La vie quotidienne de nombreux Québécois et Nord-Américains a récemment été profondément bouleversée par l’annonce de mesures extraordinaires visant à prévenir la propagation de la maladie COVID-19. Fermeture d’écoles et d’établissements publics, interdiction de grands rassemblements, annulation de manifestations sportives et culturelles, isolement obligatoire des personnes atteintes et isolement préventif au retour d’un voyage à l’étranger ne sont que quelques exemples de ces récentes mesures d’éloignement social. Dimanche dernier, lors de son point de presse hebdomadaire, le premier ministre François Legault a ajouté à la liste les bars, cinémas et centres sportifs.
Ces mesures contrastent fortement avec celles adoptées depuis le début de l’épidémie de la COVID-19, et la raison est simple : nous sommes passés à une autre phase de notre lutte contre la COVID-19.
Des travaux de modélisation mathématique réalisés par le Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval, dirigé par le professeur Marc Brisson, prédisent la portée de mesures de prévention des maladies infectieuses et sont fréquemment utilisés pour guider les décisions de santé publique au Québec, dans le reste du Canada, aux États-Unis et dans d’autres pays grâce à l’Organisation mondiale de la santé.
La lutte contre une épidémie se déroule généralement en quatre phases : l’introduction du virus dans la population, la transmission locale, l’amplification et la transmission réduite.
Au cours des derniers jours, le Canada et divers autres pays sont passés de la première phase, visant à freiner l’introduction du virus, à la deuxième, visant à empêcher sa propagation.
Puisque aucun vaccin n’existe actuellement pour prévenir la COVID-19, les mesures de prévention préconisées ont pour but de réduire les contacts sociaux. Le succès de notre lutte contre la COVID-19 dépendra donc grandement de la vitesse et de l’intensité de la mise en place de celles-ci et, plus que tout, de notre solidarité et de notre adhésion à ces mesures d’éloignement social. Notre objectif et notre devoir en ce moment : gagner du temps et aplatir la courbe épidémique de la COVID-19.
En l’absence d’intervention de prévention, le nombre de cas augmenterait très rapidement sans qu’on ait le temps de prévoir les ressources nécessaires. Les premières mesures de signalement et d’isolement des cas provenant d’autres pays nous ont permis de retarder temporairement l’introduction du virus dans notre population.
Toutefois, sa propagation chez nous semble maintenant inévitable et, sans intervention supplémentaire, la demande de soins médicaux pourrait rapidement excéder la capacité de notre système de santé. On court alors le risque de ne pas pouvoir gérer adéquatement tous les cas de COVID-19 (en plus des autres maladies). Les diverses mesures d’éloignement social visent à aplatir la courbe épidémique et ainsi ralentir l’apparition quotidienne de nouveaux cas.
Pourquoi toutes ces mesures ?
Une question demeure pour la majorité des gens : pourquoi prendre toutes ces mesures de prévention pour la COVID-19 ?
C’est en comparant trois facteurs épidémiologiques clés — le R0, le taux de létalité et la gravité des symptômes — de la COVID-19 avec ceux d’autres maladies infectieuses bien connues que les chercheurs et les autorités de santé publique sont inquiets.
Le R0 d’un virus, ou son taux de reproduction de base, indique le nombre moyen de personnes qui seront infectées par quelqu’un de touché par le virus. Lorsque le R0 est inférieur à 1, la transmission est limitée dans la population et le risque d’épidémie est contenu. Par contre, lorsque le R0 est supérieur à 1, l’infection se propage dans la population et peut causer une épidémie. En outre, plus le R0 est élevé, plus la transmission du virus est difficile à freiner et plus les mesures doivent être intenses et soutenues pour réussir à enrayer l’épidémie.
On estime présentement que le R0 de la COVID-19 se situerait autour de 2,5 (entre 2 et 6). Ainsi, une personne infectée en infectera à son tour deux ou trois, en moyenne. Certaines personnes en infecteront beaucoup plus, d’autres moins. À titre comparatif, le R0 de la grippe saisonnière se situe autour de 1,2.
La COVID-19 présente donc un potentiel de contagion considérablement plus élevé que celui de la grippe saisonnière.
Dans ce tableau, chaque couleur représente une génération de cas. Le cas initial (patient zéro) est en rouge. La première génération de cas, infectée par le cas initial, est représentée en vert. La deuxième génération de cas, infectée par la première génération, est représentée en bleu, et ainsi de suite. Présentement, on estime que l’intervalle de temps entre un cas et la génération suivante de cas se situe entre cinq et sept jours, donc un seul cas pourrait générer 40 cas en moins de trois semaines avec un R0 de 3.
Trois facteurs qui influencent la dangerosité d’un virus
L’objectif des mesures de prévention et de contrôle de la COVID-19 est donc de diminuer le R0 sous le seuil critique de 1 afin de freiner l’épidémie. Les principaux facteurs qui influencent le R0 d’un virus sont le nombre de contacts avec des personnes infectées, la transmissibilité du virus et la durée de la période infectieuse.
Le seul moyen efficace dont nous disposons actuellement pour faire descendre le R0 de la COVID-19 au-dessous de 1 est la diminution des contacts avec des personnes infectées.
Toutefois, le travail de prévention est compliqué par le fait que certaines personnes pourraient transmettre le virus sans même avoir de symptômes. Cette caractéristique n’était pas présente dans le cas du SRAS, qui se transmettait davantage par des personnes symptomatiques. Elle explique pourquoi l’isolement des personnes symptomatiques ne serait probablement pas suffisant pour freiner la propagation de l’épidémie.
Ainsi, le R0 élevé de la COVID-19 et la possibilité de transmission de cette maladie en l’absence de symptômes justifient la nécessité et l’importance des mesures d’éloignement social annoncées récemment.
Le taux de létalité, c’est-à-dire la proportion de décès parmi les cas détectés, est le deuxième facteur épidémiologique clé. Bien qu’il soit encore difficile d’établir précisément le taux de létalité, on estime présentement qu’il oscille entre 1 % à 3 %. Il augmente grandement avec l’âge et en présence de facteurs de risque tels que les maladies cardiaques ou pulmonaires, le diabète ou le tabagisme. À titre comparatif, le taux de létalité de la grippe saisonnière est d’environ 0,1 %.
Les taux de létalité estimés de la COVID-19 varient également d’un pays à l’autre, selon leur capacité à détecter les cas et à soigner les patients. En période de surcharge des services de soins de santé, les ressources pourraient devenir insuffisantes pour traiter adéquatement tous les cas nécessitant des soins, ce qui ferait augmenter le taux de létalité. C’est d’ailleurs le problème auquel doit maintenant faire face l’Italie.
Finalement, la gravité des symptômes de la COVID-19, avec 15 % à 20 % des personnes atteintes qui ont des symptômes sérieux exigeant des soins, est le troisième facteur épidémiologique clé.
Les maladies infectieuses, dont la COVID-19, sont différentes des autres maladies. Pour cette raison, nos actions d’aujourd’hui pour freiner la propagation du coronavirus auront des répercussions dans plusieurs semaines, et chaque action individuelle entraînera des effets sur toute notre collectivité, particulièrement en ce qui concerne la protection des personnes vulnérables.
Il revient donc à chacun d’entre nous de rester calme et optimiste, de suivre les recommandations des autorités de santé publique et de contribuer à l’effort collectif pour freiner la pandémie de COVID-19.
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un média en ligne qui publie des articles grand public écrits par des chercheurs et des universitaires.
Vous avez des questions sur la COVID-19 ? Consultez ce site Web du gouvernement du Québec consacré au coronavirus.
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