Pour eux je meurs sur le gibet de la mort infâme du meurtrier, pour eux
je me sépare de mes jeunes enfants et de mon épouse sans autre appui, et
pour eux je meurs en m'écriant : « Vive la liberté ! Vive l'indépendance ! »
CHEVALIER DE LORIMIER, 14 février 1839
***
Le 4 février dernier, Québec solidaire célébrait son deuxième anniversaire
de fondation. En vue du Congrès qui dans un mois fixera la nouvelle
approche du parti, j’ai jugé pertinent d’exposer ma propre réflexion à
titre d’ancien militant.
Le contexte politique a bien changé depuis l’année 2006. 2007 nous a
appris que la politique québécoise n’est pas fondée sur un axe
gauche–droite comme en France, mais plutôt sur un axe national, attendu que
les francophones forment une minorité au Canada et que le français est
toujours dans un état précaire, notamment dans notre métropole. Dans un
tel contexte politique où s’opposent souverainistes et fédéralistes, un
parti de gauche n’a sûrement pas sa place. Il y a donc de quoi être
perplexe lorsque vient le temps de se questionner sur l’approche actuelle
de Québec solidaire.
La séparation sans la Nation
La souveraineté n’a aucun sens si elle est détachée totalement du
nationalisme dont elle est issue. Or, il est étonnant que les statistiques
dévoilées par l’Institut C. D. Howe n’aient pas attiré l’attention de ces
souverainistes de gauche. Apprendre qu’en 2007 au Québec un unilingue
anglophone gagne en moyenne près de 4500$ de plus par année qu’un unilingue
francophone a de quoi nous rappeler les conclusions dévoilées il y a
quarante ans par la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme.
Cette division salariale se voit même entre les allophones anglicisés et
les allophones francisés. Bref, encore aujourd’hui, il faut être un
Anglais ou le devenir pour faire de l’argent au Québec.
L’insouciance des solidaires se comprend lorsque l’on apprend qu’ils ont
oublié d’inclure ne serait-ce qu’une proposition concernant le français
dans leur première plate-forme électorale. Ce ne fut fait finalement qu’à
la dernière minute avant l’élection par la permanence du parti, en pleine
crise des «accommodements raisonnables».
Cette absence de nationalisme a de quoi étonner. Mais après tout, comme
je le disais moi-même lorsque j’étais militant, les solidaires, ce sont des
« libéraux de gauche ».
La souveraineté : dernière priorité
Une des caractéristiques qui distinguent nettement Québec solidaire du PQ
est sa méthode d’accession à la souveraineté. QS a décidé que
l’indépendance devait passer par une Assemblée constituante chargée de
tenir des consultations. En choisissant de laisser des audiences publiques
décider de l’avenir des Québécois, on discrédite les élections, alors
qu’elles sont de loin le meilleur reflet de la volonté populaire. Des
assemblées consultatives ne parviendront pas à obtenir des taux de
participation comparables à ceux des élections générales, qui sont de
l’ordre de 75%. En optant pour cette méthode, on multiplie les étapes sans
raison, agrandissant par le fait même les risques de défaite, tout en
faisant preuve d’une grande naïveté face à nos adversaires. Les
fédéralistes ont démontré en 1995 qu’ils étaient prêts à bafouer
allègrement la démocratie si nécessaire. Ils tenteront assurément de
profiter de cette nouvelle étape pour mettre d’autres bâtons dans les roues
des «séparatistes».
Comme bien des péquistes, les dirigeants de Québec solidaire semblent
avoir honte de promouvoir la souveraineté tellement ça les indiffère. Le
fait que l’engagement de faire l’indépendance n’apparaisse qu’à la fin du
programme électoral en constitue un exemple fort révélateur, tout comme la
promesse de construire des logements sociaux via un programme conjoint avec
le gouvernement canadien! En fait, Amir Khadir a même déjà affirmé que le
projet qui résulterait de l’Assemblée constituante pourrait être autre
chose que la souveraineté. L’indépendance de la Palestine, un petit et
lointain pays, ça oui! Celle du Québec, pas sûr…
Vive la liberté! Vive l’indépendance!
Dans les faits, au-delà de son manque de nationalisme et de son
insouciance pour la souveraineté, c’est le principe même ayant mené à la
création du parti qui fait défaut. L’on ne fait pas un pays pour
promouvoir la paix et le développement durable à l’échelle internationale,
pas plus qu’on le fait pour régler les dédoublements administratifs ou
faire plus de place au privé dans la santé. L’indépendance n’est pas une
question de gauche ou de droite, c’est une question de liberté. L’on ne
saurait imaginer un peuple qui se libère pour d’autre raison que se
libérer, puisque la liberté est quelque chose de désirable en soi pour
chaque membre de l’humanité. Les nombreux charcutages qu’a subis la Loi
101 le prouvent : au sein de la fédération canadienne, le Québec est en
état de liberté surveillée.
La liberté dont l’indépendance constitue l’incarnation politique ne peut
être gagnée sans le rassemblement de tous les indépendantistes, unis le
temps d’une bataille. Plutôt que de vivre dans le déni, mieux vaut avouer
franchement que nous nous sommes trompés en décidant de fonder un deuxième
parti. La diaspora des séparatistes de toute sorte n’aidera absolument
personne, mis à part ceux qui veulent maintenir le peuple québécois dans
son état d’assujettissement.
Il faut concéder néanmoins que la question n’est pas aussi simple à
résoudre qu’autrefois, puisque le contexte politique a changé. Suite à sa
défaite, bien qu’il ait récupéré le discours nationaliste qu’il portait
autrefois en faisant du français sa première priorité, le Parti québécois a
décidé de mettre la souveraineté en veilleuse indéfiniment. Alors, que
faire? S’ils ont vraiment la souveraineté à cœur, les solidaires devront
choisir entre deux alternatives :
1. Soit ils sabordent leur parti et se joignent au PQ afin de le pousser
à faire l’indépendance dans un avenir rapproché,
2. Soit ils font de l’indépendance l’Article 1 de leur programme.
Si QS opte pour la deuxième option, cela représentera un changement
profond de son approche politique. C’est difficile, mais c’est possible.
Cela se traduira par une méthode d’accession à la souveraineté plus simple,
des politiques concrètes concernant la langue officielle – ce que prévoient
ses nouveaux engagements électoraux – et sans doute un assouplissement des
politiques de gauche du parti, afin de rallier les souverainistes
centristes ou de droite.
Ce serait dommage que Québec solidaire décide plutôt d’opter pour le statu
quo. Le Québec se trouverait ainsi avec deux partis nationalistes qui ne
veulent pas faire la souveraineté (PQ, ADQ) et un petit parti souverainiste
qui n’est pas nationaliste (QS). En tant qu’indépendantistes, il va sans
dire qu’il y aurait alors de quoi ne pas savoir quoi faire de notre vote
lors de la prochaine élection.
Maxime Schinck
Ex-membre du Comité de coordination du parti Québec solidaire de
l’Université de Sherbrooke (2006–2007)
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
11 février 2008Où est-ce que les Québécois veulent aller, constitutionnellement parlant ? Faudrait le savoir avant de choisir le véhicule et le meilleur chemin pour y arriver à la place de tenter de les inciter aller là où ils ne veulent pas, ce qui est forçant pour les partis politiques québécois qui y perdent leur temps pour rien.
Il y a plus de 60 % de Québécois qui ont voté pour 2 partis qui demandent d'importants changements constitutionnels : Le PQ et l'ADQ. S'ils ne forment pas une coalition pour présenter un projet commun à ce sujet, le Québec n'aura pas la force requise pour les négocier avec le ROC et nous allons simplement continuer dans la fédération centralisatrice actuelle avec de léger changements cosmétiques comme ceux négociés par le parti Libéral très provincial comme l'asymétrie et ceux d'ordre administratif.