Comme je l'avais prédit dès le départ, le ministère de l'Éducation et ses experts ont plongé le Québec dans la confusion la plus totale avec la réforme de l'éducation.
Cherchant à camoufler leurs erreurs, ils ont continué à nous enliser en substituant des modèles à d'autres; en collant de nouveaux termes (renouveau pédagogique) sans rien changer à ce qu'ils camouflaient; en faisant des analyses tronquées et fallacieuses, en se contredisant dans des textes et des propos bourrés d'erreurs, de contrevérités et de syllogismes.
L'exercice de la démocratie menacé
Tout cela a été possible parce que, depuis 10 ans, alors que Mme Marois lançait cette réforme, une omerta a été imposée dans tout le milieu de l'éducation empêchant tout débat, toute remise en question, toute recherche qui risquaient d'invalider la réforme. M. Bouchard l'avait dit à l'Assemblée nationale en 2000, en traitant les enseignants de dinosaures, de paresseux et d'incompétents: aucune dissidence ne serait tolérée.
La mère de la réforme, Mme Marois, a rappelé la ligne de son parti, en fin de semaine: elle ne tolère toujours pas la liberté d'expression. Ce qui est grave, c'est que les personnes auxquelles elle interdit de parler sont aujourd'hui des universitaires dont la liberté d'expression est protégée par la charte qui régit toutes les universités. Ce qui est grave surtout, c'est qu'en agissant de la sorte quand elle était ministre de l'Éducation, Mme Marois a entraîné notre système d'éducation, dont nous avions des raisons d'être fiers, dans un chaos dont il sera difficile de sortir.
En reconnaissant que leur gouvernement avait fait une erreur avec cette réforme, MM. Landry, Facal, Rebello et Lisée on fait preuve de courage et d'un sens des responsabilités que l'on voudrait voir plus souvent chez nos politiciens. Ils ne l'ont pas fait à la légère. Ils ont étudié le dossier, ils ont pris connaissance de recherches que le ministère de l'Éducation avait occultées et ils ont écouté les acteurs de cette réforme qui sont le plus touchés par les problèmes qu'elle engendre: les enseignants de la grande région de Montréal, ceux-là mêmes que fustigeait l'ex-premier ministre Bouchard. (...)
Des incohérences
Cette réforme est une supercherie, mais c'est difficile de le faire comprendre aux politiciens, aux journalistes et au grand public. Les enseignants le comprennent quand je leur en fais la démonstration, parce que, comme les médecins sont les experts en santé, les enseignants sont les experts en éducation. Les incohérences dont je leur parle, ils les vivent au quotidien; quand je leur rappelle la réforme de 1979 et que je leur démontre que la réforme de 2000 n'en est qu'un prolongement, ils comprennent parce que les plus expérimentés ont vécu ces deux réformes et qu'ils en mesurent les conséquences chaque jour.
Quand je leur dis que l'approche de l'enseignement de la lecture qu'ils appliquent présentement est la même que celle qui a été introduite par le Programme de français de 1979, ceux qui étaient professeurs de première année à l'époque, surtout ceux qui utilisaient la méthode En Tête, ne peuvent qu'être d'accord. La maison d'édition a simplement changé son nom pour Mélissa et ses amis, mais c'est exactement la même méthode et les autres n'en sont que des copies. C'est aussi ce que constatent les futurs enseignants qui suivent mon cours. Ils sont des produits de la réforme de 1979. Ils réalisent avec consternation que c'est avec cette méthode qu'ils ont appris à lire.
Leur consternation se transforme en colère quand ils comprennent que c'est à cause d'elle si 80% d'entre eux échouent leur examen d'admission en français et qu'ils risquent de voir leur rêve de devenir professeur être bloqué par l'examen de français qu'on veut maintenant leur imposer. Comme le disait l'une d'entre elles, on est les victimes d'un système qui veut nous faire payer pour ses erreurs.
Une menace pour la survie du français
Malheureusement, ils ne seront pas les seuls à payer. Ce qui a sans doute convaincu Bernard Landry et ses collaborateurs d'intervenir dans le débat public, ce sont les mêmes données qui ont convaincu le ministre de l'Éducation Gilles de Robien, en 2006, d'abandonner la réforme que la France avait adoptée en 2002 sur un modèle similaire à celui de la Suisse, de la Belgique et du Québec. Les tout derniers résultats de l'enquête internationale PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study, 2007) sur le niveau de lecture des enfants de 4e année (9-10 ans) lui ont donné raison. La France se classe au 27e rang sur 40 pays participants, à cette étude. Les résultats sont encore pires pour les Wallons de la Belgique francophone qui se retrouvent au 33e rang, loin derrière les Flamands qui occupent le 13e rang. La situation est similaire au Canada où, conformément à la tendance observée depuis 20 ans, les Québécois se classent au 23e rang, loin derrière l'Alberta (3e rang), la Colombie-Britannique (5e rang), l'Ontario (7e rang) et la Nouvelle-Écosse (16e rang). (...)
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Régine Pierre
L'auteure est professeure titulaire à la faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal.
Pauline Marois
Photo Patrick Sanfaçon, La Presse
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