Relire Larose

Québec français


J'ai abordé, la semaine dernière, en réaction à la chronique de Jan Wong, du Globe and Mail, le droit du Québec de se définir. J'évoquais alors le rôle qu'avaient joué dans la définition du Québec actuel l'adoption et les modifications faites à la Charte de la langue française.
La «loi 101» a fixé les règles du jeu en 1977. La majorité s'affirmait comme telle, tout en reconnaissant explicitement dans le texte de la loi les droits historiques de la communauté de langue anglaise et des nations autochtones ainsi que l'apport essentiel des communautés culturelles au progrès du Québec.
Bien que ces faits continuent de faire consensus, de nouvelles tensions entre majorité et minorités sont apparues dans la société québécoise, sous l'influence de divers phénomènes allant de la réapparition de la religion dans l'espace public aux effets de l'obsession sécuritaire sur les relations avec les immigrants provenant de certaines régions du monde.
De nouveaux enjeux concernent également la question linguistique, en particulier tout ce qui relève de la montée du bilinguisme.
Le temps est venu d'un effort politique collectif pour réaffirmer les grands principes régissant le vivre-ensemble au Québec. Qui sommes-nous en train de devenir et que voulons-nous devenir?
Le hasard m'a conduit à relire récemment le Rapport de la Commission des états généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec, présidée par Gérald Larose. Ce rapport, commandé par Lucien Bouchard et publié en août 2001, a été presque entièrement ignoré par les autorités. La composition de la commission reflétait pourtant la diversité culturelle québécoise et celle-ci avait procédé à des consultations.
Plutôt que de proposer divers ajouts et modalités à la législation linguistique, la commission a suggéré l'adoption d'une approche «citoyenne et stratégique» fondée sur les recommandations suivantes:
«1. Que la politique linguistique du Québec rompe définitivement avec l'approche historique canadienne qui divise l'identité québécoise suivant une ligne de partage ethnique, la canadienne-française et la canadienne-anglaise, pour lui substituer une approche civique qui fonde l'identité du peuple du Québec sur l'accueil et l'inclusion grâce à une langue commune, le français, et à une culture commune formée des apports de toutes ses composantes.
2. Que soit officiellement et formellement instituée une citoyenneté québécoise pour traduire l'attachement des Québécoises et des Québécois à l'ensemble des institutions et des valeurs patrimoniales et démocratiques qu'ils ont en commun.
3 Que soient reconnus tous les éléments constitutifs de la culture québécoise, notamment ses composantes historiques, communauté québécoise d'expression anglaise, nations amérindiennes et inuite et que l'État [...] favorise la multiplication de passerelles entre les différentes composantes de cet héritage [...].
4. Que la langue française soit déclarée langue par laquelle s'exerce la citoyenneté québécoise.
5. Qu'apprendre le français au Québec soit reconnu comme un droit fondamental.»
Bien que ces recommandations ne règlent pas tout, ne forment-elles pas une base intéressante pour relancer, aux plus hauts niveaux politiques, et avec une participation civique forte, une discussion de fond sur notre avenir comme peuple, comme nation, comme société? (L'Institut du Nouveau Monde, que je dirige, se propose d'ailleurs d'aborder ce sujet lors de son prochain rendez-vous stratégique, l'hiver prochain, autour de la notion de culture québécoise).
Les règles du vivre-ensemble ne se limitent évidemment pas aux questions linguistiques, bien qu'au Québec tout finisse par passer par là.
En 2003, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse a recommandé que l'on procède à une révision de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, un quart de siècle après son adoption.
Un tel processus de révision de la Charte, combiné à des débats sur les recommandations de la Commission Larose, serait une belle occasion de faire le point, comme société, sur les valeurs et les principes que nous partageons. Peut-être pourrions-nous alors réconcilier nos deux chartes: celle de la langue française qui affirme les droits linguistiques et celle des droits et libertés qui reconnaît et qui aborde toutes les autres libertés individuelles et les droits fondamentaux, mais aussi les droits économiques, sociaux et culturels, reconnus aux individus et aux minorités?
À terme, des débats de cette ampleur pourraient conduire à l'adoption d'une constitution du Québec. La commission Larose n'était pas contre mais, redoutant la complexité de l'opération, proposait de prendre une bouchée à la fois.
La Commission des états généraux sur la réforme des institutions démocratiques, présidée en 2002 et 2003 par Claude Béland, appuyait d'ailleurs l'adoption d'une constitution québécoise, après avoir constaté que 87 % des citoyens s'y étaient montrés favorables. M. Béland a par la suite fondé le Mouvement Démocratie et Citoyenneté du Québec (MDCQ) qui a justement tenu, en juin dernier, une rencontre citoyenne à ce sujet. Le député Daniel Turp a proposé un texte dans un livre paru l'an dernier.
L'Assemblée nationale a pour sa part adopté, en 2001, une Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et les prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec qui rassemble quelques principes généraux.
Nous avons en main les éléments d'une magna carta québécoise. Réactualiser ces grands consensus pourrait nous aider collectivement à redéfinir qui nous sommes et qui nous voulons devenir, puis à réduire les tensions existantes. Pour qu'une telle démarche donne des résultats tangibles, une participation civique forte est essentielle.
D'aucuns diront que ces histoires constitutionnelles n'intéressent que les juristes. C'est pourtant en rapatriant la Constitution canadienne, en 1982, et en y enchâssant une Charte des droits que Pierre Elliott Trudeau a amener les Canadiens à redéfinir leur pays.
michel.venne@inm.qc.ca

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Michel Venne35 articles

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Directeur général Institut du Nouveau Monde

Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.





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