Frédéric Bastien - Les organisations non gouvernementales (ONG) s'occupent-elles encore de questions humanitaires et de droits de la personne, ou se sont-elles plutôt lancées dans des activités partisanes et idéologiques? C'est ce que pense Gérald Steinberg, professeur de science politique à l'Université Bar Ilan en Israël, qui a fondé l'organisme NGO Monitor dont le but est d'examiner l'activité des ONG impliquées dans le conflit israélo-palestinien.
«Je suis un universitaire et, au fil de mes recherches, je me suis rendu compte qu'il n'y avait personne qui étudiait le rôle des ONG. Elles ont de l'influence et du pouvoir, et je me suis dit que quelqu'un devait s'intéresser à ce qu'elles font.»
La démarche de Steinberg est donc universitaire au départ. Mais à cette casquette, le professeur en a simultanément ajouté une autre, celle du citoyen israélien qui n'aime pas le discours de plusieurs ONG sur son pays. Selon lui, les critiques faites à Israël en matière de droits de la personne ont été celles qui ont fait le plus mal à l'État hébreu, contribuant à sa mauvaise réputation, notamment auprès des journalistes, qui tiennent pour acquis que le discours des ONG est neutre et impartial.
Ce phénomène aurait commencé en septembre 2001 à Durban, en Afrique du Sud, au cours d'une conférence sur le racisme à laquelle participaient notamment 2000 ONG. Cet événement a marqué un tournant dans le cheminement de Gérald Steinberg.
«Les ONG ont dépeint Israël comme la plus grande menace qui soit pour la liberté et la démocratie, la plus grande source de racisme dans le monde», dit-il, notant au passage qu'il y a eu de la violence verbale et physique contre des Juifs et des Israéliens au cours de la conférence de Durban. «Puis, il y a eu une déclaration commune suivant laquelle Israël est un État digne de l'apartheid et qu'à l'aide de sanctions et de campagnes de boycott, on va faire avec Israël ce qu'on a fait avec l'Afrique du Sud. Telle était l'image d'Israël présentée par les ONG à Durban.»
C'est à la suite de cet épisode que M. Steinberg a fondé NGO Monitor. Depuis, il n'a de cesse de dénoncer ce qu'il perçoit comme une approche radicale et partiale envers son pays, et ce, par des ONG en apparence très respectables. Pour lui, la guerre entre Israël et le Hezbollah libanais en est un bon exemple. Au cours des six semaines du conflit, Human Rights Watch (HRW) a publié 25 communiqués de presse, Amnesty International (AI), une vingtaine. Une activité qui a été passée au peigne fin par NGO Monitor.
«Tous leurs communiqués, sauf un ou deux, condamnaient Israël, qui était accusé de tuer délibérément des civils. Il y avait très peu de références au fait que le Hezbollah lançait des roquettes sur des civils en Israël. Les droits de l'homme doivent être universels, vous ne pouvez pas vous contenter de critiquer un côté pour crime de guerre tandis que l'autre côté utilise du terrorisme.»
Une raison d'être
Gérald Steinberg vitupère également contre le fait que les raisons de l'intervention israélienne, l'enlèvement de soldats de Tsahal, ont été peu commentées par les ONG, soulignant au passage que le concept d'agression existe en droit international. «Quand on leur posait des questions à cet égard, AI et HRW répondaient que ce n'était pas leur travail de déterminer qui avait commencé le conflit.»
Soit. Mais les ONG n'avaient-elles pas raison de dénoncer par exemple l'usage de bombes à fragmentation, qui libèrent des milliers d'explosifs autour de l'endroit où elles sont larguées et qui peuvent tuer des civils innocents longtemps après avoir été larguées? «Il ne fait aucun doute qu'Israël a utilisé de telles bombes, c'était une décision probablement douteuse au niveau moral, mais il y a un autre aspect à l'histoire. L'armée israélienne affirme que les fusées dirigées contre Israël étaient lancées à partir de zones inhabitées grâce à des télécommandes. La seule façon d'empêcher le Hezbollah de les réarmer était les bombes à fragmentation qui transformaient les environs en champs de mines. Quand on sait cela, on a les deux versions, et on peut se faire une opinion. Mais avec HRW et AI, il n'y a qu'une version.»
Pour Gérald Steinberg, ce genre de dérives vient du fait que les ONG s'occupant des droits de la personne se cherchent une raison d'être depuis la chute du Mur de Berlin. Elles ont été créées durant les années 1960-70, pendant la guerre froide, et servaient à dénoncer l'incarcération de dissidents dans les pays communistes. Le concept des droits de la personne faisait référence à l'égalité devant la loi, à l'interdiction du trafic humain et à la liberté d'expression. Des enjeux qui n'étaient pas liés comme tels à des situations de guerre.
«Ils se sont recyclés dans un domaine, la guerre et la paix, pour lequel ils n'avaient pas d'expertise. Le problème, c'est que, lorsque HRW et AI disent que telle chose n'était pas nécessaire militairement ou que la riposte est disproportionnée, ils ne savent pas de quoi ils parlent. Ce ne sont pas des experts de la guerre et ils n'ont pas accès à l'information militaire. Ce sont des gauchistes et des pacifistes à tout crin.»
La mission de NGO Monitor
La mission que s'est donnée NGO Monitor consiste donc à sensibiliser l'opinion publique devant une situation jugée inacceptable. Mais l'argent est le nerf de la guerre et peut s'avérer le point faible des ONG. M. Steinberg rencontre donc leurs bailleurs de fonds, que ce soient des gouvernements, dont celui du Canada, ou des fondations privées, et leur explique que, sous le couvert de droits de la personne ou d'activités humanitaires, les ONG qu'ils financent se livrent à de la propagande.
«Le Canada, par exemple, figurait parmi les principaux bailleurs de fonds de la conférence de Durban en 2001. Ça relève de cette idée naïve et très canadienne selon laquelle le dialogue est toujours bon et que les ONG et la société civile en font partie.»
Que ce soit pour Durban ou pour d'autres cas, NGO Monitor a donc tiré la sonnette d'alarme à Ottawa, notamment après avoir découvert que l'Agence canadienne de développement international (ACDI) finançait une organisation appelée Canadian Palestinian Educational Exchange. «Ça sonne bien, des choses comme ça. Or nous avons établi qu'ils font la promotion de la Coalition contre l'apartheid israélien et la financent, et qu'ils ont un programme de stages au Liban. Est-ce bien le mandat de l'ACDI, de financer cette organisation?», demande Gérald Steinberg, précisant qu'au-delà de l'argent reçu, une ONG retire une certaine légitimité du fait que l'ACDI la finance.
Du côté de la vertu?
Mais les choses changent à Ottawa, surtout depuis l'arrivée de Stephen Harper. Le Canada ne participera pas à la conférence de Durban II, qui doit avoir lieu à Genève en 2009, tandis que les ONG critiquées par NGO Monitor ont cessé d'être financées par l'ACDI.
Gérald Steinberg refuse d'attribuer ces changements aux seules activités de son organisation. Il note toutefois des évolutions positives, au Canada et ailleurs, comme en ce qui a trait à Human Rights Watch.
«Ils avaient l'habitude de ne jamais écrire sur la Libye, la Syrie ou l'Arabie Saoudite. Ils disaient ne pas pouvoir le faire étant donné l'impossibilité de se rendre dans ces pays. Résultat: vous aviez des rapports de 20 pages sur Israël et zéro ou une page sur la Libye. Maintenant, chaque jour, sinon chaque semaine, HRW fait des déclarations sur des violations de droits dans les pays arabes ou l'Iran, et ça, c'est un progrès. C'est une vision universelle de cette question.»
De plus, le fondateur de NGO Monitor note que son approche a eu des répercussions au-delà du Moyen-Orient, puisqu'elle est maintenant utilisée dans d'autres conflits, comme en Colombie et au Sri Lanka. «Il y a plusieurs personnes qui posent le genre de questions que nous posons. Il y a des universitaires aussi qui s'intéressent maintenant à ce genre de problématique et qui se demandent si les ONG ont un "agenda". Ils en viennent à la conclusion qu'elles ne sont pas toujours du côté de la vertu.»
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Collaboration spéciale
Entrevue
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