Quelques questions aux aspirants leaders de la nation

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La course à la chefferie du
Parti québécois est l'occasion de poser quelques questions à
ceux qui aspirent à faire faire le Grand saut à la nation. Voici
donc des questions qui portent sur l'article i du programme,
de même que les moyens et les stratégies qu'entend
déployer le parti pour réaliser son objectif. Le congrès de
juin dernier a réglé le principal de la démarche référendaire,
mais il a laissé en plan nombre de questions fort importantes,
laissant aux candidats une bonne marge de
manoeuvre. Pour assurer l'avenir du Québec, nous considérons
qu'un ingrédient, la démocratisation, doit faire partie
intégrante de la démarche pré- et post-référendaire. Ce court
texte ne peut, faute d'espace, présenter aucune question sectorielle,
bien que leur intérêt soit équivalent.
L'objectif
L'objectif paraît simple : réaliser la souveraineté. En réalité,
il est plus compliqué qu'il n'y paraît. L'objectif est de créer
un État nouveau à partir d'un État ancien. Ce nouvel État
sera-t-il le reflet de l'ancien ? Reconduira-t-il la même
concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul ?
Confinera-t-il les élus à un rôle passif face aux chefs ? Quelle
sorte de régime démocratique veut-on ? Implantera-t-on un
mode de scrutin proportionnel et, si oui, quel type ? Établira-t-on un pluralisme dans la représentation et dans le profil
des députations ?
Depuis l'après-guerre, au Québec comme ailleurs dans le
monde, l'aspiration à plus de justice et d'équité a amené un
élan de démocratisation et de modernisation de l'État et la
résurgence des nationalismes dans les sociétés multi-nationales.
Cette aspiration a encore plus de prise dans notre régime
de concentration des pouvoirs. Sans nécessairement proposer
un projet de gauche ou un projet de droite, le nouveau
régime politique sera-t-il plus démocratique que l'actuel ?
Les moyens
Réaliser l'indépendance signifie rassembler une large coalition
au sein de l'électorat. Or la constitution d'une coalition
souverainiste gagnante ne va pas de soi. Qu'ont à proposer
les candidats pour rallier les socio-démocrates et les électeurs
nationalistes déçus ? L'offre de coalition se limite-t-elle
au ralliement inconditionnel au Parti québécois, coalition
que le futur chef mènera seul ? Ou alors, le futur chef s'engagera-
t-il clairement, avant le référendum, à une véritable
démocratisation du pouvoir politique dans toutes les
sphères de la société québécoise ?
Compte tenu de l'inévitable alternance, sans laquelle notre
régime politique ne serait qu'une dictature élue, le simple
ralliement à un parti moins pire que celui au pouvoir risque
d'être suffisant pour chasser le Parti libéral, mais un peu
court pour constituer une coalition gagnante. Le ralliement
à un projet constitué d'un seul élément, la souveraineté,
dont le contenu reconduit le régime politique actuel dans
l'attente des changements qui surviendront après le Grand
jour, s'avérera-t-il capable de rallier les partenaires naturels
du mouvement ?
La stratégie référendaire est en place depuis 1974, mais elle
n'a jamais produit la coalition recherchée : jamais le Parti
québécois n'a été capable à lui seul de créer les solidarités
nécessaires au ralliement. En 1995, la coalition souverainiste
s'inscrivait dans le prolongement du rejet des Accords du
Lac Meech (1990) et de Charlottetown (1992). Elle fut générée
par les libéraux provinciaux, contre leur gré, entretenue
et ravivée habilement par Jacques Parizeau à l'occasion du
deuxième référendum.
Parier sur une coalition dirigée unilatéralement par le Parti
québécois sans rien offrir en retour n'apparaît toujours pas
plus évident. Une coalition souverainiste gagnante ne peut
se construire qu'entre partenaires de la même famille,
autour d'une idée capable de faire consensus : la démocratisation.
Dans une société aussi démocratique qu'est le
Québec, il est tout bonnement impossible qu'elle puisse se
construire depuis la direction du parti pour être imposée à
ses membres et aux divers groupes qui composent le mouvement
de démocratisation : le rapport est par trop inégal.
La coalition gagnante se construira d'autant plus facilement
qu'elle impliquera avant le référendum un engagement
ferme envers une démocratisation du pouvoir.
La stratégie
Puisque, s'il est porté au pouvoir, le Parti québécois sera
minoritaire aux voix, comme cela est habituellement le cas
au Québec, la stratégie-marketing toute désignée est la cour
intensive faite aux électeurs fédéralistes nationalistes de
droite stationnés dans les cours du Parti libéral et de l'Action
démocratique (on oublie au passage les électeurs qui s'abstiennent).
Cette cour intensive force déjà le parti à établir sa
crédibilité aux yeux de ces électeurs.
Difficile tâche qui consiste à se positionner comme le plus
grand défenseur des intérêts du Québec aux yeux d'électeurs
non souverainistes. Il faut pour cela s'opposer aux desseins
de l'« Autre » sans pour autant en brusquer ou en heurter
les partisans, ceux qui ne votent déjà pas pour le parti. C'est
l'utilité de la stratégie de la victimisation. Cette dernière permet
d'interpréter les défaites du Québec comme des
affronts infligés à l'ensemble des électeurs. Le discours habituel
consiste à dire que le gouvernement québécois a tenté
par tous les moyens de s'inclure au tout canadien, de jouer
le jeu, mais que l'« Autre » l'a rejeté.
Le prix à payer pour cette stratégie est lourd : une accumulation
de défaites, un parti qui veut paraître modéré et désireux
d'intégration et qui tente de le prouver en s'en prenant
à ses propres militants. Le Parti québécois n'est pas constitué
de « militants qui mange leur chef», comme le disait
Louise Beaudoin, mais d'« un chef qui mange ses militants
». Dans l'histoire du parti, les purges ont été bien plus
nombreuses que le nombre de chefs. En cas de passage à
vide au cours de la campagne, suggérons-leur d'expliquer en
quoi leur stratégie visant à réunir à la fois des électorats de
droite et fédéraliste nationaliste est compatible avec le programme
social-démocrate et nationaliste du parti.
Si c'est OUI
Le système électoral canadien produit des gouvernements
fédéraux qui ne reconnaissent pas de droit à l'indépendance
pour le Québec ni le droit à des mesures nationalistes visant
à protéger la Communauté politique majoritaire. Advenant
l'élection du Parti québécois, le gouvernement fédéral va
naturellement recourir à la Loi sur la clarté référendaire du
ministre Dion pour paralyser le processus référendaire et
intimider l'électorat québécois. Il s'agit à proprement parler
de chantage politique : aucune question « normale » ne sera
acceptable pour le fédéral. Ce sera la question référendaire
fédérale, perverse, ou celle du Québec, mais alors accompagnée
de menaces et d'intimidation de la part du fédéral.
Aucune réponse ne sera suffisante ni assez claire. Et de
toute façon, comme l'ont exprimé à propos du référendum
de 1995 Jean Chrétien, plusieurs de ses ministres, les
conservateurs du Reform Party et quelques premiers
ministres provinciaux, un gouvernement fédéral ne reconnaîtra
pas un verdict favorable et ne le considérera pas
comme exécutoire.
Un éventuel OUI signifiera le début d'une partie de bras de
fer entre le chef du PQ - souhaitons qu'il ne soit pas seul à
ce moment crucial - et les dirigeants canadiens. Le jugement
de la Cour suprême impose bien l'obligation de négocier
pour le fédéral, mais cette obligation est de peu d'utilité
puisqu'elle renvoie au rapport de force politique pour l'évaluation
des résultats des négociations, un rapport de force
sur lequel les Québécois ont actuellement bien peu de prise.
Le pari fédéral est que la phase de négociation est susceptible
de permettre au gouvernement fédéral de renverser le
verdict démocratique.
Quelques questions se profilent déjà. Que fera le prochain
chef du Parti québécois face à la Loi sur la clarté ? Osera-t-il,
après un référendum, faire en sorte que le gouvernement du
Québec pose des gestes pour affirmer sa souveraineté ?
Interdira-t-il certaines manoeuvres illégitimes du gouvernement
fédéral ? Créera-t-il des institutions québécoises en
charge des champs de compétence fédéraux ? Créera-t-il un
ordre juridique autonome ? Adoptera-t-il une constitution ?
S'il devait le faire, comment procéderait-il ? Cette constitution
devrait-elle respecter la constitution canadienne ou
embrasser complètement ou partiellement les compétences
exercées par le gouvernement fédéral ? Reconduirait-elle
l'essentiel du régime politique actuel ?
En bout de piste, ce sont un gouvernement québécois et une
opinion publique déterminés qui parviendront à établir la
souveraineté après un référendum gagnant. Il s'agit d'une
question qui interpelle directement le maintien de la coalition
pré-référendaire et le rôle que jouera le Parti libéral du
Québec dans les suites du référendum. Or à la lumière du
passé, on peut croire que les fédéralistes radicaux aux commandes
du Parti libéral du Québec tenteront par tous les
moyens de torpiller les consensus politiques favorables à
l'affirmation d'une volonté sécessionniste. Voilà un motif de
plus pour envisager sérieusement, dès maintenant, la démocratisation
de la représentation politique.
Si c'est reporté
Les candidats envisagent-ils le report du référendum dans
l'éventualité où le OUI descendrait en dessous d'un certain
pourcentage dans les sondages ?
Le vieillissement de la population et le remplacement des
générations sont des facteurs qui favorisent un meilleur
résultat que celui obtenu en 1995. Mais on doit rappeler qu'à
cette occasion la coalition souverainiste ne fut pas la résultante
des seuls efforts déployés par le Parti québécois,
comme nous l'avons déjà exprimé. Sans Jacques Parizeau,
peu de chefs auraient misé sur une campagne active pour
faire progresser la souveraineté.
Qu'attendre de l'opinion publique ? On sait tout d'abord que
les sondages surestiment systématiquement les résultats
obtenus par le Parti québécois ou l'option souverainiste,
contrairement au Parti libéral et à son option. En outre, de
nombreux sondés demeurent discrets sur leur option, ce qui
est susceptible de fausser les mesures. L'abstentionnisme
aux élections provinciales de 2003 et fédérales de 2004
témoigne d'une cassure nette entre les partis souverainistes
et l'électorat. Dans plusieurs régions, les associations de circonscription
vivotent tandis que les critiques continuent de
pleuvoir sur le bilan du parti, le caractère monosyllabique du
projet de souveraineté et son programme de gestion gouvernementale,
qui donne l'impression que le parti est un pur
défenseur du statu quo social.
Mentionnons d'autre part que les récents sondages ont été
réalisés en l'absence de campagne référendaire, au moment
où la commission Gomery démontrait à quel point la popularité
du gouvernement fédéral reposait au Québec sur la
corruption et le favoritisme. En tout et pour tout, il reste
cette question : l'opinion publique de 2005, qui accorde à la
souveraineté une popularité supérieure au parti, est annonciatrice
d'une victoire ?
En ces temps de disette financière et de paralysie de l'État
québécois, compte tenu de l'offensive de charme du gouvernement
fédéral auprès de toutes les autres forces sociales
(municipalités, universités, organismes non gouvernementaux),
les souverainistes disposent-ils, en 2005, d'un argumentaire
suffisant et aussi fort que celui de 1995 ? La structuration
du pouvoir « post-fusions municipales » offre-t-elle,
en 2005, plus d'appuis qu'il y a dix ans ?
Si jamais le référendum devait être reporté, quand le saurat-
on ? Que fera alors un gouvernement du Parti québécois ?
Gouvernera-t-il dans l'attente du retour des conditions
gagnantes, ou tentera-t-il de provoquer ce retour, ce qui s'accompagnerait
naturellement d'un problème de crédibilité ?
Compte tenu des sacrifices exigés auprès des partenaires,
compte tenu des frustrations générées dans ses propres
rangs, gouverner sans diviser, dans l'attente du fruit mûr,
implique le risque d'implosion du parti, et certainement la
désagrégation de la coalition gagnante. Aux yeux des sociodémocrates
comme des nationalistes, le pouvoir vaut pourtant
son pesant d'or. Les urgences et les solutions ne manquent
pas. L'attente ne peut durer indéfiniment. C'est l'utilité
et la pertinence du Parti québécois qui sont en jeu.
Et si c'est NON
Qu'entend faire un futur gouvernement péquiste si d'aventure
les Québécois rejetaient l'indépendance une troisième
fois ? Entend-il démissionner en bloc et sur le champ en
sous-entendant que le peuple ne le mérite pas ? Les
Québécois, et surtout les militants du mouvement de démocratisation,
sont en droit de savoir si la capitulation est au
menu et ce qu'est son plan B.
Ces questions sont cruciales. Le Québec n'arrêtera pas
d'exister advenant une défaite. Que certains aient l'ego froissé
ne les autorise pas à délaisser la défense des droits collectifs
des Québécois. Dans un contexte de capitulation, une
remise du pouvoir entre les mains des adversaires déchaînerait
un nettoyage politique en règle. Plus rien ne pourrait
s'opposer à la mise en place d'un régime de collaboration, de
corruption et de discrimination. L'espace de liberté politique
est déjà trop étroit.
Une police d'assurance
Il y a par ailleurs moyen d'arriver de manière beaucoup plus
sûre et plus rapide à l'indépendance : la démocratisation.
Face à un gouvernement fédéral dont la gestion des relations
avec le Québec est toujours fondée sur l'exclusion, la
démocratisation permettra la constitution d'une volonté
politique forte capable de bâtir un Québec plus déterminé et
capable de franchir le Rubicon au moindre affront.
L'instauration d'une dynamique de gouvernements de
coalition introduirait à l'Assemblée nationale, pour la
première fois avec autant de force, les intérêts des
francophones. Au sein de tous les gouvernements
québécois, l'adoption de mesures équitables envers les
francophones amènerait l'affirmation de l'identité et des
choix politiques des Québécois, qu'Ottawa ne verrait pas, de
toute évidence, du même oeil. Quant au Parti libéral du
Québec, la démocratisation en signerait l'effondrement :
chaque fois que le parti fut obligé de débattre de rapports
intercommunautaires, une crise a suivi et donné naissance
(ou fait revivre) à un autre parti (Parti québécois en 1967-68,
Union nationale en 1976, Equality et Unity Parties en 1989,
Action démocratique du Québec en 1993).
Sans obliger à renoncer maintenant à la stratégie référendaire,
la démocratisation représente l'ingrédient le plus adéquat
pour l'établissement d'une volonté politique gagnante.
Cela signifie donc que, en cas de défaite ou de report indéfini,
il n'y a aucune raison de capituler et de considérer que les
perspectives d'indépendance sont désormais nulles. Il faudrait
au contraire profiter du pouvoir pour instaurer ces
réformes essentielles. C'est la police d'assurance. Après plus
de trente ans à attendrir les porteurs des revendications
démocratiques, il faudrait bien, un jour, qu'un gouvernement
péquiste livre. D'autant plus que ce moyen apparaît
clairement plus solide et plus rapide que la stratégie référendaire.


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