Armé d'un rapport dévastateur sur l'application de la réforme, le ministre de l'Éducation a donné hier son aval à une révision en profondeur du renouveau pédagogique, qui n'a pas gagné son pari de redorer la réussite des élèves.
Préoccupée par le recul des élèves, les ratés de l'évaluation, le repli des jeunes en difficulté et les appels à l'aide des artisans de la réforme, la table de pilotage sur le renouveau pédagogique (la réforme) a conclu mercredi, après une longue journée d'échanges, à la nécessité de revoir de grands pans de la réforme, sans toutefois y mettre un frein. C'est au Conseil supérieur de l'éducation (CSE) que reviendra la tâche de remettre un avis sur la pertinence et l'applicabilité des «compétences transversales et des domaines de formation», ce qui constitue la première de douze recommandations de la table de pilotage.
«On est préoccupés, mais on est confiants», a affirmé hier le ministre de l'Éducation, Jean-Marc Fournier, qui, sitôt les suggestions en main, leur a donné leur envol. «Le véhicule qu'est le renouveau pédagogique est le bon, mais je comprends que nous avons deux ou trois virages à négocier pour garder le cap et nous rendre à destination», a-t-il ajouté, reprenant plus d'une fois cette analogie.
Rappelant l'importance de poursuivre dans la voie empruntée, le ministre s'est toutefois dit tracassé par la question des résultats décroissants des élèves en français, en mathématiques et en science et technologie, de même que par la déconvenue des jeunes en difficulté, pointée par les enseignants comme le dossier noir de la réforme. «Sur les élèves en difficulté, c'est vraiment inquiétant, c'est dérangeant, dit le rapport», a affirmé M. Fournier, ajoutant plus tard que ce constat ne suffisait pas pour faire un arrêt complet des manoeuvres. «Je ne veux pas arrêter cette réforme qui nous amène à donner à nos jeunes tous les outils que les autres vont avoir.»
C'est pourtant bel et bien ce que les enseignants -- présents à la table de pilotage -- auraient souhaité pour être pleinement satisfaits du tableau des recommandations : qu'on stoppe l'implantation de la réforme, le temps de l'examen effectué par le Conseil supérieur de l'éducation, et qu'on pousse la remise en question de la réforme jusqu'à sa philosophie même. «Nous aurions souhaité que l'on sursoie à l'application de la réforme et qu'on accepte de remettre en question les fondements mêmes de la réforme, mais ça n'était pas acceptable pour les autres», a dénoncé Johanne Fortier, présidente de la Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ).
Pour produire leurs recommandations, les membres de la table de pilotage (enseignants, parents, directeurs d'école, commissaires, universitaires) ont eu accès à un rapport fourni par le ministère de l'Éducation, composé non seulement de résultats à des épreuves internationales et québécoises, mais aussi de divers sondages effectués auprès du personnel des écoles, la majeure partie des données étant toutefois connues.
Sans le dire textuellement, ce rapport préliminaire laisse voir un véritable fiasco : les résultats des élèves de sixième année en français ont considérablement chuté de 2000 à 2005, creusant un écart davantage inquiétant chez les garçons que chez les filles. Aux examens internationaux de mathématiques et de sciences, les résultats jadis brillants des Québécois ont perdu du lustre entre 1995 et 2003.
Le rapport, produit par le ministère, note qu'il pourrait s'agir d'un «accident de parcours» et juge «hasardeux» tout lien direct établi entre une baisse des résultats et le contenu du programme de la réforme. «Il est trop tôt pour établir une relation stricte de cause à effet avec l'application du nouveau programme de formation», peut-on lire à propos de la chute des résultats des élèves.
Interrogés sur tous les aspects de la réforme, les enseignants ont affirmé sans grande surprise mal maîtriser l'évaluation qui y est rattachée, ce sur quoi le Conseil supérieur de l'éducation devra d'ailleurs travailler. Seuls 32 % des profs interrogés affirment être assez à l'aise ou très à l'aise avec les «échelles des niveaux de compétence» pour mesurer les apprentissages des élèves, tandis que la moitié affirment manquer de formation.
L'appréciation des effets de la réforme sur les élèves laisse pantois : 51 % des enseignants interrogés jugent que la réforme n'a pas eu d'effet sur le progrès des élèves dits «ordinaires»; la même question, posée cette fois à propos des élèves en difficulté, fait grimper ce pourcentage à 68 %. Seulement 10 % des professeurs affirment que la réforme peut aider cette portion d'enfants plus vulnérables.
Insistant sur l'importance de poursuivre le travail entamé tout en y apportant des «correctifs», le ministre Jean-Marc Fournier a reconnu que le rapport dévoilait un constat «dérangeant» pour ce bassin d'élèves, mais il a ajouté que «tout n'est pas nécessairement lié à la réforme», soulignant que la question du manque de ressources avait occupé toutes les tribunes l'an dernier, en plein coeur de la négociation avec les enseignants. «On est préoccupés, mais on est confiants que c'est la bonne direction», a conclu M. Fournier.
Ce sombre portrait a donc incité la table de pilotage à concocter une série de recommandations, qui comprend la révision de «certains éléments du programme de formation» en français, en anglais, en maths et en science et technologie. La reconduction d'un plan ministériel soutenant la lecture à l'école est au menu, de même que la mise sur pied d'un «comité d'experts indépendants en apprentissage du français» ayant le mandat de brosser un portrait du français à l'école, particulièrement sous l'angle de l'orthographe, de la syntaxe et de la ponctuation.
Les universités aussi ont des devoirs à refaire : le programme de formation des futurs maîtres doit être revu en maths et en science et technologie, où les enseignants semblent avoir plus de difficulté à appliquer le programme une fois devant la classe. Des plans de formation continue suivant l'enseignant partout où il travaille, des plans d'accompagnement des nouvelles recrues, enseignants comme directions, sont aussi au nombre des suggestions dévoilées hier.
Le ministère accepte également l'idée d'administrer une série d'épreuves, en français et en anglais pour le primaire, en français, en maths et en sciences pour le secondaire. Cette opération a pour but de constituer une banque de données objectives permettant ensuite d'effectuer des comparaisons.
Un rapport final suivra encore avant décembre prochain, qui devrait notamment nous éclairer sur la perception du personnel gravitant autour des élèves en difficulté. Le ministre pourrait aussi faire connaître avant la fin de l'année un plan d'action afin de redresser le renouveau pédagogique. Notons qu'il est possible de consulter l'ensemble des documents dévoilés sur le site Internet du MELS (www.mels.gouv.qc.ca).
Réforme scolaire - Fournier réclame un grand virage
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