Quand Lafrenière rejoint Duchesneau

On aura beau reprocher à Jacques Duchesneau ses extrapolations et ses généralités, il a le grand mérite d'avoir alerté le public. C'était sans retour: il fallait une commission.

Commission Charbonneau et financement illégal des partis politiques


Il y a des matins où le journaliste ne sait plus où donner de l'oreille.
Des matins où les contraires se rejoignent. Tandis qu'à un bout de la ville, Jacques Duchesneau terminait son témoignage devant la commission Charbonneau, son rival Robert Lafrenière donnait une conférence de presse pour expliquer les arrestations dans une affaire de corruption municipale à Saint-Jean-sur-Richelieu.
Jacques Duchesneau et Robert Lafrenière sont devenus les frères ennemis de la lutte contre la corruption. Ils se sont opposés publiquement et fortement sur l'opportunité de déclencher une commission d'enquête.
Mais hier, ce que le premier racontait avec beaucoup de généralités était en quelque sorte confirmé par une série d'arrestations dans cette ville de 100 000 habitants. Fonctionnaires accusés d'avoir participé à des appels d'offres truqués, gens de la construction impliqués dans une fraude pour des contrats de 20 millions... Bref, toute cette mécanique qui pervertit la concurrence et pourrit la démocratie. Et dont Jacques Duchesneau nous entretient depuis une semaine, avec quelques noms et beaucoup d'approximation.
Faut-il en conclure que l'un a gagné, l'autre perdu? Pas du tout. Les deux approches étaient nécessaires si l'on voulait lutter intelligemment contre la corruption. Macro et micro.
Une force policière ciblée et musclée pour faire arrêter les complices de la corruption. Une commission d'enquête pour exposer les systèmes, dresser un portrait de la situation, de l'étendue du problème, et trouver des mécanismes de contrôle.
En mars 2011, Robert Lafrenière a été nommé commissaire à la lutte contre la corruption. Il est le patron de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), ultime réponse du gouvernement Charest à ceux qui réclamaient une commission d'enquête.
L'UPAC se trouvait à chapeauter deux autres initiatives: l'escouade Marteau et l'Unité anticollusion aux Transports, de Jacques Duchesneau.
M. Duchesneau avait déjà pris publiquement position pour une commission d'enquête. Il avait un statut de héros populaire et médiatique. Après qu'il a divulgé aux médias son rapport cinglant envers le gouvernement, sa popularité a encore augmenté. Sur sa lancée, il a déclaré à ma collègue Michèle Ouimet que «l'UPAC, c'est pas fort». Robert Lafrenière l'a congédié trois semaines plus tard.
Ce même Lafrenière, qui n'a pas la moitié du charisme de l'autre, se fendait de déclarations qui soutenaient la position gouvernementale: une commission d'enquête nuirait aux enquêtes policières, disait-il.
La vertu semblait donc tout entière du côté de Duchesneau, son rival se donnant des allures d'homme de l'administration, sinon de paravent politique.
Et puis, ces enquêtes, allaient-elles seulement aboutir?
Eh bien, elles aboutissent, et de manière assez spectaculaire. Les gens arrêtés hier ne sont pas connus du public. Mais on notera que cette fois-ci, c'est la police qui a eu le scoop: cette histoire n'était pas dans l'émission Enquête ou dans votre journal préféré.
Pensons qu'on a accusé devant la cour criminelle depuis deux mois deux géants de la construction, Tony Accurso et Paolo Catania. On a arrêté le maire de Mascouche. L'ancienne mairesse de Boisbriand. L'ex-numéro deux de la Ville de Montréal, Frank Zampino. Un avocat de chez Fasken Martineau. Plusieurs employés, ingénieurs et dirigeants de firmes de génie-conseil très importantes (Roche, BPR, Dessau). Diverses firmes de construction. Des fonctionnaires municipaux.
Le ministère des Transports n'est pas encore touché, me direz-vous. On pense à certaines villes encore épargnées qui ont une réputation légendaire de corruption. Mais ne boudons pas notre plaisir: on n'aurait pas cru possibles encore récemment des arrestations massives dans ce domaine, ni une pression policière intense et soutenue contre la corruption.
Tout cela est absolument inédit et ne serait jamais survenu sans la création d'escouades spécialisées. Elles-mêmes sont le résultat d'une pression populaire et médiatique sur le gouvernement, qui a été forcé de prendre le problème au sérieux.
Mais le fait est qu'on a l'impression d'entrer dans une ère de ménage en profondeur.
Six mois après le congédiement de Duchesneau, en vérité, on a oublié ces vieilles querelles de structures. On voit les premiers résultats des enquêtes commencées il y a deux ans avec Marteau. Et on voit que la commission Charbonneau est bien décidée à faire un travail sérieux.
On aura beau reprocher à Jacques Duchesneau ses extrapolations et ses généralités, il a le grand mérite d'avoir alerté le public. C'était sans retour: il fallait une commission.
Il a mis le doigt sur l'essentiel des mécanismes de corruption... qu'on voit démontés, avec des noms et des photos, de ville en ville et de semaine en semaine.
Quelques mois plus tard, voici donc presque réconciliés les deux frères ennemis - ou disons plutôt: leurs deux approches.
Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca


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