Dans un article récent (Derrière le complotisme, Journal de Montréal, 5 août 2020) Mathieu Bock-Côté établit avec clarté un lien entre la popularité des théories du complot et le phénomène de la mondialisation. En bref, à cause de la mondialisation, les citoyens ont l’impression que tout se décide sans eux, ils ne comprennent plus ce qui se passe. Les théories du complot répondent à cette déconnexion de la prise de décision, on veut croire à une machination derrière tout ce qu’on ne comprend pas.
Pour les complotistes, il y a aussi un complot derrière la mondialisation. Je pense que c’est surtout parce que la mondialisation elle-même n’est pas bien comprise qu’elle favorise le succès des théories du complot. Il n’y a pas si longtemps les citoyens comprenaient qu’il y avait les patrons et les syndicats. Les patrons travaillaient pour la survie de leurs entreprises et pour faire de bons profits. Les syndicats se battaient pour obtenir les meilleurs salaires et conditions de travail pour leurs membres et indirectement pour tous les travailleurs. L’État gouvernait en tenant compte des intérêts des uns et des autres avec des lois sur les relations de travail, les normes du travail, le salaire minimum et aussi en utilisant la taxation pour influencer la répartition de la richesse. Les sociétés développées vivaient de façon permanente en situation conflictuelle. Il faut dire que les conflits duraient parce que politiciens qui devaient les résoudre n’avaient pas toujours les moyens ou le désir de s’opposer aux plus forts.
Dans ce contexte, la mondialisation a été perçue généralement comme un Deus ex Machina qui offrait une réponse universelle à la répartition de la richesse et permettait d’éviter les conflits internes.
Face à la menace communiste, les économistes avaient conçu un système théorique qui démontre de façon assez convaincante que le système capitaliste, basé sur les prix d’équilibre de l’offre et de la demande, est le meilleur système économique possible. Selon cette théorie les entrepreneurs doivent avoir comme objectif de maximiser leurs profits. C’est l’État, par la règlementation et la fiscalité qui doit imposer la concurrence, éviter les profits excessifs et assurer une distribution équitable de la richesse. La théorie applique la loi de l’offre et de la demande à la main-d’œuvre, ce qui implique que lorsqu’il y a surabondance de travailleurs le salaire d’équilibre est le salaire de subsistance, juste ce qu’il faut pour maintenir le travailleur en vie.
La propagande mondialiste s’est appuyée sur cette efficacité attribuée au système capitaliste mais en pratique on a bafoué les règles de la concurrence et on s’est attaqué aux pouvoirs de l’État et aux institutions. Ainsi, tout ce qui reste pour expliquer le succès économique, éphémère, de la mondialisation c’est l’aptitude à profiter des excédants de travailleurs sur la planète pour payer des salaires minables dans les pays concernés et faire des pressions à la baisse sur les salaires partout dans le monde.
Le conflit fondamental entre les travailleurs et les détenteurs de capitaux existe toujours, il devrait être au cœur du débat politique, mais on le voit plus ou surtout on ne veut pas le voir.
Dans la logique de profitabilité capitaliste les multinationales ont déplacé une bonne partie de la production manufacturière dans le tiers-monde où les États n’avaient pas les moyens de leur imposer des règles. Cette stratégie nous a permis de profiter de prix des biens de consommation beaucoup plus faibles alors que les salaires de famine et les conditions travail pénibles des adultes et des enfants à l’autre bout du monde ne nous ont pas émus outre mesure.
Des possibilités de profits additionnels échappaient aux capitalistes parce qu’une grande partie des activités de service requièrent la proximité du client et ne peuvent pas être réalisées à l’étranger. Les services publics fournis par l’État, notamment, représentent des profits potentiels énormes en plus d’influencer à la hausse les salaires dans les services privés. On a donc assisté dans tous les pays développés à une pression en faveur de la privatisation des services publics et à l’abandon des règlementations qui augmentent les salaires et les autres coûts d’exploitation des entreprises ainsi qu’à la réduction de l’impôt sur les revenus des entreprises et les revenus élevés des particuliers.
L’argument qui suscite l’adhésion de beaucoup de citoyens c’est que les services vont coûter moins chers, sans qu’ils ne réalisent que des salaires globalement plus faibles entraînent un PIB plus faible et un appauvrissement pour presque tout le monde.
Un exemple récent de dérèglementation est celle de l’industrie du taxi qui a détruit une institution. Je n’ai jamais utilisé les services d’Uber et j’espère que je ne serai jamais assez mal pris pour les utiliser. On parle maintenant de confier au privé une partie du travail policier en invoquant les limites dans la capacité de payer de l’État. Qui est-ce qui va payer la police privée? Les Québécois, personne d’autre.
Ça va coûter moins cher seulement si les firmes privées paient moins chers leurs employés, non motivés parce qu’ils sont moins payés que les autres, et si les normes qui font augmenter les coûts sont moins sévères dans le privé. C’est justement pour sauver de l’argent que le gouvernement a laissé une partie des CHSLD et des autres résidences au privé et qu’il a accepté pendant des années que les normes strictes du public n’y soient pas appliquées.
Finalement, la production à bas prix dans le tiers monde laisse les capitalistes avec des capacités de production excédentaires et des profits énormes impossibles à réinvestir de façon rentable. Pour rétablir l’équilibre il leur faudrait donner aux travailleurs du tiers-monde des salaires qui leur permettent de consommer une part suffisante de la valeur qu’ils produisent. Ça leur paraît très risqué d’introduire des discussions sur les salaires dans le tiers-monde, un processus qui ne s’arrêtera plus. Est-ce que la planète peut suffire à ce que tout le monde consomme comme les occidentaux?
La solution retenue est d’amener graduellement des familles du tiers-monde à devenir des consommateurs en les déménageant dans les pays développés. L’arrivée de ces nouveaux consommateurs, et la construction des infrastructures nécessaires pour accommoder les arrivées prévues pour le futur, créent des pénuries de main-d’œuvre qui justifient finalement l’arrivée de plus d’immigrants. Les Québécois acceptent l’immigration massive, parfois parce que c’est bon pour leurs commerces, mais généralement parce qu’ils veulent être certains d’obtenir les services dont ils auront besoin, notamment en santé. Ne voient t’ils pas que les salles d’attente et les classes sont remplies de nouveaux arrivants?
Il n’y a pas de complot derrière la mondialisation. Il y a certes des rencontres de puissants financiers, de la planification, mais toutes les actions entreprises dans ce cadre sont bien visibles et pourraient être contrées. Le nerf de la guerre est l’argent et l’intérêt personnel. Les promoteurs recherchent leur intérêt personnel et si les populations acceptent jusqu’ici la mondialisation c’est qu’elles croient aussi y trouvent aussi leur intérêt, surtout les gens des classes privilégiées et aussi une partie de la classe moyenne, les gens qui espèrent devenir riches. La plupart des gens ne comprennent pas les enjeux de la mondialisation et retiennent dans le message des médias qu’elle représente l’efficacité économique et qu’elle est inévitable.
En réalité, la mondialisation génère, comme le montre très clairement les statistiques, une disparité de plus en plus grande des revenus entre les riches et les pauvres. C’est ça le plan et la plupart de ceux qui croient se retrouver du bon bord seront déçus.
Au Québec le souci du bien commun fait partie de nos valeurs et nous pouvons entreprendre une résistance à la mondialisation. Il ne s’agit pas de faire la révolution, mais simplement de revenir à une forme de capitalisme bien encadré par un État fort d’un appui populaire et soucieux du bien-être collectif. Pour y arriver nous aurons besoin d’élites oubliant leur intérêt personnel à court terme pour s’engager politiquement à la construction d’une société meilleure.
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