Quebec's Lac-Mégantic oil train disaster not just tragedy, but corporate crime

At the root of the explosion is deregulation and an energy rush driving companies to take ever greater risks

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La tragédie de Mégantic vue de Londres - Un texte majeur à lire sans faute (traduction offerte par Vigile)

Jugeant ce texte paru dans le Guardian de Londres d'une importance capitale, le Comité éditorial de Vigile a décidé de vous en présenter la traduction, confiée à Richard Le Hir. La version originale anglaise apparaît en dessous de la version française.
Cinq jours après le déraillement et l’explosion à Lac-Mégantic au Québec d’un train transportant du pétrole brut, la petite municipalité rurale présente le visage de la désolation. Son centre-ville calciné ressemble à un lieu de sacrifice. Cinquante personnes y ont trouvé la mort, ce qui en fait l’une des pires catastrophes de l’histoire récente du Canada.
Dans la foulée de l’explosion, politiciens et éditorialistes ont souligné l’indécence qu’il y aurait à politiser l’événement et à en rechercher les causes profondes. Le deuil est permis, mais pas une analyse approfondie. En avril dernier, dans le cadre d’une tentative de perpétrer un attentat à la bombe, le premier ministre Harper avait même inventé une nouvelle expression maladroite, « se rendre coupable de sociologie » pour se moquer de la recherche de la racine des événements tragiques.
Mais de s’en tenir à qualifier l’explosion de Lac-Mégantic de tragédie revient à la réduire aux proportions d’un simple accident causé par une erreur humaine ou une défaillance technique, et à nous empêcher d’attribuer plus largement les responsabilités. Or on doit aux disparus de comprendre exactement pourquoi elle s’est produite, et comment on pourrait empêcher qu’une telle chose ne se reproduise dans l’avenir.
Alors voici ma modeste contribution sociologique. L’explosion de Lac-Mégantic n’est pas seulement une tragédie, C’est la scène d’un crime perpétré par une entreprise. On ne parviendra pas à trouver la preuve des causes profondes de cet événement dans la boîte noire du train, ou en interrogeant le conducteur qui a quitté son convoi avant que les wagons ne s’emballent et débouchent hors de contrôle au coeur de cette petite ville. Pour ce faire, il faudra examiner comment Lac-Mégantic s’est retrouvée au coeur d’une tempête parfaite de cupidité, de déréglementation et de course à l’énergie poussant les entreprises à prendre des risques de plus en plus grands avec l’environnement et la vie humaine.
Le pétrole brut transporté par la société américaine Montreal, Maine and Atlantic Railway – du pétrole de schiste en provenance du Dakota du Nord - ne serait jamais passé par Lac-Mégantic il y a cinq ans. Entre-temps, il s’est produit une explosion de la production d’énergie sale non conventionnelle alors que les entreprises exploitant les combustibles fossiles ont cherché à remplacer le pétrole et le gaz conventionnels par de nouvelles sources, plus difficiles à découvrir, plus sales à exploiter, et plus difficiles à transporter.
Qu’il s’agisse du pétrole extrait des sables bitumineux de l’Alberta ou des formations de schiste des États-Unis, ces sources sont si destructrices et dégagent tellement de gaz à effet de serre que d’éminents chercheurs en sont venus à la conclusion suivante : pour éviter un emballement des changements climatiques, il est préférable qu’ils restent sous terre.
Ce n’est pas la moindre des ironies que le Québec soit actuellement une des rares juridictions à avoir interdit le recours à la technique de la fracturation hydraulique utilisée pour extraire le pétrole en provenance du Dakota qui a dévasté Lac-Mégantic.
Mais les entreprises qui exploitent les énergies fossiles, stimulées par la taille de leurs profits, ont développé une stratégie tous azimuts pour exploiter ce pétrole et l’acheminer jusqu’aux marchés. C’est une des raisons qui expliquent l’augmentation aussi massive qu’imprudente des volumes de pétrole transportés par rail. En 2009, au Canada, les volumes transportés n’étaient que de 500 wagons. Cette année, ils atteindront les 140 000 wagons.
Le transport ferroviaire de leur produit a également constitué une assurance contre le pire cauchemar des pétrolières, l’émergence d’un mouvement à l’échelle du continent pour empêcher toute utilisation des pipelines pour assurer le transport du pétrole extrait des sables bitumineux.
Un groupe d’industriels canadiens cherche à construire un lien ferroviaire de 2 400 km pour acheminer 5 millions de barils de pétrole bitumineux depuis l’Alberta jusqu’en Alaska. Les entreprises le transportent également par camion et songent à utiliser des péniches pour le transport par les voies fluviales. Le nouveau credo de l’industrie se résume à ceci : par quelque moyen que ce soit.
L’imprudence téméraire de ces entreprises n’est pas le fruit du hasard. Le néolibéralisme des trente dernières années a amené le gouvernement canadien et plusieurs autres à éliminer toutes les normes qu’ils s’étaient données en matière de protection de l’environnement, de protection des travailleurs, de sécurité publique et de surveillance, tout en ouvrant aux entreprises de nouveaux champs très lucratifs en privatisant des activités ou des biens jusque là publics.
Le secteur ferroviaire au Canada n’a pas échappé à ce mouvement. Jusqu’au milieu des années 1980, le transport par train était largement aux mains du gouvernement et encadré par une réglementation très rigoureuse. Lorsque le gouvernement progressiste conservateur Mulroney, largement inspiré par les méthodes de Mme Thatcher, eut achevé son oeuvre de réforme, il était déréglementé et les entreprises avaient réécrit les règles de sécurité. Allait s’ensuivre un long épisode de réduction des coûts, de mises à pied massives, d’accélération des opérations, et éventuellement de privatisation complète des chemins de fer.
Le gouvernement libéral poursuivit sur cette lancée en remettant entre les mains des entreprises le soin d’administrer elles-mêmes la règlementation qui restait. Un rapport rendu public en 2007 annonçait la suite des choses : le système ferroviaire canadien courrait tout droit vers le désastre.
Il ne faut donc pas se surprendre que les magnats du pétrole et des chemins de fer soient parvenus à tourner les coins ronds en toute liberté. Ils utilisent des vieux wagons-citernes pour transporter le pétrole malgré que les agences concernées aient informé le gouvernement fédéral il y a une vingtaine d’années que leur utilisation posait des risques inacceptables. Un rapport plus récent de ces mêmes autorités fédérales rappelait au gouvernement fédéral que ces wagons étaient vulnérables et pouvait être à l’origine de déversements catastrophiques de produits dangereux, Le gouvernement fédéral ferma les yeux. Et, pour couronner le tout, le gouvernement fédéral accorda l’an dernier à la Montreal, Maine and Atlantic Railway, l’autorisation de faire rouler ses trains avec un seul conducteur à bord.
Tout cela pour dire qu’il ne suffira pas de découvrir si un frein a fait défaut le soir de la catastrophe ou s’il s’agit d’un cas de règlementation trop permissive. Le débat devrait porter sur un tout autre genre de frein, celui qu’il faut appliquer à la folle recherche de ressources infinies, à l’emballement d’entreprises devenues d’une imprudence téméraire, sur une planète fragile et aux ressources limitées.

La classe politique canadienne ne sera pas enchantée par les leçons à tirer de cette expérience. Le gouvernement doit recommencer à encadrer sévèrement les entreprises, en recourant à une combinaison d’incitatifs, de mesures fiscales et de sanctions. Et l’affaire ne s’arrêtera pas au seul transport des produits pétroliers qui demeurera périlleux par rail ou par pipeline. Il va falloir prendre rapidement nos distances avec une économie fondée sur une dépendance trop lourde à l’énergie. Ce n’est pas par une enquête publique qu’on parviendra à ce résultat, mais par des mouvements sociaux bruyants qui imposeront aux gouvernements la mise à l’agenda de cette question.
C’est pourquoi la meilleur réponse à la catastrophe de Mégantic s’est produite à Fairfield dans le Maine, à 160 km de la frontière canadienne, lorsque des citoyens ont été arrêtés pour avoir tenter de bloquer le passage d’un train qui transportait lui aussi du pétrole extrait par fracturation hydraulique provenant du même champ pétrolifère du Dakota du Nord.
Leur message nous invitait à réduire notre dépendance au pétrole. Pas à moyen terme. Dès maintenant. Ce serait le plus bel hommage que ceux qui n’ont jamais connu les victimes de Lac-Mégantic pourraient leur rendre.
Version originale anglaise
Five days after a train carrying crude oil derailed and exploded in Lac-Mégantic, Quebec, the rural town resembles a scene of desolation. Its downtown is a charred sacrifice zone. 50 people are likely dead, making the train's toll one of the worst disasters in recent Canadian history.
In the explosion's aftermath, politicians and media pundits have wagged their finger about the indecency of "politicising" the event, of grappling with deeper explanations. We can mourn, but not scrutinise. In April, prime minister Stephen Harper even coined an awkward expression – "committing sociology" – to deride the search for root causes about horrifying events, in the wake of an unrelated, alleged bombing attempt.
But to simply call the Lac-Mégantic explosion a "tragedy" and to stop there, is to make it seem like an accident that occurred solely because of human error or technical oversight. It risks missing how we might assign broader culpability. And we owe it to the people who died to understand the reasons why such a disaster occurred, and how it might be prevented in the future.
So here's my bit of unwelcome sociology: the explosion in Lac-Mégantic is not merely a tragedy. It is a corporate crime scene.
The deeper evidence about this event won't be found in the train's black box, or by questioning the one engineer who left the train before it loosened and careened unmanned into the heart of this tiny town. For that you'll have to look at how Lac-Mégantic was hit by a perfect storm of greed, deregulation and an extreme energy rush driving companies to ever greater gambles with the environment and human life.
The crude carried on the rail-line of US-based company Montreal, Maine and Atlantic Railway – "fracked" shale oil from North Dakota – would not have passed through Lac-Mégantic five years ago. That's because it's part of a boom in dirty, unconventional energy, as fossil fuel companies seek to supplant the depletion of easy oil and gas with new sources – sources that are harder to find, nastier to extract, and more complicated to ship.
Like the Alberta tar sands, or the shale deposits of the United States, these energy sources are so destructive and carbon-intensive that leading scientists have made a straightforward judgment: to avert runaway climate change, they need to be kept in the ground. It's a sad irony that Quebec is one of the few places to currently ban the "fracking" used to extract the Dakotan oil that devastated Lac-Mégantic.
But fossil fuel companies, spurred by record profits, have deployed a full-spectrum strategy to exploit and carry this oil to market. That's one of the reasons for a massive, reckless increase in the amount of oil shipped by rail. In 2009, companies shipped a mere 500 carloads of crude oil by rail in Canada; this year, it will be 140,000.
Oil-by-rail has also proved a form of insurance against companies' worst nightmare: a burgeoning, continent-wide movement to block pipelines from the Alberta tar sands. A group of Canadian businessmen is pursuing the construction of a 2,400-kilometre rail line that could ship 5m barrels of tar sands oil from Alberta to Alaska. Companies are also trucking it and entertaining the idea of barging it down waterways. This is the creed of the new energy era: by any means necessary.
The recklessness of these corporations is no accident. Under the reign of neoliberalism over the last 30 years, governments in Canada and elsewhere have freed them from environmental, labour and safety standards and oversight, while opening up increasingly more of the public sphere for private profit-seeking.
The railway in Canada has hardly been exempt. Up until the mid 1980s, the industry, publicly-run, was under serious regulation. By the time the Thatcherite Progressive Conservative prime minister Brian Mulroney was finished with his reforms, it was deregulated, and companies had rewritten the safety rules. That launched an era of cost-cutting, massive lay-offs, and speed-ups on the job, and eventually, the full privatization of companies and rail-lines.
The Liberal government completed the job by turning over what regulation remained to rail companies themselves. A report issued in 2007 by a safety group spelled out the result: Canada's rail system was a disaster in the waiting.
It's little wonder, then, that today's oil and rail barons have cut corners with ease. They've been using old rail cars to ship oil, despite the fact that regulators warned the federal government they were unsafe, as far back as 20 years ago. A more recent report by a federal agency reminded the government that the cars could be "subject to damage and catastrophic loss of hazardous materials." All were ignored. To top it off, the federal government gave the go-ahead last year to Montreal, Maine and Atlantic Railway to operate with just one engineer aboard their trains.
All of which means it will not suffice to find out if a brake malfunctioned the night of the disaster, or limit ourselves to pointing at the failings of lax regulation. The debate should be about the need for another kind of brake, over the mad pursuit of infinite resources, and the unshackling of reckless corporations, on a finite and fragile planet.
Canada's political class will not be pleased by the lessons to be drawn. The government needs to get back into the business of heavily regulating corporations – through incentives, through taxes, and through sanctions. And this will involve not just grappling with the dangers of the transport of oil – which will remain unsafe, whether by rail or by pipeline – but starting a rapid transition away from an extreme energy economy entirely. That will not happen as the result of any government inquiry, but a noisy social movement that puts it on the public agenda.
That's why the most fitting response to Lac-Mégantic actually happened two weeks ago, by US residents 100 miles across the border in Fairfield, Maine. They were arrested blockading a train carrying the same fracked oil from the same oilfields of Northern Dakota, to the same refinery in New Brunswick, Canada. Their message was about ending our reliance on oil, not soon but now. For those who never knew the victims of Lac-Mégantic, there could be no better way to honour them.


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