Quand les Français deviendront francophones

Jean-Marie Borzeix publie Les Carnets d'un francophone chez Boréal

Québec français




Pour plusieurs, «francophonie» est un mot lourd, équivoque, mal aimé. En France, c'est tantôt un éteignoir, tantôt une curiosité, rarement une passion. Et pourtant, l'ancien directeur de France Culture, Jean-Marie Borzeix, en a fait «une affaire personnelle», rêvant d'un jour où son pays, la France, ne s'estimera plus seulement français, mais francophone.
Écrits par un Français pour des Français, ses Carnets d'un francophone paraissent ces jours-ci au Québec chez Boréal. Pour quiconque s'intéresse à la francophonie et plus largement à la langue française, ils s'avèrent un détour obligé pour comprendre les fondements de la dualité qui oppose encore l'Hexagone au reste de la francophonie.
Dans ses carnets, Jean-Marie Borzeix émet le souhait que la France soit bientôt capable d'envisager la francophonie comme un échange d'égal à égal et non plus comme une substitution au colonialisme ou l'un des nouveaux visages de ce même colonialisme. Pour lui, la francophonie devrait être un idéal, sinon une utopie. «La francophonie est une chance, elle ouvre les champs du possible», affirme le conseiller à la présidence de la Bibliothèque nationale de France rencontré hier, à Montréal.
Dans cette perspective, cette même francophonie est aussi la clé qui permettra à la diversité culturelle si chèrement défendue par la France - comme par le Québec, d'ailleurs - de s'inscrire de manière efficace dans le monde. «La France a besoin de la francophonie, croit fermement l'ancien journaliste. En autant, bien sûr, que l'échange se fasse à égalité.»
Mais pour déclencher cet éveil, il faudra aussi que les Français prennent conscience de la fragilité de leur langue. «La menace est réelle, prévient celui qui est aussi président des Francophonies en Limousin. Elle vient essentiellement de nos élites - politiques, économiques et médiatiques - et il y a là des négligences, des concessions qui sont parfaitement inutiles.»
Dans ses carnets, Jean-Marie Borzeix raconte sa stupéfaction de voir la SNCF baptiser sa carte fidélité, qui permet aux voyageurs d'accumuler des points, du nom surprenant de «S'miles». Non seulement le jeu de mots est anglais, mais en plus il introduit le mot «miles» dans un pays où le système métrique a été implanté au prix d'un effort considérable, relève l'essayiste.
Cela dit, s'il est d'une grande sévérité à l'égard de ses compatriotes, Jean-Marie Borzeix n'est pas du genre à réclamer qu'on enferme la francophonie dans une cage de verre. «Il ne s'agit pas d'ériger des barrières autour de la langue, au contraire», précise M. Borzeix, qui ne cache pas qu'il souhaiterait quand même que son pays se dote enfin d'une politique de la langue. «Il y a bien des lois en France, mais elles sont à peine appliquées.»
Selon l'essayiste, la France aurait d'ailleurs beaucoup à gagner en suivant l'exemple du Québec, dont il envie le «rapport extraordinaire à la langue» et la «vigilance» à l'égard de cette même langue.
Vifs et spontanés, les carnets de ce défenseur présentent un portrait nuancé de la francophonie, ni trop pessimiste ni trop angélique. Ils sont à l'image de l'homme, qui, frais débarqué à Montréal, s'enquiert à gauche et à droite des nouveautés littéraires et n'hésite pas à partager ses coups de coeur, qu'ils soient de Paris, de l'Afrique ou du Maghreb.
«Pour moi, la France, sans cette dimension francophone, n'est pas la France, confie l'ancien journaliste. Ma France, elle, est absolument indissociable du rayonnement de sa langue dans le monde et d'un échange avec ceux qui parlent sa langue et qui parlent d'autres langues. Le français n'est d'ailleurs pas ma propriété propre, même s'il est vrai que je suis un cas particulier dans mon pays.»
C'est à cette France-là, inclusive et prête à l'échange, que Jean-Marie Borzeix nous permet de rêver dans ses carnets. Et avec lui, on se plaît alors à imaginer le jour où les Français seront devenus des francophones. Peut-être cela donnera-t-il alors le goût à ceux qui, comme Jacques Godbout à son ami Borzeix, ont un jour décrété: «Tant que les Français ne deviendront pas francophones, j'ai décidé d'ignorer la francophonie!», d'y croire aussi...


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