Régionales : «La démocratie française est malade»

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La France et le clivage gauche/droite



Les acteurs politiques prennent des décisions contraires à ce qu’ils devraient faire, ce qui provoquera le rejet, en bloc, de la classe politique, estime Philippe Marlière, professeur en Sciences politiques au University College de Londres.


RT France : Le clivage traditionnel gauche-droite existe-t-il toujours en France ?


Philippe Marlière : A mon avis, le clivage gauche-droite existe toujours. Maintenant la question, c’est de savoir si les acteurs politiques, les partis politiques français mais aussi l’électorat français, le reconnaissent toujours comme pertinent.


C’est sûr qu’il y a des acteurs politiques à gauche et à droite qui veulent nier ce clivage. Par exemple, je crois que c’est le cas du Partis socialiste, de François Hollande et de Manuel Valls pour des raisons d’opportunisme politique, de conjoncture. Il est clair que pour Hollande, dire qu’il n’y a plus vraiment une gauche ou une droite, mais qu’il y a un camp démocrate ou républicain et que de l’autre côté il y a l’extrême-droite menaçante, ça va lui rendre service. Pourquoi ? Parce que ça lui permet de se poser en une espèce de bouclier ou de rempart contre le danger de l’extrême-droite, que certains qualifient de fasciste.


A mon avis, c’est l’unique moyen pour François Hollande de pouvoir espérer se qualifier pour le deuxième tour de l’élection présidentielle. Les sondages sont toujours mauvais pour lui, même s’il a gagné quelques points depuis les attentats. Selon ces sondages, François Hollande ne parviendrait pas à se qualifier au deuxième tour, parce que justement sa politique est très impopulaire. C’est une façon de faire oublier sa politique économique et sociale, de se poser un peu en père de la nation qui va la protéger contre le plus grand danger que représente Marine Le Pen et Front national (FN). Pour Manuel Valls, c’est presque la même chose, mais il est plus jeune, il ne sera probablement pas candidat dans un an.


Je pense que si ce clivage gauche-droite n’existait plus, tous ceux qui en ont vraiment marre de ce gouvernement socialiste ne seraient pas allés voter dimanche dernier. Mais paradoxalement ils sont tous allés voter contre le Front national pour justement montrer que entre une droite et une gauche, qui existent toujours, il fallait barrer la route à l’extrême-droite.


Ce sont les électeurs de gauche qui ont permis la victoire de deux candidats de droite dans le Nord et dans le Sud pour faire barrage au FN. Ils l’ont fait au nom d’une tradition, d’une histoire de la gauche.


RT France : Pourquoi ce réflexe contre l’extrême-droite ? Marine Le Pen dans ses discours se réfère toujours à la République…


Philippe Marlière : C’est toute l’habileté de Marine Le Pen qui, à la différence de son père, a compris que d’abord la République, c’est inévitable en France. Si on veut faire une carrière politique et rassembler les gens, l’on ne peut pas être contre la République. Les personnes qui sont aux commandes du Front national ne sont pas des personnes qui se revendiquent de gauche mais plutôt de l’extrême-droite ou de la droite nationale. Et d’ailleurs, certains commencent à dire que pour gagner, il va falloir un jour penser à faire des alliances avec la droite. Ils ne parlent pas de faire des alliances avec la gauche, ce qui montre bien que le Front national n’est pas de gauche. Il y a un discours en apparence social, parce que je pense tout simplement que l’électorat qui fait le succès actuel du Front national, est un électorat populaire et ouvrier. Je pense qu’il faut le reconnaître même si la gauche a du mal à le faire, parce que ça lui fait mal.


Marine Le Pen sait aussi comment s’adresser à cet électorat. Si elle reprend un discours dirigé davantage vers le néo-libéralisme économique des années 1980 utilisé par son père, il ne plaira pas et ne permettra pas de fidéliser ce nouvel électorat populaire. Nombreux sont toutefois les commentateurs, qui suivent de près le Front national, à douter de la sincérité de cet engagement social.


RT France : S’agissant des socialistes, on reproche à la politique économique d’Emmanuel Macron d’être de droite, après les attentats les mesures autoritaires mises en œuvre ne sont pas vraiment de gauche… Plusieurs éléments témoignent du fait que le Parti socialiste n’est plus tellement à gauche…


Philippe Marlière : Je suis d’accord avec ça. Je crois que la raison de l’extrême impopularité de ce gouvernement et du président en découle. Cela montre en outre clairement ce qui détruit ou ce qui sape les fondements du clivage gauche-droite. Vous avez un gouvernement socialiste élu avec des voix de gauche, pas simplement les plus modérées, mais aussi celles de la gauche radicale, de l’extrême-gauche. Et quand ce gouvernement en vient avec Emmanuel Macron à mener une politique néo-libérale applaudie par le patronat français, le MEDEF, vous créez une confusion dans l’esprit des gens. D’abord vous créez de la colère, ce qui explique en partie le vote pour le Front national, une façon de donner un coup de pied pour se venger. Ensuite, les gens sont confus et complétement perdus. Et la confusion dans une démocratie, ce n’est jamais bon.


Quand les gens sont confus, ils font des votes surprenants, ils s’abstiennent. D’autant plus lorsque la politique du gouvernement ne marche pas : le chômage ne cesse d’augmenter, les inégalités ne cessent de croître et donc c’est un échec important. Donc, après la confusion et la colère, la prochaine étape sera probablement une atteinte au fondement de la démocratie. La démocratie, c’est élire des représentants qui doivent essayer de rester relativement fidèles au programme qui leur a permis d’être élus. Sinon, à quoi bon voter…


Je peux dire que le grand perdant de cette séquence politique depuis trois ans, c’est la démocratie. La démocratie française est malade parce que les acteurs politiques jouent un jeu politique, prennent des décisions qui vont complétement à l’encontre de ce qu’ils devraient faire, de ce qu’on attend d’eux. On peut arriver à un moment où la classe politique va être rejetée en bloc, les institutions vont être rejetées en bloc, il n’y aura plus aucune croyance, aucune confiance dans la parole politique, et effectivement, dans une démocratie, c’est catastrophique.


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RT France : Pensez-vous que ni la gauche ni la droite n’ont tiré aucune leçon du résultat de ces régionales ?


Philippe Marlière : Je crois que c’est un grand classique en général, mais en France, la classe politique est très forte. Le soir-même des résultats, on vient devant les télévisions, dans les médias, le regard baissé, la voix et le discours humbles – ils l’ont tous fait, Hollande, Valls – en disant : «Nous avons compris l’avertissement du peuple, nous allons prendre en compte cet avertissement». La droite a fait la même chose. Et 48 heures plus tard, on assiste à des jeux délétères, des politiciens corrompus, opportunistes, qui veulent préserver leur carrière personnelle. Manuel Valls qui a perdu cette élection une fois de plus et qui a sauvé les meubles grâce à ce vote de gauche anti-extrême-droite. Ce n’est pas le parti socialiste qui a finalement gagné, c’est une espèce de vote populaire, de blocage d’un danger qui est plus grand pour les électeurs de gauche. C’est donc une victoire par défaut et pas du tout une adhésion à ce gouvernement.


A chaque élection on se rapproche du précipice et le Front national se rapproche du fameux plafond de verre, cette limite théorique qui l’empêche de remporter une élection dans un système majoritaire.


RT France : Le Front national a gagné 6 millions d’électeurs pendant les régionales. Est-ce que vous pensez qu’il considère comme un échec le fait de n’avoir gagné aucune région ?


Philippe Marlière : Je pense que le vainqueur de cette élection, c’est le Front national. Même s’il n’a remporté aucune région, puisque cette défaite en termes de postes et de régions découle d’un vote tactique. Imaginez-vous demander à un électeur de gauche de voter pour des candidats de droite, dont il n’aime pas la personnalité dans le Nord et surtout dans le Sud, pour quelqu’un dont on dit qu’il est aussi extrémiste que Marine Le Pen sur les questions d’immigration ou d’Islam. C’est beaucoup lui demander, c’est vraiment tester au plus haut point, la patience et la compréhension des électeurs. C’était très intéressant de voir sur les réseaux sociaux ou dans les reportages des médias les témoignages des électeurs qui disaient : «J’ai voté contre le Front National parce qu’il fallait les stopper». Mais voter à droite est une expérience terrible pour ces électeurs. Ils l’ont fait parce que le Parti socialiste a été battu au premier tour, et s’il a été battu, c’est parce que sa politique a été désavouée. Ce n’est pas un succès du Parti socialiste mais bien une défaite. De plus, on ne peut pas demander à l’électorat de gauche, de voter constamment pour les candidats de droite parce que le parti socialiste ne tient pas son rang. C’est absolument insensé de faire cela en France mais c’est pourtant ce que la politique de Hollande et de Valls oblige les électeurs de gauche à faire.


RT France : Pensez-vous, que le «plafond de verre» du Front national existe toujours ?


Philippe Marlière : Je pense que le Front national n’est pas encore aux portes du pouvoir, parce qu’il faut d’abord avoir une majorité à l’Assemblée pour former un gouvernement. C’est même plus important de gagner les élections législatives que de gagner la présidentielle. Théoriquement, il peut gagner la présidentielle, mais je ne pense pas que ce sera le cas en 2017, parce qu’il y a toujours ce «plafond de verre». Marine Le Pen pourra probablement participer au second tour, mais il est clair qu’au final, la droite ou même les candidats socialistes devraient l’emporter. Mais à un moment donné, on va atteindre un point de rupture. Et ce point de rupture, c’est la majorité, soit 50% des voix. Est-ce qu’on va y arriver ? Ce n’est pas inéluctable. Mais je crois justement que pour arrêter ça, il faut que dans le jeu politique français on redynamise le clivage gauche-droite, qu’à chaque élection les électeurs aient le choix entre la gauche et la droite. Cela ne signifie pas un choix révolutionnaire, cela veut dire qu’il doit y avoir des différences. Ce qu’on ne trouve plus actuellement. C’est là qu’est la clé.


En quelque sorte la victoire ou la défaite du Front national dépendra de l’intelligence de la gauche et de droite, mais surtout de la gauche, parce que je crois que la responsabilité d’un succès du Front national repose principalement dans les mains du Parti socialiste. On peut critiquer la stratégie de Nicolas Sarkozy, qui cherche à entrer en compétition sur les thématiques du Front national, contre l’Islam, contre l’immigration et pour une politique d’ordre. Le problème, c’est que certains électeurs disent aujourd’hui : «Sarkozy, nous l’avons testé. Nous n’y croyons plus». Si Sarkozy parle comme Marine Le Pen, c’est un discours qui, à terme, renforce le Front national et un grand décrochage au sein de l’électorat populaire.



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