Immigration

Recherche francisation désespérément

La Jell-O-Weilshitisation du Québec



Jusqu'à tout récemment, le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles (MICC) autorisait, pendant les quatre premières semaines d'un cours de français, l'inscription de nouveaux immigrants adultes. Malgré cela, une attente de quelques semaines séparait l'arrivée des immigrants de leur premier cours.
En janvier 2012, le MICC a mis fin à cette pratique. Il s'ensuit que « les nouveaux arrivants peuvent attendre jusqu'à trois mois et parfois davantage avant d'assister à leur premier cours de francisation » (Robert Dutrisac, Le Devoir, 16 avril 2012).
Dans les circonstances, une mise à jour d'un mémoire que j'ai présenté en commission parlementaire de l'Assemblée nationale du Québec s'impose (Le revers de la médaille, 2007). Cinq ans plus tard, il est toujours d'actualité.
Des services continus
Comme l'immigration internationale se fait au jour le jour, j'ai proposé l'implantation d'un programme de francisation des immigrants de manière continue. La loi ne dit-elle pas, depuis 2005, que « les personnes qui s'établissent au Québec acquièrent, dès leur arrivée [...], la connaissance de la langue française » (Loi sur le MICC) ?
Au lieu de former des centaines de classes de 18 à 20 immigrants quatre fois par année seulement, pourquoi ne pas le faire sur une base hebdomadaire ou bimensuelle ? Pourrait-on espérer que les immigrants commencent à apprendre le français dans la semaine suivant leur arrivée, ou 15 jours plus tard tout au plus ?
Il va sans dire qu'une telle proposition suppose une rotation des ressources humaines à longueur d'année, sauf sans doute au milieu de l'été et au début de l'hiver (décembre-janvier). Tous les mois, un groupe de professeurs commencerait son année d'enseignement avec de nouveaux groupes d'immigrants fraîchement arrivés. D'autres enseignants seraient au coeur de leur charge annuelle, tandis que d'autres encore partiraient en congé, voire en vacances.
Afin de mettre en action de manière concrète ma proposition, j'ai suggéré, en commission parlementaire, de créer une agence « dont la mission consisterait à rencontrer les immigrants adultes dès leur arrivée, à évaluer plus rapidement leur connaissance du français, et à leur assigner un lieu d'apprentissage tout aussi rapidement. Recevant un budget adéquat qui comprendrait la part relevant du gouvernement fédéral, cette institution aurait pour mandat de placer les immigrants dans les divers milieux de formation tels les universités, les collèges, les conseils scolaires, les organismes communautaires, etc. Elle pourrait avoir ses propres professeurs, ses locaux et ses équipements ».
Comme tout organisme public, cette agence devrait rendre compte annuellement de son travail devant une commission parlementaire chargée de faire l'étude des fonds publics qui lui seraient alloués année après année. Cette proposition n'a rien d'une mesure symbolique dans l'ensemble de notre politique linguistique. Au contraire, devant une importante immigration internationale, la tâche qui l'attendrait serait plutôt colossale. Qu'on en juge par les données qui suivent.
Rien de symbolique
Cette année, en 2012, le gouvernement du Québec compte accueillir entre 51 500 et 54 500 immigrants. Les données statistiques de la décennie 2001-2010 permettent de calculer que le Québec devrait accueillir, semaine après semaine, entre 320 et 340 nouveaux immigrants qui ne connaissent pas le français. Parmi ces immigrants, près de 40 % (entre 130 et 135 personnes) peuvent s'exprimer en anglais.
À raison de 18 à 20 immigrants par classe (c'est la norme actuelle), nos obligations envers ceux qui ne connaissent pas la langue officielle du Québec exigeraient la formation de 16 à 19 nouvelles classes de français par semaine, ou, si l'on préfère, de 32 à 38 par quinzaine. (Je fais abstraction des immigrants dont la connaissance effective du français est surévaluée.)
Imposer aux immigrants plusieurs mois d'attente avant de leur trouver une place dans une classe de français va à l'encontre de l'objectif premier de notre politique linguistique: faire du français la langue commune, la langue de convergence, la langue du vivre-ensemble.
Toujours fortement concentrés à Montréal, Laval, Brossard et leurs environs immédiats (plus de 80 %), les nombreux immigrants aptes à parler l'anglais comprennent vite qu'ils peuvent très bien faire leur vie dans la langue qui domine outrageusement en Amérique du Nord. Cela est d'autant plus évident que des emplois sont offerts à ceux qui, justement, peuvent parler l'anglais, et aussi parce que de nombreux francophones « bilingues » ne ratent que rarement, voire suscitent l'occasion de s'exprimer en anglais.
Bref, plutôt que de saisir le taureau de la francisation des immigrants par les cornes pour le maîtriser une fois pour toutes, notre gouvernement vient de diluer davantage la portée de sa politique en rallongeant les délais. En prime, il a le culot d'encourager ces immigrants « à suivre des cours d'anglais en attendant » (Le Devoir) !
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Michel Paillé, démographe, spécialiste en démolinguistique et auteur d'une étude sur Les caractéristiques linguistiques de la population du Québec (Office québécois de la langue française, 2011)

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Démographe, Michel Paillé a fait carrière dans des organismes de la loi 101. Contractuel pour la commission Bouchard-Taylor (2007-2008), il été blogueur au Huffpost Québec (2012-2017). Il a participé à plusieurs ouvrages collectifs dont celui des Intellectuels pour la souveraineté : Le pays de tous les Québécois. Diversité culturelle et souveraineté, 1998.





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