Par Raymond Garneau
Depuis quelques jours, l'interprétation à donner au terme " déséquilibre fiscal " crée des remous. Les partis politiques québécois se retrouvent face à leurs principes sinon à leur vocabulaire.
En effet, si la théorie du déséquilibre fiscal a le sens que le Parti québécois lui a donné depuis des années, le député François Legault a raison. Le Québec devrait augmenter sa TVQ (taxe de vente ) de 1 % si le gouvernement canadien baissait de 1 % sa TPS (taxe sur les produits et services.) Agir autrement signifierait que le terme " déséquilibre fiscal " est vide de sens; un terme que l'on utilise uniquement pour des fins électorales.
Quant au premier ministre Charest qui a, lui aussi, utilisé et accrédité le terme " déséquilibre fiscal " il fait face au même dilemme, il est lui aussi face à ses principes et à son vocabulaire.
Pendant que les péquistes Legault et Boisclair se contredisent, le gouvernement Charest annonce par la bouche de son ministre des Finances qu'il n'augmenterait pas la taxe de vente québécoise si le fédéral baissait la sienne. Soit dit en passant, je suis d'accord avec cette décision.
On dit souvent que la meilleure façon de tester une théorie est de la mettre en application.
Les partis politiques au Québec, qui demandent depuis des années au gouvernement canadien de laisser plus d'espace fiscal aux provinces, ont la possibilité de mettre en application leur théorie; ils n'osent pas car ils en voient maintenant les limites et les conséquences.
La raison est simple à comprendre. Si le fédéral baisse sa TPS de 1 %, ce sera pour l'ensemble des Canadiens, alors que si le Québec augmente sa TVQ de 1 %, cette hausse ne s'appliquera qu'aux seuls contribuables québécois, ce qui augmenterait encore leur fardeau fiscal par rapport à celui des autres provinces.
Dans le fond, par leur refus d'occuper le champ fiscal libéré par Ottawa, les partis politiques au Québec viennent d'envoyer leur théorie du déséquilibre fiscal aux orties. Le gouvernement et l'opposition officielle viennent de faire la preuve que le Québec ne peut pas régler ses problèmes financiers à partir de la théorie du " déséquilibre fiscal " qui implique que le fédéral libère des champs fiscaux pour permettre aux provinces qui le désirent de les occuper.
La pensée unique
Au Québec, on a souvent le défaut mignon de développer ce que certains appellent, " le syndrome de la pensée unique " et malheur à vous si vous osez la critiquer. Si vous le faites, vous êtes vite étiqueté de renégat qui ne défend plus les intérêts supérieurs du Québec; sans une adhésion à la théologie du déséquilibre fiscal aucun(e) candidat(e) ne pouvait penser à se faire élire. Sans croire à la théorie du déséquilibre fiscal point de salut.
Je crois que Québec y gagnerait au change en modifiant son vocabulaire et en remplaçant le terme " déséquilibre fiscal " par celui de " financement de la fédération ".
Il y a plusieurs raisons pour changer de vocabulaire.
Premièrement, le terme " déséquilibre fiscal " est interprété par bien des Québécois comme une sorte de machination faisant en sorte que le méchant gouvernement fédéral limite le pouvoir de taxation du Québec et l'empêche ainsi de faire face à ses responsabilités constitutionnelles. Par conséquent, les problèmes financiers du Québec seraient solutionnés si le gouvernement fédéral diminuait ses impôts ou ses taxes pour laisser au Québec le loisir d'augmenter les siens sans accroître le fardeau fiscal des Québécois. On voit bien, dans le débat actuel, que cette théorie ne tient pas la route puisque ni le gouvernement ni l'opposition officielle ne veulent l'appliquer dès la première occasion qu'ils ont de le faire.
Deuxièmement, le rendement d'un point d'impôt prélevé par le fédéral est différent d'une province à l'autre. Cette réalité fait en sorte que le financement des responsabilités constitutionnelles des provinces, surtout celles qui sont moins fortunées, ne peut pas se faire uniquement par des baisses de points d'impôt du fédéral au bénéfice des provinces qui désirent occuper le champ fiscal ainsi libéré.
Une solution acceptable
Troisièmement, pour le Québec des années 60 et 70, le transfert de points d'impôt soumis à la péréquation était une solution acceptable pour assurer le financement des programmes établis de l'époque. Le transfert de points d'impôt et l'application du programme de péréquation aux points d'impôt transférés assuraient des revenus relativement stables au Québec. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Quatrièmement, les programmes de dépenses que les provinces mettent en place pour faire face à leurs responsabilités constitutionnelles sont fort différents d'une province à l'autre. Par exemple: les programmes d'assurance médicaments, de garderie, de congés parentaux, de présence à l'étranger pour ne citer que ceux-là ne sont pas appliqués également par toutes les provinces. Dans ce contexte, comment peut-on parler de déséquilibre fiscal pour une province qui consacre, par son seul choix démocratique, des centaines de millions à un programme social et qu'une ou plusieurs autres provinces ne le font pas. Peut-on parler au Québec de déséquilibre fiscal lorsque nos frais de scolarité universitaire sont deux et trois fois plus bas que ceux des autres provinces? Peut-on honnêtement en mettre la faute sur le gouvernement fédéral. Je soutiens que chaque province est libre de dépenser et de taxer comme elle le désire et il est bon qu'il en soit ainsi.
Pour toutes ces raisons je crois que les partis politiques devraient revoir leur vocabulaire et parler de financement de la fédération plutôt que de déséquilibre fiscal. Le financement de la fédération est inclusif, il fait appel à l'idée de partage de la richesse entre les provinces et entre les citoyens. Cet équilibre s'effectuera par:
des transferts financiers en bloc assujetti à une forme d'indexation;
une formule de péréquation stable comprenant presque toutes les ressources provinciales de revenus; et peut-être aussi par;
un transfert de points d'impôt soumis au programme de péréquation.
C'est en utilisant tous ces outils que nous pourrons atteindre l'équilibre recherché dans le financement de la fédération canadienne tout en respectant aussi la capacité de payer du contribuable peu importe où il vit au Canada.
Dans sa recherche d'équilibre, Monsieur Harper apprendra lui aussi, comme viennent de le faire messieurs Charest et Boisclair, les limites de l'expression " déséquilibre fiscal " qu'il a utilisé durant la dernière campagne électorale.
L'auteur a été ministre des Finances du Québec sous Robert Bourassa.
Quel déséquilibre?
Avec leur refus de récupérer le 1 % de la TPS qu'Ottawa abandonne, les partis politiques au Québec viennent d'envoyer leur théorie du déséquilibre fiscal aux orties
2006 textes seuls
Raymond Garneau4 articles
L'auteur a été ministre dans le gouvernement de Robert Bourassa de 1970 à 1976.
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