plus de 30% de la population du Moyen-Orient, soit près de 100 millions de personnes, vivent avec 2$ ou moins par jour.
Le Moyen-Orient en 2025
Ce que nous savons de l'évolution prochaine de la grande région ajoute à ces constats consternants et explosifs. En effet, les démographes annoncent le quasi doublement de la population du Moyen-Orient dans les deux prochaines décennies, de 275 à 550 millions. L'Égypte et l'Iran pourraient alors compter respectivement près de 100 millions de citoyens; l'Iraq, l'Arabie saoudite, le Yémen et l'Afghanistan, près de 50 millions; la Syrie, 30 millions. Il faudra alors compter avec des centaines de millions de jeunes et la précarité de leur vie, si les conditions actuelles devaient perdurer. À titre d'illustration, le Yémen, l'Arabie Saoudite, l'Iraq et l'Iran, comptent respectivement 65,3%, 62,7%, 61,7% et 59,3% de citoyens qui ont 24 ans et moins. Ce groupe d'âge représente aujourd'hui entre 50 et 65% de la population pour l'ensemble du Moyen-Orient, et cette proportion ira croissante dans l'avenir prévisible.
À n'en point douter, le Moyen-Orient a besoin de paix, de démocratie et de développement; la doctrine et la politique des droits humains servant de socle à cet agenda dont la réalisation est impérieuse et pressante.
Paix, liberté et développement
Comment penser l'avenir du Moyen-Orient?
- Opter pour le statu quo constitue un choix pour la guerre, le totalitarisme et le sous-développement, et en conséquence, prendre rendez-vous avec des périls certains, dont celui du passage des guerres limitées à des engagements globaux n'est pas à exclure. Cette option conduit au néant.
- La neutralité est une mystification. Cette option équivaut à laisser se perpétuer l'insécurité la plus dangereuse et sa migration de la grande région vers le monde, le terrorisme d'état et des factions armées, les régimes totalitaires voire théocratiques, le nationalisme érigé en religion d'état, et à consentir à l'éradication des sociétés civiles. L'usage de la force en conformité avec le droit international ne saurait être exclu en toute situation.
- Le pari de la démocratie est le seul qui vaille au Moyen-Orient, le seul qui puisse dans la durée produire paix, liberté, et développement. En conséquence, les pays qui l'ont adoptée ou qui s'y sont engagés, doivent recevoir un appui décisif. Entre la croisade et l'indifférence, une zone de soutien existe, respectueuse, réelle et durable.
Ailleurs, l'effet doit porter sur trois objectifs : La compréhension de ce qu'est la démocratie, le désir de démocratie, et l'action pour l'obtenir. À des degrés divers, ces objectifs sont présents dans la quasi-totalité des sociétés de la grande région. Ceux qui les défendent ne doivent pas être abandonnés, privés de ressources et souvent persécutés et «mis hors d'état de nuire».
La question des droits humains et de la détente entre les états et la société, qui sont la substance même de la démocratie, doivent occuper une place majeure de la politique occidentale au Moyen-Orient. En Europe, ces choix soutenus par les rêveurs du temps, ont finalement prévalu à la conférence d'Helsinki en 1975. Moins de deux décennies plus tard, ils ont provoqué l'effondrement de l'Union Soviétique.
Comment amener la population des pays du Moyen-Orient à croire à la fécondité de ces choix, à la possibilité de les conjuguer à leur identité, mémoire et valeurs, et de les utiliser pour fonder leur sécurité et leur développement?
- Sauf situation exceptionnelle dont l'Afghanistan est aujourd'hui l'exemple, renoncer à cette politique aberrante faisant des armes l'instrument de la démocratisation. L'Iraq est aujourd'hui le prototype navrant et douloureux de ce fourvoiement.
- Cesser de pactiser avec des régimes autoritaires et, ce faisant, contribuer à l'écrasement des forces démocratiques et à la montée des fondamentalistes - l'Égypte est aujourd'hui un exemple explosif de cette aberration.
- Reconnaître les choix démocratiques incontestables même quand ils posent de redoutables défis, comme ce fut le cas récemment en Palestine.
- Enfin, sans naïveté mais avec détermination, lancer des initiatives visant des objectifs essentiels : l'aménagement d'une zone de sécurité, de développement et de reconnaissance mutuelle englobant Israël, la Jordanie, la Syrie, le Liban et la Palestine, et la reconstruction de ces deux derniers pays; l'émergence d'une plateforme de discussion avec l'Iran, les sanctions onusiennes prévues pour la fin de ce mois ne sauraient représenter l'alpha et l'oméga de notre relation avec la première puissance régionale, économique et militaire du Moyen-Orient; la fin de l'aventure iraquienne et la reconstruction de ce pays.
- Enfin, les démocrates de la zone atlantique et leurs partenaires ont les moyens d'une offre sans précédent de coopération au développement en direction du Moyen-Orient.
L'entreprise de démocratisation de la grande région sera longue et ardue. La débâcle n'est pas irréductible, à moins de croire que l'idéal démocratique est incapable de s'imposer face aux composantes de l'obscurantisme : violence, asservissement et sous-développement. Dans un cas comme dans l'autre, le destin du Moyen-Orient est inséparable du nôtre.
Jean-Louis Roy
_ Président, Droits et Démocratie

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Jean-Louis Roy, Chercheur invité au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal, secrétaire général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie de 1990 à 1998 et actuel président du conseil d'administration du Centre de la francophonie des Amériques.





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